Sébastien, internaute de lyonne.fr, a répondu à l’invitation de la rédaction sportive de L’Yonne Républicaine et proposé un sujet d’article qui a particulièrement retenu l’attention de nos journalistes. « Comment mêler travail physique et record sur marathon ? », interroge-t-il. Puisque ce sujet est susceptible d’intéresser un grand nombre de runners de l’Yonne, la rédaction a recueilli l’avis de plusieurs experts pour tenter de répondre à cette question.
Jack Matija (entraîneur)
Jack Matija est entraîneur à l’AJA Marathon, où est notamment licenciée Lélia Le Coquet, qui a réalisé un chrono canon (3h02) sur le très vallonné Marathon de Chablis, samedi 27 octobre.
« Il paraît évident que la nature-même de notre travail a une incidence sur la préparation physique et sur la performance, pose Jack Matija. Sur le plan physiologique, certains métiers, ceux qui obligent à se lever tôt ou, pire, ceux qui s’exercent la nuit, invitent l’athlète à reconsidérer sa pratique sportive selon son emploi du temps. Un emploi du temps se gère (sans doute plus difficilement lorsqu’on est une mère de famille qui travaille et certaines de nos athlètes font partie de cette catégorie). »
Selon l’entraîneur, un marathon se prépare sur 8 à 10 semaines, pour un coureur entraîné : « Les métiers qui engagent le sportif dans des tâches à lourdes contraintes physiques vont l’amener à redéfinir le contenu de son entraînement et à l’adapter. Tout au plus un métier pourra aider à développer ou à entretenir la résistance, voire une certaine puissance musculaire. Les gens qui sont debout du matin au soir ont sans doute plus de résistance que ceux qui sont assis toute la journée. Mais le premier devra mobiliser des trésors de volonté pour rechausser ses runnings et prendre le chemin du stade. Rien n’est parfait et c’est à chacun de trouver des remèdes et des aménagements. C’est précisément la mission des entraîneurs de clubs qui connaissent bien leurs athlètes et qui trouveront des solutions en prêtant attention à chacun d’entre eux. »
Dr Frédéric Cocquempot (médecin référent de la Ligue Bourgogne Franche-Comté d’athlétisme)
« Si on veut être performant sur marathon, il faut faire du renforcement physique et travailler plusieurs allures. Il ne faut pas forcément faire de la musculation, mais il faut de la force et de l’endurance. Si on veut aller vite, il faut un peu de puissance. Donc, travail physique et préparation marathon ne sont pas incompatibles. Après, le travail de force – membres supérieurs, membres inférieurs – il faut voir… Être dans les vignes, monter, descendre, faire du concentrique, de l’excentrique, faire un peu de force, avoir les muscles qui piquent, ce n’est pas incompatible. Le travail en endurance, bien ravitaillé, bien hydraté, ça ne fatigue pas trop. Mais le travail physique, ça, ça fatigue. Ce ne sont pas les mêmes fibres qui sont concernées. Si on fait 40 heures de travail physique, il va falloir mettre beaucoup d’aérobie… C’est le « oui, mais » de la médecine ! Le travail physique va permettre d’être un peu plus performant ; mais trop, c’est trop. C’est pour ça que ça va être parfaitement compatible avec un entraînement 10 km en revanche. »
Emmanuel David (marathonien et coach)
Employé du Dijon Université Club, Emmanuel David a un record de 2h19’35 au marathon, mais il entraîne surtout le nouveau champion de France de marathon Alexandre Bourgeois (Dijon UC, 2h16’52). Il sait à quel point le travail peut influer sur la préparation d’un athlète.
« Effectivement, cela fait partie de l’entraînement et il faut en tenir compte. Les deux sont assez liés. Quand on a un travail physique, qu’on a marché toute la journée, porté des choses, c’est sûr que le soir, on va être un peu moins disponible physiquement et mentalement. De par mon expérience, ceux qui courent moins vite font avec leur activité professionnelle ; ceux qui courent plus vite essayent de trouver des emplois du temps favorables. En ce moment, parmi ceux dont je m’occupe, ceux qui courent vite sont des personnes qui travaillent peu, qui n’ont pas de contraintes physiques la journée. Dans le cas contraire, on adapte les séances, les horaires, on décale la séance.
J’ai un exemple assez concret avec Alexandre Bourgeois. Son papa est couvreur-zingueur, son frère travaille aussi dans l’entreprise familiale. Je sais que, si un jour, il va donner un coup de main, il ne sera pas prédisposé à assumer la séance : il faut enlever une ou deux séries, alléger un peu l’allure, reporter la séance au lendemain. À Dijon, nous avons Alexis Miellet ou Fabien Palcau qui n’ont pas du tout de contrainte physique. Mais au même niveau, nous avons des jeunes de la même génération qui sont en études de médecine, qui prennent des gardes de nuit, qui ont bossé pendant le Covid, mais qui ont le même niveau de performance, à l’image de Yann Schrub. C’est un modèle d’adaptation. »
Yann Schrub (international, semi-marathonien)
Certes, Yann Schrub n’est pas (encore) marathonien. Mais cet international A, âgé de 25 ans, est en huitième année de médecine. Licencié à l’Athlé Sports Sarreguemines Arrondissements, il détient des records de 28’25 sur 10 km et 1h03’32 sur semi-marathon (une course qu’il n’avait « pas préparée » sérieusement) et vise les Jeux Olympiques de Paris 2024.
« Mon emploi du temps est sans cesse en train de changer. Mes coachs ne peuvent pas faire un plan trois semaines à l’avance. C’est une gestion à avoir ; mais surtout, il faut écouter son corps. Moi, je suis sans cesse en train de m’adapter, en fonction de ma fatigue, liée à l’entraînement précédent ou à mon travail. On est trois, mes deux coachs et moi, à sans cesse s’adapter. On programme au moins dix jours à l’avance, pour avoir un peu de confort. J’ai la chance d’avoir la salle à Metz pour m’entraîner quand il fait froid ou quand il fait nuit. Et un tapis de course, quand les conditions ne me permettent pas de faire autrement. Mais je me rattrape surtout le week-end pour faire les grosses séances, sur piste ou en nature. Je profite vraiment de mes jours de repos. Mais du coup, parfois, je suis obligé d’enchaîner deux grosses séances, ça arrive. C’est surtout l’envie qui me manque, souvent en période hivernale. On peut tenir quelques semaines, mais sur le long terme, c’est difficile… Là je suis en médecine générale ; à partir de la semaine prochaine, je serai en pédiatrie avec des gardes de 24 heures. Ça va encore être un gros changement pour moi, des temps d’adaptation, pour savoir comment je peux gérer. Dans l’ensemble, on s’en sort, mais je ne sais pas si c’est viable à long terme. »
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