Le PSG, Mbappé, son avenir, son caractère, l’homosexualité dans le foot… Zlatan Ibrahimovic se confie au JDD


17h00
, le 22 janvier 2022
Cela fait bientôt six ans que Zlatan Ibrahimovic a quitté Paris et la Ligue 1 mais son empreinte reste profonde, ses mots attendus. À 40 ans, l’attaquant suédois fait le bilan de sa première vie dans Adrénaline, son troisième livre. La première tête de gondole du PSG qatarien, vainqueur de tous les trophées nationaux entre 2012 et 2016, a répondu au JDD pendant trente minutes vendredi. On a bien essayé de déborder un peu mais il a vite esquivé : un sommet attend son équipe, l’AC Milan, dimanche soir face à la Juventus. Le scudetto est en jeu, la préparation optimale. Ibrahimovic reste un footballeur avant tout. L’un des meilleurs.Vous évoquez vos angoisses avec sincérité, l’après-carrière notamment. Pourquoi?Chaque matin depuis vingt ans, je sais exactement ce qui m’attend : le réveil, l’entraînement… C’est mon adrénaline. Bientôt, une vie va s’arrêter, une autre commencer. Je ne sais pas encore comment, ni quand. Mais ça arrivera, et j’avoue que ça m’effraie un peu. Qu’y a-t-il de l’autre côté ?L’ex-international japonais Kazuyoshi Miura joue encore à 54 ans. Pourriez-vous durer autant?Si ça arrive, c’est vraiment que quelque chose ne va pas! Je veux continuer à jouer aussi longtemps que possible, tant que mes performances sont bonnes et que ma présence aide mes partenaires. Mais, forcément, je vieillis et mon corps me fait mal. J’en prends le plus grand soin mais il n’y a rien à faire.

« N’allez pas croire que j’ai joué un rôle parce que j’étais costaud et intimidant d’un côté, timide de l’autre »

Le livre laisse entrevoir des failles que vous n’avez jamais montrées sur le terrain. Y a-t-il deux Zlatan?J’ai été un jeune homme sans assurance jusqu’à mon départ à l’étranger [à l’Ajax Amsterdam en 2001]. Alors, j’ai trouvé mon identité. En revanche, j’ai toujours eu confiance en mes capacités de footballeur. Donc, n’allez pas croire que j’ai joué un rôle parce que j’étais costaud et intimidant d’un côté, timide de l’autre. Les médias ont décrit ce qu’ils voulaient que le public pense. Je suis toujours resté moi-même. Mon physique ne fait pas de moi un comédien. Mais si vous me payez pour un rôle, on peut discuter…Lire aussi – Zinédine Zidane et ses quatre fils : les secrets d’une grande famille de footballComme celui d’Antivirus dans Astérix et Obélix – L’empire du Milieu?Une expérience incroyable. Je ne sais pas si j’ai été bon acteur mais, désormais, j’ai une vraie curiosité pour ce métier.Votre frère est mort d’une leucémie à 41 ans, alors que vous jouiez à Paris. En quoi ce drame vous a-t-il changé?En prenant conscience que rien n’est acquis, donc à jouir de l’existence. Quand mon frère est tombé malade, j’ai été totalement impuissant. L’argent et la gloire n’ont été d’aucun secours. Alors, j’ai prié et essayé de rester positif pour lui donner l’espoir que tout irait bien. À cette période, j’avais du mal à me concentrer sur le foot. J’avais beau me mettre en mode compétition, je pensais à lui sitôt le coup de sifflet final. Mais je me demandais ce qu’il voudrait et la réponse, c’était me voir sur un terrain. Alors, j’ai puisé dans le jeu la force d’avancer.

« Hétérosexuel, homosexuel, bisexuel : peu importe, le football appartient à tous »

Vos deux fils jouent au foot. Un père peut-il souhaiter une carrière à ses enfants dans ce milieu compliqué?Aujourd’hui, ils adorent et sont prêts à bosser dur pour y arriver. Ils ont 15 et 13 ans. S’ils gardent l’idée en grandissant, je les aiderai. Jusqu’où iront-ils? Trop tôt pour le dire. Professionnels ou pas, je veux surtout leur faire comprendre qu’être heureux de jouer au foot est déjà une réussite.Vous avez félicité Josh Cavallo, seul joueur professionnel en activité à avoir fait son coming out. Comment libérer la parole?Nous pouvons encourager tous les footballeurs gay en leur faisant sentir qu’ils sont à leur place. Hétérosexuel, homosexuel, bisexuel : peu importe, le football appartient à tous. Ce jeune Australien a été très courageux, il mérite de recevoir autant d’amour et d’énergie positive que possible. Sa prise de parole a été primordiale. C’est un bon point de départ. J’aimerais que d’autres prennent la même initiative. Mais ce n’est pas facile.Le racisme continue de gangrener les stades. Les joueurs devraient-ils être plus radicaux?Déjà, je ne crois pas à l’utilité d’imprimer un slogan « No to racism » sur des tee-shirts. C’est de la bonne conscience, donc une perte de temps. Soit on sanctionne très sévèrement les actes racistes, soit on ne fait rien du tout. Les cris de singe contre les footballeurs noirs me rendent malade. Mais quand un autre est traité de gitan, c’est tout aussi grave ; pourtant, personne ne réagit ou n’interrompt un match. Il est plus que temps de prendre des mesures vraiment dissuasives. Lesquelles? Je n’ai pas la réponse. On voit simplement que rien n’a fonctionné jusqu’à présent.

