Le 30 novembre, Joséphine Baker entre au Panthéon


mardi 30 novembre, Joséphine Baker, artiste de music-hall de renommée internationale révélée en 1925 dans la Revue nègre au Théâtre des Champs-Élysées, mais aussi croix de guerre, médaille de la Résistance, fera son entrée au Panthéon, 46 ans après sa disparition, le 12 avril 1975.

À sa manière posthume, elle continue à faire bouger les lignes, à bousculer les codes et à marquer l’Histoire. Et pour cause. Jusqu’à ce jour, aucune artiste de variété, aucune femme noire, n’avait eu droit à la reconnaissance éternelle du peuple français.

Le 30 novembre, Joséphine Baker entre au Panthéon

L’épisode exceptionnel mais aussi républicain par excellence, prendra une dimension solennelle. Il sera à vivre sur place ou à travers les médias. Et, pour la circonstance, Emmanuel Bonini, biographe d’investigation et auteur de La véritable Joséphine Baker, sera l’un de ceux par qui l’événement prendra tout son sens populaire.

la chaîne américaine. Par la force des choses, elle sera enregistrée en amont », explique-t-il.

Les prisonniers allemands en Corse, ces oubliés de la guerre

Saint-Louis du Missouri

Avec son beau talent de conteur, il refera, au micro, un bout de chemin avec Joséphine lors de la Seconde Guerre mondiale, partira sur ses traces au music-hall ou aux États-Unis.

Ses mots seront alors étroitement liés à la trajectoire d’une fillette née d’un père blanc inconnu, mariée à 12 ans par sa mère, puis remariée à 15 ans dans un État voisin.

Le récit portera aussi sur le château des Milandes, sur un idéal de fraternité universelle et sur « une idée magnifique incarnée par la tribu arc-en-ciel », soit douze enfants adoptifs originaires de tous les continents.

Le chroniqueur racontera encore avec sincérité et pudeur « les combats philanthropiques », menés par la star. Il rapportera des témoignages d’époque concernant les causes qu’elle estimait justes. Il dévoilera peut-être encore quelques-unes de ses parts d’ombre et de ses secrets bien gardés. « Je connais très bien toute la vie de Joséphine. J’ai vu d’où elle est partie. Je suis allé à Saint-Louis du Missouri. Son neveu m’a montré toutes les rues où elle avait l’habitude d’évoluer. Nous sommes entrés dans la petite église où elle chantait et dansait tous les dimanches. J’ai visité la gare où elle volait du bois de chauffage. j’ai visité le ghetto ou elle vivait même si, plus tard, à travers ses récits, elle a un peu exagéré concernant la réalité sordide qu’elle avait connue. Joséphine Baker était très romanesque. Elle était d’ailleurs portée par un sens très aiguisé du spectacle. La place de Joséphine, c’était la scène », assure-t-il.

Il confie, pour sa part, n’avoir jamais pensé à lui donner le beau rôle dans le temple laïque de la République. Sans doute par crainte de s’avancer sur le terrain « de la vanité des vivants ».

Ce qui ne l’a pas empêché de se poser la question de la postérité de Joséphine et de revendiquer un droit de mémoire. « À différentes reprises, j’ai noué des contacts avec des décideurs au plus haut niveau, afin que sa mémoire soit honorée. Car, pendant un temps, elle a été complètement oubliée. Ce qui s’assimilait, selon moi, à une injustice. » Il avoue avoir réagi à la fois comme « un petit fan mais aussi comme quelqu’un de très conscient de la valeur de cette femme, de l’exception qu’elle a représentée en ce monde ».

« Ardente patriote »

C’est certain, les auditeurs de RFI seront étreints par le souvenir de « la Vénus noire », tout en tensions, tout en paradoxes, aux limites inconnues aussi. « Elle possédait la faculté de séduire les gens, sans calcul. C’était une femme qui irradiait, qui sortait du lot commun. Elle avait mille personnalités, ce qui a influencé toute son existence. Lorsqu’on part à sa recherche, on se heurte à un mystère insondable », résume-t-il.

