Le Dr AGA face à son destin


Ça a commencé par une stupéfaction. Pourquoi ? Pourquoi mon époux, cet astre dont j’ai hélas trop peu souvent l’occasion de parler aux lectrices de ELLE, un être admirablement structuré, s’est-il mis, un beau jour, à guetter les signes comme un vieux chamane sous ayahuasca ? Est-ce un effet secondaire de ce solide Covid, qu’il a pourtant réussi à terrasser, dents serrées et pyjama moite, à l’automne dernier ? Depuis, non seulement Didier a récupéré le goût et l’odorat, mais il a développé un sixième sens en béton. Désormais, non content d’être à l’affût des coïncidences, il réussit à les relier entre elles. Par exemple, quand, à 19h58, il réalise que la cuisine est dans le noir, le four, froid, et que je fais semblant d’être décédée sur le canapé, il comprend que la vie lui envoie un message et il passe à l’action : se coller lui-même au dîner ? Nan, faut pas déconner, mais il comprend qu’il est grand temps d’appeler SOS pizza.Je plaisante. En vrai, Didier utilise l’art de lire dans les signes pour prendre de vraies décisions, notamment professionnelles. La semaine dernière, alors qu’il hésitait entre trois candidats aux CV et à la motivation équivalents pour un recrutement – mon époux chasse des têtes, pas seulement des quatre-fromages –, il a décidé de prendre deux jours pour laisser le destin l’aider. Il a d’abord utilisé la technique du livre choisi au hasard dans la bibliothèque : « Le Mystère de la chambre jaune », de Gaston Leroux. Puis il est tombé, en zappant, sur un documentaire qui parlait de l’invasion des renards à Londres. Enfin, il m’a demandé qui était mon acteur préféré du monde entier. J’ai répondu « Le héros de « Outlander », l’Écossais Sam Heughan, pourquoi ? » Il a souri finement et conclu : « Leroux, écureuil, acteur roux… ça fait beaucoup en très peu de temps. Je vais engager le candidat rouquin. » Tiré par les cheveux, direz-vous – avec beaucoup de finesse. Peut-être, mais un des énormes avantages de la synchronicité, c’est que, lorsqu’on est dans une impasse, elle peut nous permettre non seulement de trancher, mais de le faire vite. Et ça, ça me parle. Depuis la pandémie, j’ai un rapport au temps très étrange, comme vous, j’imagine : tantôt les heures passent en un clin d’œil (Netflix) tantôt elles se traînent comme un vieux lombric à moitié sec (moments de travail). Le temps a perdu son rythme de croisière, celui qui permet à mon cerveau de ronronner normalement. Voilà près d’un an que je me pose des questions aux-quelles je n’arrive pas à répondre : 1) quel sujet pour mon prochain livre ? (ça m’obsède vraiment) et 2) Dieu existe-t-il ? (ça m’obsède tout autant). Apprendre à déchiffrer les signes pourrait-il dissiper mes doutes ? Reconnaissez que ça se tente.

JE TENTE LE TOUT POUR LE TOUT. TROUVER DEUX P*** DE CHOSES SIGNIFIANTES À RELIER, ÇA DOIT QUAND MÊME PAS ÊTRE SORCIER.

J’établis donc un plan d’action, en suivant les conseils de Géraldyne Prévot-Gigant, l’auteure de « J’apprends à accueillir les synchronicités » (éd. Leduc). Je zappe la première recommandation : prendre chaque jour du temps pour méditer. À chaque fois que j’ai essayé, j’arrivais au mieux à ne penser qu’à ma liste de courses, et au pire à me faire du souci pour mes enfants (quel avenir pour les jeunes ? Surtout pour ceux qui perdent tout le temps leur carte Navigo ?). En revanche, le conseil qui consiste à noter, dans un carnet de coïncidences, tout ce qui me surprend et me procure des émotions me semble super malin. Me voici à l’affût.Bon. Il faut quand même reconnaître que, en temps de pandémie, les signes stimulants que nous sommes susceptibles de recevoir ne se bousculent pas. Une réplique fulgurante entendue au théâtre ? Un plat qui vous met les larmes aux yeux au resto ? Un échange marrant avec les collègues à la machine à café ? Tout ça, c’était avant. 95 % de mon temps, je le passe, comme tout le monde, entre quatre murs, et mon papier peint posé en 2011 ne m’envoie que le message « Change-moi, je suis fatigué ». Lorsque je sors dans la rue, avec ses commerces fermés et ses gens masqués, mon encéphalogramme reste plat. Allez Alix, concentre-toi, il y a forcément des choses intéressantes à noter dans ton carnet. Je me remémore les recommandations de Géraldyne : « Il faut au moins deux signes, qui vous procurent une sensation de surprise, d’émotion forte. » J’observe la façade de « King Marcel, spécialiste du burger français », et quelque chose commence à frémir en moi. Juste à ce moment, passe un type qui pioche dans un cornet de frites. La voilà, l’émotion forte. J’ai faim.Épouvantée par la platitude de mon imaginaire, je rentre chez moi pour tenter le tout pour le tout. Flâner sans but sur mon ordinateur, allumer la télé au hasard, choisir des ouvrages dans la pile des lectures urgentes en souffrance, et trouver deux p*** de choses signifiantes à relier, ça doit quand même pas être sorcier. Oh, je sais bien qu’en faisant cela je risque de tomber sur une fausse synchronicité, et que, plus on est en attente, plus on risque d’inventer soi-même des coïncidences, mais je sais aussi que je suis une personne beaucoup trop cartésienne pour tomber dans le piège. C’est parti. Ma boîte mail m’apprend que Clara Morgane est en vacances à Oman, que le 11 février, c’est la fête de Notre-Dame-de-Lourdes, et que La Redoute me propose jusqu’à 40 % de réduction sur les matelas 200 x 200 (peut-on tirer des conclusions sur la personnalité de quelqu’un selon les newsletters qu’il reçoit ? J’espère pas). Bon. Passons à la télé. Au pif, mes doigts tapent « 245 » sur la télécommande. KTOtv m’informe que Mgr Luc Crépy a été nommé évêque de Versailles. On s’en fout un peu. Nouvelle tentative. Une candidate des « Marseillais à Dubaï » s’époumone : Joseph, dit « Jo », a encore accusé Mariah d’avoir niqué (elle prononce « nitcher ») avec un autre gars. Pfff. Troisième essai : la diffusion de « Marie Madeleine » de Garth Davies, un film de 2018 qui revisite le destin de la pécheresse devenue sainte la plus célèbre de l’histoire. Tiens, je me demande si quelque chose n’est pas en train de se mettre en place dans ma petite tête. Pour en avoir le cœur net, direction le bureau pour une séance de bibliomancie, les yeux fermés. Je tire un livre au hasard : le Nouveau Testament offert par ma marraine pour ma première communion. Ça n’a aucun sens. Je retente ma chance. Bingo. Dans mes mains, je tiens un ouvrage de Gérard de Villiers, « SAS à l’ouest de Jérusalem » Pas besoin de dormir sur ce faisceau flagrant d’indices ou de demander l’avis d’un tiers, comme suggéré par Géraldyne Prévot-Gigant pour en avoir le cœur net. La voilà, l’épiphanie : je dois absolument écrire un livre de cul qui se passerait au Moyen-Orient. Accueillir les synchronicités ? Plus qu’un travail ardu, une simple question d’ouverture.