« Comparez ce qu’était le PSG d’alors et ce qu’il est devenu le jour où je suis parti « 

Que pensez-vous du projet de la Fifa d’organiser le Mondial tous les deux ans?Cette idée doit retourner d’où elle est sortie. Moi, je n’en veux pas. Le rythme actuel d’une Coupe du monde et d’un Euro tous les quatre ans convient. Autrement, ces tournois n’auront bientôt plus aucune valeur. Mais, évidemment, ça n’a rien à voir avec la santé des joueurs, c’est seulement une question d’argent.Vous avez marqué votre époque sans gagner la Ligue des champions ni le Ballon d’or…Oui, car je suis resté longtemps au sommet. Partout où je suis allé, j’ai gagné. Dans des pays différents, avec des traditions différentes. Ça m’aurait plu d’ajouter ces deux trophées à ma collection mais auraient-ils fait de moi un meilleur joueur? Non. Plus que tout, j’aime profondément ce sport.Vous avez d’abord refusé le PSG pour ne pas aller jouer dans des stades de 2.000 personnes. Avez-vous fini par apprécier le championnat de France?J’ai fait le travail pour lequel on m’a payé, aussi longtemps que les dirigeants ont été contents de moi. C’est ça, le professionnalisme. Je n’étais pas habitué à jouer devant quelques milliers de spectateurs donc j’avais l’impression que je ne pourrais pas aider l’équipe. Puis j’ai décidé de venir et j’ai vu que l’herbe était verte dans tous les stades. C’était une habitude à prendre et une disposition d’esprit à adopter. Finalement, c’était bien. Une expérience merveilleuse pendant quatre ans. Comparez ce qu’était le PSG d’alors et ce qu’il est devenu le jour où je suis parti : nous avons relevé un challenge incroyable.

« Diriger le monde, ça ne se fait pas en vingt-quatre heures »

Regrettez-vous de vous être emporté contre la France, ce « pays de merde », après une erreur d’arbitrage?Je ne regrette rien. C’était sous le coup de l’émotion. Si vous êtes intelligent, vous comprenez que ça avait juste à voir avec le football. Ça fait partie des choses que j’ai dû affronter en venant en France. D’où j’arrivais [l’Italie], c’était un autre niveau et c’était difficile de comparer. Mais je m’y suis fait et j’ai aussi appris. On fait tous des erreurs. L’arbitre en avait fait une, ses excuses étaient mauvaises et, en même temps, je le comprends : le PSG grandissait très vite, de grands joueurs arrivaient et il n’y était pas habitué. Ce n’était facile pour personne, on va dire.Êtes-vous surpris que le PSG n’ait pas encore remporté la Ligue des champions?Diriger le monde, ça ne se fait pas en vingt-quatre heures. C’est un marathon avec des hauts et des bas. Chelsea a mis dix ans [neuf en réalité] après avoir été racheté par Roman Abramovitch.Mais est-il plus près du sommet aujourd’hui qu’il ne l’était quand vous en êtes parti?Absolument. Chaque jour, il devient plus grand. C’était le projet. Si ce n’était pas le cas, ça voudrait dire qu’ils ne font pas le travail correctement. Entraîner et manager un effectif aussi talentueux n’a rien d’évident. Du peu que je vois, le PSG fait ce qu’il a à faire.

« Le jour où je voudrai être directeur sportif du PSG, je le serai »

L’été dernier, vous avez conseillé à Kylian Mbappé de partir au Real Madrid. Est-ce toujours votre avis?Tout dépend de ce que Kylian veut et je ne le connais pas assez pour répondre à sa place. Si c’est une bonne décision [de s’en aller], ça sera génial pour lui, pas pour Paris. Garder Kylian, ça serait génial pour le PSG, mais alors il faudrait demander à Kylian si ça serait génial de rester.Vous avez proposé vos services à Nasser Al-Khelaïfi pour prendre le poste de directeur sportif. Votre offre tient toujours?Le jour où je voudrai être directeur sportif du PSG, je le serai.Vous admirez les personnalités qui ont l' »aura du pouvoir ». Avec laquelle aimeriez-vous dîner?Ça aurait été incroyable avec Muhammad Ali. Deux gros caractères, deux vainqueurs, deux phénomènes. Le seul problème aurait été de savoir qui payerait l’addition.Et vivante? Novak Djokovic?Oui, mais ça serait facile parce que je le connais bien.Comprenez-vous sa position contre la vaccination?À moi de vous poser une question : pourquoi êtes-vous vacciné?Pour nous protéger et protéger les autres.OK, donc vous le faites pour la santé? Mais ce n’est pas la même chose de se faire vacciner pour pouvoir disputer un tournoi de tennis. Celui qui prend un vaccin le fait parce qu’il y croit, qu’il pense que c’est efficace contre la maladie. Mais chacun peut avoir son opinion. Les gens ne devraient pas être obligés de le faire juste pour pouvoir aller au travail. Je me suis vacciné parce que je pense que ça me protège, pas pour jouer au foot. Ce sont deux situations différentes. Zlatan Ibrahimovic, Adrénaline, Flammarion, 272 pages, 19,90 euros