Loire-Atlantique : ça coûte combien d’enfariner un candidat aux élections ?


Par Rédaction Guérande
Publié le 3 Déc 21 à 11:44 

L’Écho de la Presqu’Île

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Le tribunal de Nantes a au final requalifié les « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique sans incapacité » en simples « outrages sur personne dépositaire de l’autorité publique » ©PressPepperLa jeune animatrice périscolaire qui avait enfariné le député LREM François de Rugy le 11 juin 2021, sur la place du Bouffay dans le centre-ville de Nantes (Loire-Atlantique), a été condamnée ce mercredi 1er décembre 2021 par le tribunal correctionnel de Nantes à accomplir un « stage de citoyenneté » sous six mois.

De Rugy pas présent au procès

Emilie, une Nantaise de 24 ans, a en effet été reconnue coupable pour ces « outrages » : elle était initialement poursuivie pour « violences sur une personne dépositaire de l’autorité publique sans incapacité » et « refus de se soumettre aux opérations de relevé signalétiques intégrés dans un fichier de police par personne soupçonnée de crime ou délit ».L’ancien ministre et président de l’Assemblée nationale, qui était au printemps dernier tête de liste aux élections régionales en Pays de la Loire, n’était ni présent ni représenté à l’audience par un avocat. Il ne s’était pas non plus constitué partie civile pour toucher des dommages et intérêts.Pour rappel, les faits s’étaient produits en fin de soirée, vers 19 h 55 : une « patrouille pédestre » de policiers nationaux avait eu son « attention attirée par une personnalité » attablée à la terrasse du Peter Mc Cool, un pub irlandais installé place du Bouffay, a relaté la présidente du tribunal correctionnel de Nantes.

Farine au visage

Les fonctionnaires avaient alors vu « avancer d’un pas pressé » la jeune femme, jeter « violemment » de la farine au visage de François de Rugy alors que celui-ci parlait avec son assistant parlementaire, puis « partir en courant ». Vite interpellée, son arrestation avait été « agitée » : « plusieurs personnes avaient tenté de s’interposer », « vociféraient » et « filmaient la scène ».La scène avait été effectivement relayée deux heures plus tard, dans un montage vidéo, sur les comptes Facebook et Twitter de « Nantes Révoltée », le « média autonome et engagé sur les luttes sociales et environnementales ».François de Rugy avait porté plainte, entre-temps, au commissariat central de police de Nantes : il avait dit avoir eu « un peu mal aux yeux sur le moment » mais « ne pas avoir été blessé » par cette jeune femme « masquée ».Cette action était toutefois « préméditée » et « concertée » par Nantes Révoltée, selon lui ; « une militante de l’ultra-gauche » nantaise avait d’ailleurs été vue sur place par les policiers, mais celle-ci n’avait pas été poursuivie.

« Exprimer une protestation »

Lors de l’audience, Emilie a expliqué aux juges n’avoir « pas anticipé la médiatisation » de son geste : elle a simplement voulu, avec cet enfarinage, « exprimer une protestation contre la politique » défendue par François de Rugy.« L’enfarinage et l’entartage d’hommes politiques sont quelque chose d’assez fréquent, ils sont d’ailleurs rarement poursuivis », a-t-elle souligné.« Ici, ce n’est pas une tribune politique », a recadré la présidente. « Le mobile est indifférent, en droit pénal ; cela veut dire que les motivations sous-jacentes à votre acte, que ce soit par motivation politique ou pour faire une blague, ne seront pas prises en compte par le tribunal. »Ce « moyen d’expression visuel », « inoffensif » et « amusant » n’était en rien des « violences », a toutefois répété Emilie.

« C’est quelque chose qui se fait très fréquemment dans les soirées d’intégration étudiantes. »
La prévenue

« Ça s’appelle du bizutage, et c’est proscrit par la loi », lui a répondu sur ce point la présidente du tribunal correctionnel.Cette titulaire d’une maîtrise en langues, qui était intérimaire au moment des faits et qui touche actuellement 600 € par mois, n’avait jusqu’alors été condamnée qu’une fois pour avoir refusé de se livrer à un prélèvement d’empreintes ADN.

