« L’écologie, ce n’est pas des hommes blancs à vélo dans les villes. » Ce 22 juillet, la réplique émane de Sandrine Rousseau dans l’émission Backseat diffusée sur Twitch. « Je ne fais pas confiance aujourd’hui à des personnes politiques, en l’occurrence des hommes, qui n’ont pas déconstruit, qui n’ont pas traversé d’évènements qui les ont déstabilisés dans leur vie pour mener ce qu’on a à mener » déroule la candidate à la primaire écologiste. Une indication sur sa ligne politique, mais dans laquelle il est difficile de ne pas voir aussi une pique à ses principaux adversaires écolos. Et pourquoi pas à Éric Piolle positionné, comme elle, à l’aile gauche d’EELV. Début juillet, dans un registre semblable, le maire de Grenoble s’érigeait en « allié des luttes féministes », qui « assume de grandir, d’être éduqué, d’être rééduqué aussi, d’être déconstruit et reconstruit par ces luttes féministes ».Au cœur de l’été, les deux candidats tentent de combler leur retard de notoriété et d’imprimer leur marque face à un Yannick Jadot réputé modéré et consensuel. « Idéologiquement ils sont un peu sur le même créneau, au sens qu’ils se distinguent de Jadot que l’on accuse d’avoir des affinités hors de la gauche » abonde Daniel Boy, directeur de recherche émérite au CEVIPOF et spécialiste de l’écologie politique. Mais lequel des deux est le mieux placé ? Quels éléments les distinguent ? Marianne arbitre le match de l’aile gauche d’EELV.
Expérience politique
Maire depuis 2014 d’une ville de plus de 400 000 habitants, Éric Piolle dispose à première vue d’un solide atout pour témoigner de son expérience politique. « Si on veut tenir compte de l’expérience politique, Éric Piolle a un mandat de maire et le début d’un deuxième derrière lui, concède Daniel Boy, mais dans le parti Sandrine Rousseau est beaucoup plus expérimentée. » Vice-présidente du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais de 2010 à 2015, l’économiste de formation a été porte-parole d’EELV de 2013 à 2016 et secrétaire nationale adjointe du parti de 2016 à 2017, année où elle démissionne de la direction pour se consacrer à la lutte contre les violences sexuelles, dans la foulée de l’affaire Baupin. « Sur l’expérience politique, ils sont un peu à égalité » assure Daniel Boy.
Notoriété
Au rayon de la notoriété, Éric Piolle et Sandrine Rousseau disposent a priori d’un sérieux retard sur Yannick Jadot, figure de la campagne réussie des européennes de 2019 et vainqueur de la précédente primaire du parti. L’enjeu pour les deux, implantés localement, consiste à se construire une stature nationale. C’est ce qu’a entrepris Éric Piolle en entamant un itinéraire à travers la France au cours de l’été, passant par Rodez, La Rochelle, Rennes ou Bordeaux. Sur les réseaux sociaux, c’est d’ailleurs le maire de Grenoble qui semble tenir l’avantage en termes de notoriété, avec environ 22 000 j’aime sur sa page Facebook, contre environ 6 000 pour Sandrine Rousseau. Sur Twitter un peu plus de 55 500 personnes suivent l’ancien cadre de Hewlett-Packard et 28 800 la vice-présidente de l’université de Lille. Mais la notoriété ne fait pas tout à une primaire, nuance Daniel Boy : « Je ne suis pas certain que cela aide Éric Piolle, les adhérents savent qu’à partir du moment où on est propulsés candidat d’un parti, on gagne très vite en notoriété ». D’autre part, Sandrine Rousseau a été assez fortement médiatisée et identifiée pour son engagement féministe et son combat contre les violences sexuelles, à la suite de l’affaire Denis Baupin qu’elle avait accusé publiquement de harcèlement et d’agressions sexuelles.
