Les 7 péchés capitaux du Dr Aga (4/7) : La gourmandise


retouchée jusqu’aux oreilles par ma bru (cf une image mentale de moine tonsuré qui brandit un chapelet de saucisses, vous l’avez aussi ?) qui était dans le collimateur. Ma mère, qui a – presque – connu les croisades et fréquente encore assidûment les églises, m’affirme qu’aujourd’hui, par « gourmandise », il faut plutôt entendre addictions diverses. « C’est ça, ce qui est MAL », précise-t-elle en regardant alternativement ma main droite qui tient un verre de rosé et ma main gauche qui tient une Philip Morris. La saleté. Quand je pense qu’il y a encore trois ans, à 86 ans, elle fumait en cachette. Mais pas de quoi m’ébranler. J’ai décidé de tester des péchés que je ne connais pas : picoler et cloper davantage, en ce qui me concerne, ce serait comme se lancer dans la luxure en couchant avec son mari de toujours. Alors que manger à ma faim, ça, ce serait inédit. Depuis la chaise longue où elle grignote son déjeuner (la rondelle d’orange de son spritz), Christine approuve d’un hochement de tête. Comme moi, ma meilleure amie appartient à cette génération qui n’a quasiment rien boulotté depuis l’adolescence – à l’exception des grossesses où nous prenions toutes trente kilos, bien sûr. Comme moi, elle regarde avec stupéfaction ces jeunes filles des années 2020 aux cuisses dodues, et même souvent poilues, en les enviant de leur liberté, mais en se disant qu’elle n’aurait jamais le courage de laisser pousser son gras. Y a-t-il un moment où il est trop tard pour grossir ? Avec cette enquête sur la gourmandise, nous allons être fixées.

« Cela fait des années que je pense être plutôt un bec salé, mais après tout qu’est-ce que j’en sais ? »

Nous voilà, Christine et moi, bras dessus, bras dessous, dans les rues du village. Interdiction d’acheter des tomates, des filets de poulet ou de la salade, nous remplissons nos paniers de ce que mangent habituellement nos enfants, ou nos maris – c’est à peu près pareil, dès qu’on a le dos tourné : du sucre. Cela fait des années que je pense être plutôt un bec salé, mais après tout, qu’est-ce que j’en sais ? Cela fait tout autant d’années que je ne mange plus de gâteaux, sauf le soir de mon anniversaire, quand arrivent mes bougies, mais là je n’ai plus trop faim, allez comprendre. Bref, aujourd’hui, c’est le grand lâchage glucidique : croissants aux pignons, tarte fine aux abricots, mi-cuit au chocolat, nougat blanc, glaces à la crème et même cette chose qui n’a pas franchi la barrière de mes lèvres depuis trente ans, une tarte tropézienne. De retour à la maison, tout le monde assiste au déballage des paniers avec des cris de ravissement, comme si, Chris et moi, on avait rapporté une portée de chatons – ce moment où tu te rends compte que, sous couleur d’équilibre alimentaire, tu affames les tiens depuis des années. C’est parti pour la dégustation. Je plante gaiement une fourchette dans la tarte tropézienne « du créateur », vante l’emballage. Tiens, je ne savais pas que le bon Dieu fourrait lui-même des brioches à la crème pâtissière.Une bouchée plus tard, c’est le haut-le-cœur. Mais qu’est-ce que c’est PAS BON ! Nota bene : en écrivant ceci, le Dr Aga sait bien qu’elle risque de se faire casser les rotules lors de son prochain séjour dans la presqu’île, le Tropézien étant chauvin, mais seule la recherche de la vérité me guide (carte de presse 83456), et il est temps de le clamer haut et fort, comme je l’ai fait à la maison ce soir-là : « La tarte tropézienne, c’est immonde, en plus c’est même pas une tarte, juste du gras, du sucre et du mou empilés sur 4 mètres de haut ! Pourquoi j’ai acheté ça ? Pourtant je le savais, c’est le seul gâteau que vous ne finissez jamais, les enfants ! Quand votre père en rapporte, huit jours plus tard, dans le frigo, j’en retrouve un bout dans le papier jauni, mais le dessert, lui, a toujours la même tronche, c’est dire si c’est suspect ! » Ma famille m’observe, couverts en l’air, interloquée : « Pourquoi tu te mets dans des états pareils, Lilou ? » demande mon mari, la bouche pleine de beige. « Parce que je suis en train de niquer mon péché ! La gourmandise, je m’en faisais une joie, et en fait c’est nul, c’est comme la paresse, ça sert à rien ! J’en peux plus, c’est comme si j’étais condamnée à la vertu ! » Dans la tiédeur du soir, une voix s’élève alors, une voix de la sagesse qui, tiens donc, émane du corps sculptural de mon petit dernier (Paulo est différent, il est musclé comme une montagne et s’exprime volontiers comme un vigile de centre Leclerc) : « Ce que tu fais, là, maman, c’est le contraire de la gourmandise. La gourmandise, c’est quand on abuse d’un truc qu’on kiffe. Toi, t’aimes pas le sucre, ça fait vingt ans que je le sais, tu es la seule mère qui ne piquait jamais dans les desserts des enfants. Interroge-toi sur ce que tu aimes vraiment, et vas-y, régale-toi, wouala. » Mon regard passe alors des visages de ceux qui m’entourent, que je chéris si tendrement, à la bouteille de rosé, posée sur la table basse. Les premiers, je ne pourrai jamais en abuser, c’est sûr. Mais la picole et les clopes, au fond, elle est là, ma vraie passion. Alors l’idée de joindre les deux… Et c’est ainsi que j’ai passé une nuit enchanteresse, à fumer à la chaîne et à empiler des verres en écoutant Clara Luciani trop fort sur la terrasse, au milieu des gens que j’aime. Le lendemain, j’étais neuve. Je retire donc tout le mal que j’ai pu dire sur la gourmandise et je me demande même dans quelle mesure je ne devrais pas tester la luxure avec Didier. La suite, très vite.