« La victime se retrouve ridiculisée »

« La personnalité de la victime n’est évidemment pas indifférente dans ce dossier », avait appuyé le procureur de la République pour la faire condamner pour ses « violences ».« La farine est une substance étrangère que la victime n’a pas envie de se voir recouvrir », avait-il argumenté. « Il est donc atteint dans son corps, dans son intégrité physique. »« Certes, ces violences ne sont pas commises avec une matraque, mais cela va l’atteindre aussi dans son honneur », avait développé le représentant du ministère public.

« La victime se retrouve ridiculisée, dans une situation clownesque. »
Le procureur

« Est-ce cela la façon dont on doit mener le débat démocratique en France ? Pas de paroles, pas d’arguments : on se précipite vers son ennemi politique et on repart en courant », s’était-il donc interrogé.« Si demain madame voit des jeunes hommes enfariner des militantes féministes en train de coller des affiches, va-t-elle les applaudir et protéger leur fuite ? ».

« L’absence de vergogne du parquet »

Le procureur de la République avait souligné au passage « la sagesse » de François de Rugy de « ne pas être venu jeter de l’huile sur le feu », en ne se constituant pas partie civile. Il avait requis à l’encontre de la prévenue six mois de prison avec sursis, une amende de 300 € pour ne pas s’être prêtée à un prélèvement d’empreintes ADN, une privation de ses droits civiques pendant un an et un « stage de citoyenneté ».Me Pierre Huriet, l’avocat de la défense, a lui fustigé « l’absence totale de vergogne du parquet de Nantes en général » dans cette affaire : il a rappelé qu’un maintien en détention provisoire avait été requis à l’issue de la garde à vue de cette jeune femme alors décrite comme « incontrôlable », avec un renvoi en comparution immédiate.« Quand il a vu cela, le juge des libertés et de la détention a éclaté de rire et l’a remise dehors… C’est dire le camouflet », a commenté l’avocat de la défense.Il avait critiqué au passage la « petite peine humiliante » requise par le procureur à l’audience à travers ce « stage de citoyenneté ».

 « Honnêteté intellectuelle »

« On veut lui faire comprendre qu’elle n’est pas une bonne citoyenne », avait grincé Me Pierre Huriet.L’avocat avait également salué « l’honnêteté intellectuelle » de François de Rugy, qui n’avait jamais dit avoir été « blessé » dans cette affaire.« Il n’a pas dit qu’il a vu sa vie défiler, qu’il a cru que c’était de l’anthrax », avait souligné Me Pierre Huriet.Sa cliente, pour sa part, s’était dite « un peu frustrée » à l’issue des débats.« Je vois qu’on parle quand même des choses très politiques, quand on requiert contre moi un stage de citoyenneté, mais je suis la seule à ne pas pouvoir en parler », avait-elle déclaré.

« Quand les moyens les plus inoffensifs sont judiciarisés, cela pose des questions sur le débat démocratique. »

Le tribunal a au final requalifié les « violences sur personne dépositaire de l’autorité publique sans incapacité » en simples « outrages sur personne dépositaire de l’autorité publique ». Elle a aussi été relaxée pour le refus de prélèvement d’empreintes génétiques « faute d’éléments suffisants en procédure pour caractériser l’infraction ».Outre le « stage de citoyenneté » à accomplir dans les six mois à venir – sans quoi elle s’exposerait à deux mois de prison ferme -, Emilie devra payer 127 € au Trésor public pour les frais générés par son propre procès.Cet article vous a été utile ? Sachez que vous pouvez suivre L’Écho de la Presqu’île dans l’espace Mon Actu . En un clic, après inscription, vous y retrouverez toute l’actualité de vos villes et marques favorites.