"C’est la première fois où on peut se dire que l’on passe à côté de la taille de l’épidémie"


Depuis le début de la semaine, médias et scientifiques s’inquiètent d’une reprise épidémique du Covid-19 – notamment après les fêtes de Bayonne qui ont rassemblé 1,3 million de visiteurs le week-end du 30 juillet. La période estivale n’est pourtant pas la plus propice à une flambée des contaminations si l’on se réfère aux années précédentes. Mais un nouveau variant gagne du terrain en ce moment en France.

Il s’agit d’un sous-variant d’Omicron, surnommé « Eris » – EG.5 pour son nom scientifique. Ajouté à la liste de variants à surveiller par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à la mi-juillet, il serait désormais le plus répandu dans notre pays.

S’il provoque les symptômes habituels, il gâche les vacances de certains… Une énième « nouvelle vague » est-elle à prévoir à la rentrée ? Pas encore de quoi s’alarmer pour le maître de conférences en épidémiologie et évolution des maladies infectieuses à l’Université de Perpignan, Mircea Sofonea, même s’il s’agit d’anticiper pour ne pas se retrouver dans une situation alarmante à l’automne. S’il va falloir s’habituer à vivre avec la multiplication de nouveaux variants, le chercheur déplore un criant manque de moyens permettant de suivre correctement l’évolution du virus.Marianne : Le Covid-19 repart à la hausse depuis juillet.

Est-ce seulement lié à l’arrivée de ce nouveau sous-variant d’Omicron ?Mircea Sofonea :Il y a trois causes principales lors d’une reprise épidémique : le déclin immunitaire, l’émergence d’un nouveau variant et l’augmentation de la transmission par les contextes comportementaux ou sanitaires. Le déclin immunitaire, c’est le fait que la protection face à une réinfection, induite par une dose ou une infection précédente, diminue au cours du temps. Ce qu’on appelle « l’immunité collective », même si le terme a été un peu galvaudé par le passé, s’estompe puisque c’est une période transitoire.

Il y a donc à nouveau la possibilité pour le virus de circuler. Pas besoin d’un variant pour cela  ! On l’a vu par le passé : le variant delta a fait deux vagues.Si vous avez un nouveau variant qui présente un échappement immunitaire, voire un avantage intrinsèque de contagiosité, vous pouvez aussi avoir une reprise épidémique.

Enfin, le contexte augmente les opportunités de transmissions. Lorsque les jours diminuent et que les températures baissent, on reste davantage à l’intérieur, dans des espaces mal aérés, et on a plus de chance d’attraper le virus. C’est ce qu’on craint pour la rentrée : avec la reprise professionnelle et scolaire, le brassage de population va augmenter.

Mais je m’inquiète plutôt pour l’automne, à partir du mois d’octobre. Si ce troisième point n’est pas à l’œuvre actuellement, les deux premiers le sont car suffisamment de temps s’est écoulé depuis la dernière vague pour estomper l’immunité collective. Vous rajoutez à cela l’arrivée d’un nouveau variant EG.

5.1… Et vous avez deux moteurs de la reprise épidémique.Nous en parlons actuellement, mais il s’agit donc surtout d’anticiper une hausse des cas à la rentrée…Oui, d’un point de vue virologique, il y a des arguments qui font craindre qu’une circulation plus importante soit possible à l’automne.

Mais la crainte ne réside pas dans une vague qui serait uniquement imputée au Sars-CoV-2. Ce serait la tension engendrée sur le système de soin par le cumul des infections respiratoires dû aux trois virus majeurs : le Sars-CoV-2, la grippe et le VRS – le virus respiratoire syncytial. Il faut absolument l’anticiper, le limiter.

On a bien vu à l’automne dernier que les services de soins pédiatriques étaient en tension, comme à Marseille, où des blocs opératoires ont été reportés car il y avait trop de besoin à cause de l’épidémie du Covid. Le système de santé n’est pas dans la meilleure situation possible. Il est éprouvé par trois années de pandémie.

 Il y a le risque d’une surcharge du système de soin primaire qui se répercute sur les urgences et enfin sur certains services hospitaliers… Face à cela, il vaut mieux avoir une idée assez fine de ce qui circule. Sauf que pour la recherche non plus les moyens ne sont pas toujours au rendez-vous. Il faut qu’on mette en place des moyens de surveillance suffisamment représentatifs pour contrôler sur le temps long.

À LIRE AUSSI : Trois ans après le Covid-19, où en est-on du « Great Reset », la théorie préférée de la complosphère ?Mais je ne sais pas pourquoi on parle autant du variant dans les médias. Quand on observe le focus des médias sur les sous-variants, c’est assez inconstant. Il suffit que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dise qu’on en surveille un en particulier – alors qu’ils n’ont pas fait les mêmes communiqués pour d’autres sous-variants – pour que les choses s’emballent un peu.

D’un point de vue de santé publique, ce n’est pas forcément souhaitable de trop inquiéter les gens. Je réponds à plusieurs journalistes depuis le début de la semaine. En réponse, je reçois beaucoup de messages désagréables.

Les gens me parlent de dictature sanitaire, de feuilleton entretenu par les médias, d’un moyen de museler la rentrée sociale… Je remarque qu’ils en ont absolument marre. C’est contre-productif.Vous trouvez que les médias en font trop ?La question est tout à fait légitime d’un point de vue scientifique et sanitaire.

