Magistrat désormais à la retraite, Renaud Van Ruymbeke a enquêté pendant vingt ans sur les infractions financières en France et sur leurs ramifications internationales. Dans son livre intitulé Offshore – Dans les coulisses édifiantes des paradis fiscaux*, il peint un tableau sombre d’une délinquance prospère. Des évaluations émanant d’institutions internationales estiment à 8 700 milliards de dollars l’argent caché dans les paradis fiscaux. Comment expliquer l’énormité de ce chiffre ?De plus en plus d’argent circule dans l’économie mondialisée, la masse cachée gagne en conséquence. Il est pourtant impossible de répondre précisément, car qui est en mesure d’indiquer les sommes dissimulées dans les îles Caïmans ? ou bien dans n’importe lequel des paradis fiscaux où les comptes sont anonymes et les sociétés, non soumises à l’impôt ? En 2009, la fin des paradis fiscaux avait été proclamée un peu vite par le président Nicolas Sarkozy !
Les juges sont confrontés à une ingénierie de plus en plus sophistiquée comme on l’avait vu au Panama avec Mossack Fonseca à l’occasion des révélations des Panama Papers Pourquoi n’a-t-on jamais de réponse de Dubai lorsqu’on demande des informations sur un compte bancaire ? La plupart des avoirs russes que l’on cherche à sanctionner depuis l’invasion de l’Ukraine y sont à l’abri.
« Nous devons rester à notre place et n’avons pas à nous substituer aux politiques »
N’avez-vous pas un sentiment de frustration face à ces entraves ?Si, bien sûr. Je me souviens d’une affaire concernant une banque russe où 200 millions de dollars étaient en jeu. On m’avait répondu la banque avait fermé, qu’il n’y avait plus aucune pièce comptable. Une autre fois, aux îles Vierges, on m’avait expliqué que les codes informatiques avaient été modifiés et que les anciens n’étaient plus accessibles ! Vous avez lancé avec des collègues suisses l’appel de Genève en 1996. Faut-il une internationale des juges pour être efficace ?C’était une action ponctuelle, pas une internationale des juges. Nous devons rester à notre place et n’avons pas à nous substituer aux politiques.
« Pourquoi ne pas imaginer une COP fiscale engageant les États ? »
Y a-t-il des solutions vraiment convaincantes ?Les règles doivent s’imposer à tous au sein de l’Europe. Il faut renoncer à la realpolitik et d’abord s’engager sur un point : l’évasion fiscale doit être considérée au même titre que la fraude. Inquisition fiscale ? Le mot ne me fait pas peur. Il est aussi souhaitable de proscrire les sociétés fictives et de leur interdire d’ouvrir des comptes bancaires, tout comme de sanctionner les intermédiaires et hommes de paille en tout genre. Pourquoi ne pas imaginer une COP fiscale engageant les États ? Le surgissement des lanceurs d’alerte est un signe positif. Il fait passer un bon message aux fraudeurs : personne n’est à l’abri.*Éditions Les Liens qui libèrent, 272 pages, 20 euros.