Propulsé par Facebook cette année, qui a réorienté toute sa stratégie d’entreprise autour de la création d’un « métavers », ce concept de doublure numérique du monde physique saura-t-il dépasser les effets d’annonce et s’imposer dans les usages ? C’est assurément l’un des enjeux de 2022 pour toute l’industrie de la tech. Mais s’il faudra attendre encore pour savoir si le grand public répond présent, les premières applications du métavers arrivent déjà. Et notamment en Asie. Baidu, surnommé le « Google chinois », a réalisé lundi 27 décembre sa première conférence de presse dans le métavers, en présence de son patron Robin Li, face à un public d’avatars.
Plonger dans une piscine numérique
Lors de cet événement, Baidu a présenté XiRang (« terre d’espoir », Ndlr), sa première application dans le métavers. Celle-ci permet de créer un personnage numérique (avatar) et d’interagir avec d’autres utilisateurs dans un monde en 3D. Sur XiRang, les utilisateurs sont libres de leurs mouvements au milieu de faux décors naturels ou d’une ville fictive. Comme dans la vie réelle, ils peuvent se rendre dans une exposition (virtuelle), dans une reproduction du temple de Shaolin, ou encore pratiquer le plongeon dans une piscine numérique. Accessible sur téléphone portable, ordinateur ou casques de réalité virtuelle, l’application XiRang n’est disponible qu’en Chine. Le CEO de l’entreprise a révélé que Baidu planchait sur ce projet bien avant que le terme métavers ne devienne populaire en octobre, après la décision de Facebook de rebaptiser son groupe Meta. Réalité virtuelle : le « métavers » de Facebook, pari fou ou coup marketing ?
Le retour de l’engouement autour de « vieilles » technologies qui peinaient à éclore
Les opportunités offertes par la création d’un nouveau monde virtuel qui permettrait de se libérer des contraintes physiques en multipliant les interactions humaines en 3D, aiguisent l’appétit des géants du numérique. Contraction de méta-univers, « metaverse » est pourtant un vieux concept hérité de la science-fiction, qui repose sur des technologies déjà connues : la réalité augmentée et la réalité virtuelle. Celles-ci existent depuis longtemps mais elles peinent toujours à trouver leur public par manque d’usages concrets et par leur incapacité à apporter une vraie plus-value à l’expérience en ligne. Mais la pandémie de Covid-19, qui a propulsé le télétravail sur le devant de la scène pour les entreprises et accéléré drastiquement l’adoption des usages numériques dans la société, a probablement rebattu les cartes. Et poussé Facebook comme d’autres géants du Net, à penser que le moment était venu pour trouver un marché de masse à la 3D, rendue aussi plus accessible et agréable à l’usage par les progrès des casques, l’arrivée de la 5G, et des technologies capables de créer des environnements virtuels.
Coup marketing génial ou vrai changement de paradigme ?
Malgré l’engouement certain, tout reste encore à faire. Et les géants du Net avancent leurs pions à la recherche des applications qui feront succomber le grand public. Côté Chine, le mastodonte de l’internet Tencent planche sur sa propre plateforme de métavers, fort de son expérience dans les jeux vidéo dont il est un acteur majeur. Quant au champion chinois du e-commerce Alibaba, il a créé une filiale pour réfléchir aux différentes opportunités offertes par le métavers. Enfin, ByteDance (TikTok) a investi dans plusieurs entreprises du secteur, dont le fabricant de casques de réalité virtuelle Pico. Côté occident, Apple va dévoiler en 2022 un nouveau casque de réalité mixte -à la fois virtuelle et augmentée pour garder un pied dans le monde réel- qui pourrait aider à démocratiser l’usage. De leur côté, Facebook et Microsoft espèrent rafler la mise du métavers dans le monde du travail. En tant que champion de la bureautique et du cloud, Microsoft a une belle carte à jouer et a annoncé en novembre sa solution « Mesh for Teams », dont le lancement est prévu pour 2022 d’abord en mode béta. Mesh permet d’apparaître sous forme d’avatar dans Teams -la plateforme de visioconférence de Microsoft- à la place d’activer la vidéo. Elle permet aussi aux employés d’une entreprise de se réunir dans un espace virtuel dédié, exactement comme la propre solution de Facebook, baptisée Horizon. Ironiquement, Mesh n’est qu’une évolution de Altspace VR, une startup que le géant californien avait rachetée en 2017. bien avant, donc, que le concept revienne à la mode. Double ironie, l’annonce de novembre, associée au buzzword « métavers », a engrangé un certain engouement médiatique. Mais Mesh avait déjà été dévoilé en. mars 2021, dans la quasi indifférence générale. Ce qui pose question : le métavers est-il une vraie révolution potentielle des usages ou un simple coup marketing génial pour tenter une énième adoption de la réalité virtuelle et augmentée, alors que les précédentes vagues de promotion de ces technologies avaient échoué ? Autrement dit, le « métavers » a-t-il vraiment un public et un marché ?
Course au métavers chez les géants du Net du monde entier
La manœuvre est habile, car elle vise à habituer le public de manière douce. Microsoft encourage ainsi ses clients à créer eux-mêmes leur propre « métavers » avec Teams. Avec succès : le géant du conseil Accenture a lancé en fin d’année Accenture Park, un espace pour faire « l’onboarding virtuel » des nouveaux collaborateurs, c’est-à-dire accueillir les recrues. L’entreprise a acheté 60.000 casques de réalité virtuelle Oculus Quest 2 -fabriqués par une filiale de Facebook- pour cela. Et une centaine de sessions impliquant plus de 10.000 collaborateurs se seraient déjà tenues. En dehors des géants du Net américains et chinois, les acteurs du monde du shopping en ligne -pour faire essayer les vêtements à son avatar avant d’acheter le produit- ou du jeu vidéo sont très intéressés par le métavers, et ce depuis plusieurs années. En avril 2020, en plein confinement, Fortnite -qui appartient au studio Epic Games- a créé la sensation en organisant sur sa plateforme une série de concerts virtuels du rappeur américain Travis Scott. 28 millions de joueurs ont assisté à l’événement : leur avatar pouvait danser autour de l’avatar du chanteur.
Inévitable fusion de l’environnement physique et numérique ?
d’effectuer une reproduction numérique de l’infrastructure -un avatar d’usine, en quelque sorte- pour faire de l’optimisation de tâches et de la maintenance prédictive. A ce titre, le mot métavers incarne en fait la fusion inévitable entre le monde réel et le monde virtuel, conséquence implacable de la transformation numérique de la société et de l’économie. 2022 devrait donc voir se multiplier les innovations se revendiquant du métavers. Et, avec elles, de nouveaux enjeux : quelle protection des données et du jumeau numérique à l’ère du métavers ? Quels nouveaux biais algorithmiques ? Comment légiférer sur le vol d’objets virtuels et l’échange de monnaie virtuelle ? Comment éviter que ce nouvel internet soit pris d’assaut par quelques entreprises monopolistiques, à commencer par les Gafam ? Autant de questions qui paraissent encore lointaines, mais qui pourraient très vite arriver dans le débat public si les champions de la tech réussissent leur pari en 2022.
Sylvain Rolland
29 Déc 2021, 10 :21