Soutien du parti
Malgré son expérience à la direction d’EELV, Sandrine Rousseau ne semble pas disposer d’autant de soutiens qu’Éric Piolle parmi les figures des formations organisatrices de la primaire. D’après un article du Monde fin juillet, parmi tous les candidats, c’est le maire de Grenoble qui aurait reçu le plus de parrainages, de la part des plus de 200 parrains et marraines désignés par les partis organisateurs – 28 étaient requis pour participer au scrutin. L’édile en aurait obtenu plus de 50 contre une quarantaine pour Yannick Jadot et une trentaine pour Sandrine Rousseau et Delphine Batho. Éric Piolle dispose de l’appui de plusieurs cadres importants d’EELV, dont l’eurodéputé David Cormand ou Alain Coulombel, porte-parole de la formation.
Programme
Pas évident à première vue d’identifier les nuances idéologiques entre Éric Piolle et Sandrine Rousseau. Tous deux incarnent l’aile gauche d’EELV. Parmi leurs propositions, l’économiste veut « renforcer la taxe carbone », « proposer un revenu d’existence sous conditions de ressources » ou « créer un crime d’écocide » pendant que le maire de Grenoble souhaite un « revenu minimum garanti dès 18 ans », une sortie de l’élevage industriel dès 2030 ou « un ISF climatique pour taxer les plus pollueurs des particuliers ».Sandrine Rousseau accorde une place particulièrement importante dans son programme et ses interventions publiques aux thématiques sociétales, parmi lesquelles le féminisme ou la lutte contre les discriminations. La vice-présidente de l’université de Lille propose par exemple le CV anonyme obligatoire et l’imprescriptibilité des violences sexuelles envers les mineurs. « Sa principale caractéristique c’est son combat féministe, avance Daniel Boy, elle incarne de façon plus forte que les autres candidats ce combat, ça lui donne une force, reste à savoir si cela lui permettra de convaincre ». Car son positionnement sur les sujets sociétaux ne fait pas nécessairement l’unanimité. L’économiste adopte une ligne à la fois intersectionnelle, c’est-à-dire qui analyse la manière dont différentes discriminations (genre, race, classe sociale) se combinent et surtout distincte de l’universalisme républicain traditionnel. « La France est en train de basculer vers un fascisme rampant où la seule question est la laïcité et l’exclusion de l’autre » lançait-elle en juillet au festival des idées de la Charité sur Loire.Éric Piolle a lui dévoilé son programme ce 16 août dans les titres de presse du groupe Ebra. Parmi ses mesures phares, le candidat projette de créer 1,5 million d’emplois « grâce à la transition écologique » et une revalorisation des salaires « d’au moins 10 % ». « Éric Piolle avance des choses très fortes, je ne pense pas que Sandrine Rousseau apporte des choses aussi précises, estime Daniel Boy, mais peut-être qu’elle se rattrapera ».
Communication
Comme évoqué, Sandrine Rousseau et Éric Piolle tentent de profiter de l’été pour mettre en avant leur candidature. Ces derniers jours, la première a multiplié les matinales : RMC le 10 août, Europe 1 le 12 et France Inter ce 18 août. Une montée en puissance ?En parallèle de son itinéraire sur les routes de France, Éric Piolle, qui poursuit ses interventions médiatiques, enchaîne abondamment les interventions et les vidéos sur les réseaux sociaux, par exemple pour tacler Emmanuel Macron sur l’accueil des réfugiés afghans.Des prises de position qui lui ont valu quelques moqueries. Le Canard Enchainé s’en est donné à cœur joie en lui décernant deux semaines de suite le « melon d’or ». Cette semaine pour avoir directement interpellé Lionel Messi sur Twitter : « Bonjour Lionel Messi ! Comme nous, vous avez vu l’impact du geste de Ronaldo sur CocaCola. Vous serez ce soir au JT de TF1, 48 heures après la sortie du rapport du Giec sur le climat. Chaque voix compte pour pousser nos dirigeants à agir, enfin. On compte sur vous ? ». « Le sextuple Ballon d’or argentin, sans doute intimidé par Piolle, ne lui a pas encore répondu » ironise le Canard dans son édition du 11 août. La semaine précédente, le journal satirique raillait une autre intervention : « En vacances à La Rochelle, l’édile, candidat à la primaire écolo, s’est confié avec la plus grande simplicité au « Journal du dimanche » (8 août) : « J’ai l’expérience de la victoire et de l’exercice du pouvoir. Je suis le centre de gravité au cœur d’un arc humaniste allant de Matthieu Orphelin à La France Insoumise » ». Amen.