comme l’Italie, la France devrait signer des conventions bilatérales avec les États étrangers


TRIBUNE – Pour réduire les flux migratoires, le ministre de l’Intérieur pourrait, entre autres, s’inspirer de la politique de coopération mise en place par Giorgia Meloni, estime l’avocat.

Avocat et essayiste, Philippe Fontana notamment publié La vérité sur le droit d’asile (Éditions de l’Observatoire, 2023).

Répondre à la forte demande de régulation des Français en matière d’immigration se heurterait vite aux engagements européens et internationaux souscrits par la France dans ce domaine.

Depuis l’adoption du traité d’Amsterdam, les questions de l’immigration et de l’asile relèvent en effet de compétences partagées entre la France et l’Union européenne. Amputé de sa souveraineté sur le contrôle de ses frontières, notre pays ne peut, de sa propre initiative, s’abstraire de la «directive retour» de 2008. Or, ce texte limite les possibilités d’éloignement et la Cour de justice de l’Union européenne en a fait une interprétation maximaliste (qu’il s’agisse de la possibilité de pénaliser le séjour irrégulier ou de l’effet utile de la fermeture temporaire des frontières intérieures, pourtant permise par le système Schengen). Comme l’a justement relevé l’actuel ministre de l’intérieur, cette directive ne facilite pas l’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Le droit de l’UE privilégie le retour volontaire, qui est souvent illusoire, ne serait-ce que parce qu’il ruine l’investissement consenti par l’étranger auprès des passeurs.

La directive retour n’a pas été remise en cause par le récent «pacte sur la migration et l’asile» adopté en mai 2024. Celui-ci comporte cependant quelques progrès dans le sens de la régulation. Il permettra notamment de retenir dans des centres fermés, à la frontière extérieure de l’Europe et le temps de l’examen de leur demande, les personnes originaires de pays assez «sûrs» (selon le taux de rejet par nationalité) pour présumer que l’asile sera in fine refusé. Son entrée en vigueur n’est cependant prévue qu’en juin 2026. Dans l’intervalle, l’Europe continuera à subir le détournement du droit d’asile par des migrants aux visées purement économiques.

Rappelons que, en vertu du principe de non-refoulement des demandeurs d’asile, ceux-ci voient leur séjour régularisé du seul fait de leur présence en Europe, même s’ils y sont entrés illégalement. En 2023, l’Union européenne a ainsi accueilli 1.130.000 étrangers demandeurs. Pour plus de la moitié, ils seront déboutés, mais seuls 20% de ces derniers seront effectivement éloignés. Encore s’agit-il là de la moyenne européenne. En France le taux d’éloignement spécifique aux demandeurs d’asile ne dépasse pas 2% selon un rapport de la Cour des comptes publié début 2024.

L’Italie a constaté une baisse de 60% des entrées sur son territoire par la mer, singulièrement par l’île de Lampedusa.

Outre ses conséquences sur les équilibres socio-culturels des États membres, l’absence de politique migratoire ferme coûte cher aux contribuables européens. Le budget qui lui est consacré par l’UE au titre du fonds «asile, migration et intégration » (FAMI) a triplé en dix ans, pour atteindre 9,9 milliards d’euros entre 2021 et 2027. Une somme de 845 millions d’euros a été consacrée en 2023 à l’agence Frontex, chargée de la «surveillance» des frontières extérieures de l’Union, mais dont l’activité relève essentiellement du sauvetage en mer, puisque le droit européen lui interdit de refouler. Le budget de chaque État membre est non moins impacté. En France, le projet de loi de finances pour 2025 prévoit plus de deux milliards d’euros au titre de la mission «immigration, asile et intégration», dont un faible pourcentage pour les centres de rétention administratifs.

Si le ministre de l’Intérieur bénéficie du soutien du premier ministre sur la question migratoire, les divisions affectant sur ce sujet le gouvernement et le bloc central des députés limitent politiquement sa marge de manœuvre. Il n’a la main libre que dans l’exercice de ses pouvoirs propres (arrêtés d’expulsion par exemple). Ceux-ci ne sont pas pour autant négligeables. Ainsi, est d’ores et déjà annoncée la refonte de la circulaire signée par Manuel Valls en novembre 2012, qui permettait de régulariser 30.000 clandestins annuellement. 

Bruno Retailleau pourrait relancer la coopération avec les États étrangers. Aucune nouvelle convention bilatérale en matière de flux migratoires n’a été passée depuis la fin des années 2000, notamment avec les États africains. La créativité juridique de Madame Meloni consistant à transférer à des pays tiers sûrs certains demandeurs d’asile, le temps d’examiner leur demande, ou à coopérer avec les pays de transit pour diminuer les arrivées, produit des résultats. L’Italie a ainsi constaté une baisse de 60% des entrées sur son territoire par la mer, singulièrement par l’île de Lampedusa.

Le seul fait de placer certains demandeurs d’asile dans un centre de rétention administrative, le temps de l’examen de leur requête, élèverait le taux de reconduite.

La directive «Procédures» du 26 juin 2013 permet de différencier le traitement des demandes d’asile selon que le demandeur provient ou non d’un «pays sûr». Dans le cas d’un pays de provenance «sûr», la procédure d’examen est allégée et accélérée. En France, la liste des pays sûrs ne comptait que 16 États en 2015 (dont beaucoup de faible importance migratoire) et n’a pas été revue par l’OFPRA depuis lors. Des associations comme la Cimade ont même obtenu du Conseil d’État que trois États africains (Sénégal, Bénin et Ghana) soient rayés de la liste. Exerçant la tutelle de l’Ofpra, le ministre de l’Intérieur pourrait obtenir que cette liste soit significativement complétée.

Plusieurs pistes s’ouvrent en outre au ministre de l’Intérieur dans le cadre du projet de loi sur l’immigration annoncé par la porte-parole du gouvernement.

Tout d’abord, la directive «Procédures» pourrait être étendue, comme elle le permet, et malgré les réticences manifestées en 2018 par le Conseil d’État, aux «pays tiers sûrs». Pourrait également être tiré de la Convention de Genève (comme l’a admis en 1991 le Conseil d’État dans un arrêt d’Assemblée) le principe selon lequel une demande manifestement dilatoire fait perdre au demandeur d’asile son droit au séjour pendant l’examen de sa demande.

Pourrait aussi être utilisée la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1993 qui admet que, dans certaines circonstances (notamment en cas de menace pour l’ordre public), il peut être fait exception au droit au séjour pendant l’examen de la demande.

Ces exceptions au droit au séjour, acceptées par ces jurisprudences, laissent au législateur la possibilité de rejeter plus rapidement les demandes présentées par des personnes provenant de pays d’origine ou de transit sûrs. Le seul fait de placer certains demandeurs d’asile dans un centre de rétention administrative, le temps de l’examen de leur requête, élèverait le taux de reconduite.

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Qui plus est, certains déboutés du droit d’asile – lesquels ne bénéficient pas du droit au non-refoulement prévu par la Convention de Genève – pourraient même être éloignés dans un pays tiers dans le cadre d’un accord bilatéral présentant des garanties d’accueil suffisantes au regard de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Un tel accord permettrait d’éloigner vers un pays tiers sûr les déboutés qui, pour des raisons matérielles ou diplomatiques, ne peuvent être aujourd’hui renvoyés dans leur pays d’origine (les Afghans par exemple). 

Ces mesures concourraient à la seule politique d’asile laissant espérer, au niveau européen, une baisse significative de la pression migratoire : l’examen des demandes hors de l’Union européenne.