Au procès de l’attentat de Trèbes, la peine la plus lourde requise contre l’ex-petite amie du terroriste


C’est une question qui revient, lancinante, dans de nombreux procès pour terrorisme : à partir de quel niveau de peines les victimes, ayant vécu « l’horreur absolue » d’un attentat, auront-elles le sentiment que la justice a été rendue ? Une question en forme de défi, surtout dans les procès où ne sont pas jugés les auteurs directs des faits mais des individus faisant parfois figure de « seconds couteaux ». Comment faire alors pour rendre un verdict qui tienne compte des strictes responsabilités de chaque accusé alors que certaines parties civiles souhaitent des peines à la hauteur des leurs infinies souffrances ?

« Un discours d’honnêteté et de vérité »

Ce mardi 20 février, on sent que ces interrogations pèsent d’un poids vertigineux sur la cour d’assises spécialement composée de Paris. C’est l’heure du réquisitoire du Parquet national antiterroriste. Un moment solennel avec très vite, un message adressé aux victimes. « Nous devons avoir un discours d’honnêteté et de vérité vis-à-vis d’elles », affirme Alexa Dubourg, une des deux avocates générales, en les prévenant d’emblée que les réquisitions du jour ne seront pas forcément celles espérées par certaines parties civiles.Mais avant les peines, place aux faits. Et c’est avec force qu’Alexa Dubourg, dénonce la « lâcheté absolue » avec laquelle, ce 23 mars 2018, Radouane Lakdim a tué quatre personnes à Carcassonne puis à Trèbes plongeant leurs proches dans une douleur qui, on a pu le voir à l’audience, reste toujours aussi vive six ans après. Ces attentats ont aussi laissé de profondes séquelles psychologiques chez de nombreux clients et employés du Super U de Trèbes. « Dans cette commune, on pensait être à l’abri. Mais c’est l’essence même du terrorisme et la stratégie de l’État islamique que de frapper n’importe où, n’importe quand. Afin qu’aucun d’entre nous ne puisse se sentir en sécurité », souligne Alexa Dubourg.Tué lors de l’assaut donné par le GIGN, Radouane Lakdim n’est plus là pour répondre de ses actes. « S’il avait été dans le box, nous aurions requis contre lui la réclusion criminelle à perpétuité », lance Alexa Dubourg. En son absence, on juge ici sept personnes qui, pour la plupart, gravitaient dans l’entourage du terroriste dans une cité de Carcassonne. Au total, cinq de ces accusés sont poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste (AMT). Les juges d’instruction ont retenu cette qualification estimant qu’ils avaient pu apporter une aide à Radouane Lakdim en ayant conscience de sa radicalisation mais sans connaître avec précision son projet d’attentat.

Au procès de l’attentat de Trèbes, la peine la plus lourde requise contre l’ex-petite amie du terroriste

« Un mauvais choix qui a eu des conséquences tragiques »,

La seconde avocate générale, Aurélie Valente, réserve sa première salve à Samir M., le plus proche ami du terroriste qui l’a accompagné acheter un couteau qui sera utilisé pour tuer le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame. « Il savait que Radouane Lakdim était radicalisé et il est allé avec lui acheter ce poignard de chasse, avec une lame de 15 cm. C’était son choix et c’était un mauvais choix qui a eu des conséquences tragiques », estime l’avocate générale qui requiert contre Samir M. une peine de 10 ans de réclusion criminelle.C’est maintenant au tour de Marine P., l’ancienne petite amie de Radouane Lakdim qu’elle a rencontré en octobre 2014. Elle avait alors 14 ans et lui 21 ans. C’est à son contact que l’adolescente s’est radicalisée, au point que lorsque les forces de l’ordre sont venues l’interpeller, elle a crié trois fois « Allah Akbar ». Interrogée la semaine dernière, la jeune femme a expliqué qu’elle faisait sa « maligne » à l’époque et a exprimé des profonds regrets. « J’étais amoureuse », a-t-elle expliqué, en ajoutant qu’elle ne « prenait pas au sérieux » Radouane Lakdim.Mais les mots de la jeune femme n’ont visiblement pas convaincu Aurélie Valente qui fait souffler la tempête dans le prétoire. « Marine P. n’est pas ici parce qu’elle avait une relation amoureuse avec Radouane Lakdim mais parce qu’elle s’est pleinement associée au projet mortifère porté par l’État islamique. On nous impose le narratif d’une jeune fille amoureuse et naïve mais il existe aussi une jeune fille dangereuse et jusqu’au-boutiste », affirme l’avocate générale en évoquant les nombreuses « vidéos de propagande, de torture, de décapitations d’enfants » que Marine P. consultait à l’époque ainsi que ses velléités, alors, de partir en Syrie.On sent surtout à travers les mots de l’avocate générale, que le parquet antiterroriste s’est longuement interrogé sur la peine à requérir contre cette jeune femme « dissimulatrice et radicalisée » à l’époque mais qui, après deux ans de détention provisoire, est sortie de la radicalisation et a évolué « positivement » vers la voie de la réinsertion. Au final, c’est contre elle que le parquet demande la peine le plus lourde, 11 ans de réclusion criminelle.Comme il l’avait fait avant le procès, le parquet estime que, pour trois autres accusés, il convient de retirer le caractère « terroriste » de l’association de malfaiteurs qui leur est reproché. C’est pour de simples faits de droit commun, en l’occurrence du trafic d’armes ou de stupéfiants, qu’il convient, selon l’accusation de condamner ces trois hommes contre lesquels elle requiert des peines de 8 ans, 6 ans et 12 mois dont 4 avec sursis. Enfin, contre les deux derniers accusés, pour des délits connexes en lien avec le terrorisme, le parquet demande des peines de deux ans et deux ans et demie ferme.Lors de l’audience, certaines victimes avaient demandé des « peines maximales » contre l’accusé. « On doit entendre cette colère sourde », explique Aurélie Valente. « Mais les accusés doivent être jugés pour ce qu’ils ont fait » et pas en « substitution » du terroriste, ajoute-t-elle, estimant qu’on « ne répond pas à la vengeance par la vengeance »