L’Europe face à la crainte d’une vague de migrants afghans fuyant les talibans


La sortie a fait bondir la Turquie, où vivent déjà quelque 3,6 millions de réfugiés syriens. Fin juillet, dans une interview au quotidien Bild, le chancelier conservateur autrichien Sebastian Kurz a déclaré que, pour les futurs migrants Afghans, le pays dirigé par Erdogan serait un « meilleur endroit, plutôt que tout le monde venant en Autriche, en Allemagne ou en Suède ». Échaudé, Ankara a répondu, de son côté, qu’il « ne sera pas le garde-frontière ou le camp de réfugiés de l’Union européenne ». Alors que les talibans font tomber une à une les capitales régionales de l’Afghanistan, dont la 3e ville du pays, Hérat, le 12 août, et se rapprochent de Kaboul, les dirigeants européens craignent que le nombre de migrants frappant à leur porte n’explose, provoquant une crise semblable à celle de 2015, lorsque plus d’un million de Syriens ont mis un pied sur le Vieux continent. 
De fait, l’offensive menée par les talibans depuis mai, au début du retrait final des troupes américaines et étrangères d’Afghanistan, a déjà accéléré les déplacements de population. « Des bus remplis de personnes fuyant les provinces du Nord arrivent chaque jour à Kaboul, où les parcs publics se transforment en camp de fortune », témoigne Nassim Majidi, fondatrice du centre de recherches Samuel Hall, basé dans la capitale. L’Organisation internationale des migrations fait état de 360 000 déplacés internes sur 2021. Elle a aussi indiqué que 40 000 Afghans franchissent chaque semaine les frontières avec l’Iran et le Pakistan depuis le début de l’été. Des chiffres qui pourraient être en deçà de la réalité : « Le conflit s’intensifie si vite que les organisations ne sont pas capables, actuellement, de produire des données fiables », précise Nassim Majidi. 
L’évolution de la guerre, ces prochaines semaines, devrait avoir un impact important sur les futurs flux de migrants vers l’extérieur. « Il pourrait être beaucoup plus fort si les talibans conquièrent tout le pays, sans qu’un accord soit signé avec le gouvernement actuel, estime Camille Le Coz, chercheuse à l’institut Migration Policy. En vingt ans de présence étrangère, une classe moyenne ouverte sur le monde, attachée au droit des femmes, a émergé dans les grandes villes du pays et n’est pas prête à vivre sous un régime ultra-rigoriste. » 
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L’UE veut aider l’Iran et le Pakistan

Conscients du bouleversement en cours, les voisins de l’Afghanistan se préparent déjà à voir débarquer des files d’Afghans fuyant vers leurs territoires. Au nord, le Tadjikistan a annoncé la création de structures d’accueil pour 100 000 personnes. La plupart des émigrés devraient cependant grossir les rangs des 1,4 million de réfugiés afghans répertoriés par l’ONU au Pakistan et 800 000 en Iran – environ deux fois plus en comptant les « illégaux ». Problème : ils ne seront pas les bienvenus. Les autorités pakistanaises ont annoncé que les réfugiés ne seraient plus dispersés à travers le pays, comme par le passé, mais confinés dans des camps à la frontière, avec interdiction de quitter cette zone, comme le fait déjà… l’Iran. Pour les pousser néanmoins à contenir sur leurs territoires les futurs migrants, la Commission européenne réfléchit à de nouvelles aides. 
Car à la différence de 2015, les Vingt-Sept sous-traitent, dorénavant, à des pays tiers, la gestion des flux migratoires visant l’Europe. Une tendance émerge : Ils aimeraient ainsi élargir aux Afghans l’accord de maintien des réfugiés syriens sur le territoire turc conclu en 2016, contre 6 milliards d’euros d’aide. Ce n’est pas gagné : Ankara a répondu qu’il n’en était pas question. Une façon de faire monter les enchères ? L’opinion turque n’est pas favorable à un tel accueil, alors que l’économie est à la peine et que leur pays a déjà beaucoup fait pour les Syriens fuyant la guerre. Les autorités n’accordent déjà pas le statut de réfugiés aux Afghans, exclus de l’aide sociale humanitaire dont bénéficient les Syriens. Ils seraient jusqu’à 800 000 sur le territoire turc, selon les associations qui les défendent, en majorité sans aucun statut – 120 000 seulement ont déposé une demande d’asile. Par crainte de voir ce nombre augmenter, la Turquie érige actuellement un mur de béton de trois mètres de haut doublé de barbelés et d’une tranchée sur près de 300 kilomètres à sa frontière avec l’Iran, où elle a renforcé le déploiement de forces de sécurité. 
Le conflit en AfghanistanPaz PIZARRO / AFP

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Pour l’heure, la dégradation de la situation afghane ne se fait pas sentir dans ces confins anatoliens. Les autorités turques affirment que les migrants ne sont pas plus nombreux que l’année dernière à traverser la frontière avec l’Iran – elles indiquent en avoir arrêté 55 000 depuis le début de l’année, contre 105 000 en 2020. Un constat confirmé par Mahmut Kacan, coordinateur de la Commission de l’asile et de la migration de l’association du barreau de Van, capitale de la principale province d’entrée, à l’est du pays. « On ne les voit pas envahir les parcs ou les gares, comme ce fut par exemple le cas lors de la vague d’arrivées de 2008 à 2010, lorsqu’ils étaient poussés hors de l’Iran par le président Mahmoud Ahmadinejad, précise l’avocat. Ceux que l’on voit sont pour la plupart des hommes jeunes et seuls, qui rejoignent une grande ville pour travailler et réunir de l’argent pour faire venir un parent, avant de tenter, pour certains, de rejoindre l’Europe. » 
Ce périple, ne concerne, pour l’instant, qu’une fraction d’entre eux. En 2020, les Afghans comptaient pour à peine 8% des franchissements irréguliers des frontières de l’UE (un peu plus de 10 000), selon l’agence Frontex, essentiellement par la route des Balkans ou la mer Égée, très surveillée par les Européens. Et ils représentaient également 10% des demandes d’asile en cours de traitement (environ 44 000, dont 10 300 en France), juste après les Syriens (15%). Des nombres voués à augmenter. Sans que l’on sache, encore, en quelles proportions. 

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