Mais normalement, cela se gère en coulisses. Relais médiatique ou pas, nous, on travaille de la même façon. Notre intérêt ne dépend pas de l’attention médiatique mais des signaux, aussi minces soient-ils, et des interactions avec les autres collègues.

Est-ce que les médias en font trop ? C’est possible. Une certaine présentation de l’actualité peut être anxiogène et, quelque part, entretenir une défiance. Sachant que derrière, nous avons besoin d’un levier : c’est possible qu’un jour un variant très différent arrive.

On aura alors besoin de remettre en place des mesures plus incitatives sur le dépistage, l’isolement et le port du masque. S’il y a une défiance de la population, c’est défavorable pour la santé publique. On parle quand même de maladies vitales.

Ce n’est pas comme d’autres maladies difficilement contrôlables. Ici on peut la contrer, on peut éviter une mortalité. Il faut tenter de ménager la capacité d’acceptation de la population.

La situation ne serait donc pas plus inquiétante que cela, selon vous ?Pour le moment, nous n’avons pas de signaux plus inquiétants que cela. Pour moi, la situation actuelle relève d’une surveillance normale. Il y a de temps en temps des moments un peu remarquables d’échappement immunitaire avec des facteurs favorisant la reprise épidémique.

Mais ce n’est pas nouveau que le virus circule  ! La véritable différence, c’est que nous n’avons plus les indicateurs qui nous étaient familiers et permettaient d’avoir une vision claire de l’épidémie. En termes de suivi, on est plus proche de la situation qui précède le premier confinement que celle en sortie de confinement, où une base de données était alimentée en permanence. C’est la première fois où on peut se dire que l’on passe à côté de la taille de l’épidémie.

C’est pour cela qu’il y a un focus et un sentiment d’inquiétude : nous sommes dans le brouillard. Dans la première vague de la nouvelle ère de surveillance.À LIRE AUSSI : Covid-19 : « La thèse d’un virus échappé d’un labo a été très vite taxée de complotisme »Il y a toujours Emergen [Consortium pour la surveillance et la recherche sur les infections à pathogènes EMERgents via la GENomique microbienne, NDLR] pour la surveillance génomique mais ce n’est pas suffisant.

Il faudrait idéalement avoir des échantillons hebdomadaires choisis aléatoirement en France de personnes dépistées pour voir quelle est la situation des différents virus respiratoires. Là on aura une idée – en plus on fait généralement du suivi clinique de ces personnes-là. En ayant l’identification du sous-variant, on verra ainsi s’il y a plus ou moins de virulence, s’il y a des symptômes différents etc.

Cela pourrait fonctionner ainsi mais cela coûte de l’argent et derrière, il faut investir dans les équipes qui analysent ces données.Les indicateurs dont vous disposez actuellement vous permettent-ils encore d’anticiper une potentielle nouvelle vague ?Je suis plus réticent à parler de vague mais on peut parler de reprise. Nous observons une augmentation qui est cohérente selon les indicateurs.

Sauf que les seuls dont nous disposons actuellement sont indirects. On appelle ça la surveillance syndromique : les passages aux urgences pour suspicions Covid, les consultations de médecine générale en ville pour les infections respiratoires aiguës – le système Sentinelles, le système de surveillance pour la grippe saisonnière –, SOS médecin etc. Ces indicateurs ne sont pas spécifiques, il ne s’agit pas de tests biologiques  ! On ne sait pas s’il s’agit d’un dépistage positif ou non.

Ce sont de simples consultations à base de suspicions. Ces indicateurs-là sont extrapolés, normalisés mais ils peuvent présenter un biais d’échantillonnage et ne représentent pas l’entièreté des cas.On voit que sur ces indicateurs-là, il y a une augmentation marquée sur le mois de juillet.

Et elle se poursuit en août. C’est ce qui fait dire qu’il y a une reprise épidémique. De là à dire qu’il y a une vague ? Pour l’affirmer, il faudrait le même niveau de détection qu’on avait après le premier confinement.

Là, on aurait une bonne estimation de la taille de la vague et on pourrait l’appeler ainsi. Je le répète, en l’absence de ces données, on ne peut pas vraiment se prononcer sur une comparaison par rapport aux vagues précédentes. De plus, on ne peut pas anticiper la hauteur des vagues et savoir quel sera le prochain sous-variant.

On n’est pas encore sur le schéma de la grippe saisonnière qui est anticipée. À la fois, on est encore sur quelque chose de l’ordre de l’imprévisible et en même temps on sait que de nouvelles vagues arriveront régulièrement…Est-ce le moment de se poser la question du rappel vaccinal ?Bien sûr, la question se pose puisque ce nouveau variant présente un échappement immunitaire par rapport au variant dont il découle. Le nouvel acide aminé est moins bien reconnu par les anticorps.

Mais il y a surtout la question de la mise à jour des vaccins, afin qu’ils soient plus proches de la souche circulante. Se vacciner confère toujours un avantage mais la protection serait encore plus importante si la balance du vaccin était mise à jour vis-à-vis de la souche circulante. C’est comme pour la grippe saisonnière.

Il n’y a que les escrocs du début de la crise qui estimaient qu’on aurait le droit qu’à une ou deux vagues… Hélas, certains y ont cru. Mais ceux qui gardaient les pieds sur terre savaient qu’on n’aurait pas de moyen pour éradiquer aussi simplement le virus.