Celle qui chantait « vouloir être blanche » a surtout l’identité tricolore. « Elle était une immigrée qui aimait la France, c’est-à-dire le pays qui lui a apporté la liberté et la célébrité, au point de faire passer les intérêts de sa patrie d’adoption avant tout », insiste-t-il.

Elle le prouvera durant les années de guerre, en contribuant à déjouer en 1939 « un complot ourdi par les bolcheviques contre les intérêts français dans les colonies françaises », en revêtant l’uniforme de la France libre et en agissant comme « une ardente patriote » au péril de sa vie. Les missions se succèdent en Algérie, au Portugal, au Maroc, en Égypte et ailleurs. Quelques décennies plus tard, en 1968, elle enfilera de nouveau sa tenue couleur de sable et de boue, pour s’en aller soutenir le général de Gaulle au point de susciter l’ironie à grand renfort de stéréotypes racistes d’une partie de la presse de l’époque.

Entre-temps, on l’a retrouvée aux côtés de Martin Luther King. Contre le racisme, pour la liberté et l’émancipation des peuples. Ses prises de position, son « talent hors norme » selon la formule d’Emmanuel Bonini, auront un impact certain.

En perdition, au large de Coti-Chiavari

Le 6 juin 1944, les Alliés par milliers débarquent sur les plages de Normandie. « Le jour le plus long » de la guerre a débuté dès l’aube. Au même moment, à quelques heures près, l’avion transportant Joséphine Baker et le commandant Jacques Abtey depuis Alger s’apprête à atterrir à l’aéroport d’Ajaccio. L’artiste a répondu à l’invitation d’Eugène Macchini, le maire de la ville.

Sauf que la fin du voyage à bord du Goéland ne se déroulera pas comme prévu. À 80 kilomètres des côtes de Corse, l’appareil commence à tanguer et à trembler. On se rend compte qu’une de ses hélices ne tourne plus. Une peur panique envahit peu à peu les passagers. L’équipage, composé du sous-lieutenant Dejean et des adjudants Bernard et Noé, réagit avec sang froid et évite de justesse un pan de montagne, avant de tenter l’amerrissage de la dernière chance.

L’avion se pose tant bien que mal sur la mer, à quelques centaines de mètres du rivage, du côté de Coti-Chiavari. Les passagers et les membres d’équipage sont sains et saufs. Il leur reste assez de ressources pour briser quelques hublots et s’extraire de la carlingue. Ils prendront leur mal en patience en s’agrippant aux ailes du Goéland.

Ils seront finalement secourus par des tirailleurs sénégalais dont le camp est installé sur la côte. « Ils parviendront à tirer l’avion jusqu’à la plage. Joséphine effectue les derniers mètres qui la séparent de la terre ferme sur les épaules de l’un d’eux », raconte Emmanuel Bonini.

La chanteuse, aussi sous-lieutenant de l’armée de l’air, déplore dans l’affaire la perte de quelques-unes de ses plumes et de ses robes. Cela n’aura pas d’impact sur la suite.

ajoute-t-il.

Car Joséphine Baker est avant tout venue chanter au profit de la France libre sur « la première parcelle de France libérée ». Le divertissement, l’euphorie collective sont une belle façon de se mobiliser aussi.

Tout au long de son périple insulaire d’Ajaccio à Bastia, en passant par Calvi, L’Île-Rousse, Borgo, Ghisonaccia ou encore le Café de France et la cour du groupe scolaire à Vico, la star est accompagnée « par un orchestre de fortune, composé en majorité de soldats ». Chacun fait de son mieux avec son instrument. L’enthousiasme de la formation a vite fait de diluer les rares fausses notes. La chanteuse, quant à elle, fait des merveilles. La tournée est un triomphe.

À Ajaccio, par exemple, un dimanche soir à 21 heures, près de 30 000 personnes se sont rassemblées sur la place du Diamant. Certains, plus agiles que d’autres, se sont installés dans les arbres. D’autres se sont perchés sur le monument dédié à l’Empereur.