le calvaire des victimes d’agressions sexuelles commises par les soldats russes


, le 14 juin 2022

Grigoriy Hodak a 66 ans. L’homme est encore en vie. Lui et sa famille ont survécu avec 350 autres personnes à un mois d’enfermement à l’école du village de Yahidne, en Ukraine. Un huis clos insupportable, un calvaire. Mais c’est pourtant dans une autre cavité hermétiquement close, une cave à patates, la sienne, celle où les soldats sont venus le trouver, que sa parole va se délier alors que plus personne dans le village n’évoque ce tragique épisode de la guerre en cours.« Les ‘Russes asiatiques’ (originaires de l’Extrême-Orient russe) nous ont trouvés dans notre abri et ils étaient complètement saouls. Ils ont hurlé, ‘on veut des femmes’. J’ai très bien compris ce qu’ils voulaient dire, explique Grigoriy Hoddak, une lueur de défiance dans ce regard, bleu et clair. J’ai refusé, ils se sont énervés, ils m’ont bousculé et c’est grâce à d’autres soldats, des Russes qui patrouillaient à ce moment-là, que ma famille et moi, on a pu s’en sortir. » Le viol, bien sûr. Voilà de quoi parle cet homme à la dignité confondante.

Le calvaire d’une jeune fille protégée par sa grand mère

La même scène s’est produite dans les sous-sols de l’école du village, là où les Russes ont retenu pendant un mois trois cent cinquante personnes. « Les ‘Russes asiatiques’ ont débarqué, éméchés, hurlant leur besoin de femmes, affirme aussi, Valeriy Polguy, représentant local de la région de Tchernihiv dont dépend la bourgade. Des femmes âgées ont réussi à les convaincre,: à Yahidne, l’école de la terreurUne chose est sûre, l’école était gardée par les Russes et il n’y avait aucune communication entre eux et les unités des « Asian Russian ». Que du mépris. Alors, sont-ils intervenus quand ces soldats sans honneur ont réclamé leur butin féminin ? « Pas du tout, nous avons dû nous défendre tout seul », souffle Valeriy Polguy.

« Les femmes constituent la majorité des victimes présumées »

Les tentatives de viols infructueuses vont durer trois semaines par le procureur du district de Tchernihiv, Ihor Savitskyi.

Les enquêteurs peinent à réunir des éléments

y ont été constatés a été abruptement congédiée.« Pas forcément un bon signe, décrypte l’avocate Julia Anosova de l’ONG La Strada à Kiev, parce que pour une fois, nous avions une femme à ce poste. A notre niveau, nous avons mis en place une hotline et reçu 14 appels pour 19 victimes qui ont bien expliqué avoir subi des violences sexuelles. Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y en ait pas plus. »

Faire parler les victimes, un enjeu très clair 

Après des semaines d’enquête, l’ONU a enfin confirmé 124 cas d’agression sexuelle commises dans la guerre en Ukraine. « Les femmes constituent la majorité des victimes présumées, a déclaré Pramila Patten, représentante spéciale du secrétaire général pour les violences sexuelles en tant de guerre et qui considère que l’on n’est tout juste dans la partie visible de l’iceberg. 56 des 124 allégations concernent des femmes, 41 des filles, sept des garçons.19 des allégations portent sur des hommes. »

« Il faut gérer une équation où l’extrême émotion et le droit à la justice fonctionnent encore »

Des témoignages directs restent rares. »Les organisations ukrainiennes comme internationales ont mis en place des hotlines pour faire parler les victimes. Les femmes se confient anonymement mais souvent ce ne sont pas les victimes elles-mêmes. Celine Mas, présidente de ONU Femmes France qui a travaillé avec l’UNFPA (Fondation des Nations-unies pour la population), ajoute que leur hotline a enregistré plus de 1 500 appels depuis le 28 mars. Le fondateur de l’ONG, Elos, Sergyi Dimitriev certifie que dans un mois, son équipe travaillera avec le bureau du procureur général de Kiev qui semble avoir enregistré près de 4 000 plaintes.

Premier procès en l’absence de l’accusé

une banlieue au nord de Kiev Mais comment rester équitable alors que la guerre fait encore rage et que l’on est juge et partie ? « Il faut gérer une équation où l’extrême émotion et le droit à la justice fonctionnent encore, explique Céline Mas de ONU France. Il y a un besoin vital de justice de la part des victimes mais qui se battent presque avec elles-mêmes. D’un côté, le cerveau hurle que vous avez besoin d’être traitée et de l’autre, il vous dit aussi, cache çà parce ce que si tu continues à penser à ça, tu vas mourir. C’est une dissociation interne permanente qui complique le processus de la libération de la parole et par conséquent le travail de la justice. »D’autant que selon Céline Bardet, fondatrice et Directrice Générale de « We are not Weapons of War », une organisation qui combat les violences sexuelles dans les conflits armés, il y a un très gros enjeu médiatique en Ukraine. « Les viols existent mais il est très compliqué pour l’instant d’avoir des témoignages directs qui permettent de corroborer les faits. Les autorités veulent pourtant aller vite. Or le temps de la justice est très long, les victimes peuvent parler dix ans après le drame. Il ne faudrait pas prendre le risque de sortir de la justice en faisant des procès à titre symbolique. »