à Strasbourg, la ministre en charge du dossier tente l'apaisement


« Une petite injection. N’importe quoi qui aurait pu le soulager… Parce que, quand vous entendez un mari qui gémit jour et nuit : ”aide-moi, aide-moi, toi qui est infirmière, tu peux faire le nécessaire” ». Le propos est décousu, coupé par l’émotion, mais toute la pièce a compris, et reste suspendue aux lèvres de Marguerite. Devant l’ancienne infirmière, âgée de 90 ans, la ministre déléguée à la Santé, chargée de l’organisation territoriale et des professions de santé, Agnès Firmin-Le Bodo, garde sa contenance et écoute. 

Cette dernière est venue à Strasbourg, lundi 10 juillet, uniquement pour cela. Écouter. Pas de grandes annonces, pas de meeting, mais un temps d’échanges, réunissant près de 90 personnes pour parler de la future loi sur la fin de vie, qu’elle a pour mission de préparer et de défendre, en reprenant les contributions de la Convention citoyenne sur la fin de vie. Au gré des questions – souvent chargées de douleurs – la réunion publique prend une tournure inédite, où le politique se mêle à l’expérience personnelle, intime ou professionnelle. 

à Strasbourg, la ministre en charge du dossier tente l'apaisement

« Je t’en supplie Agnès… »

Lorsqu’elle fait face à son ancienne camarade de patinage, Marguerite, qu’elle a connue « il y a plus de trente ans », elle peut très vite prendre la mesure des espoirs entourant le projet de loi. Face à elle, l’ancienne infirmière en traumatologie s’exprime sans filtre  : 

« Moi je trouve qu’il faut absolument faire avancer cette loi, parce que voir quelqu’un se dégrader jour et nuit, c’est horrible (…). Je t’en supplie Agnès, parce que je t’adore, parce qu’on a passé des moments agréables ensemble, dans la joie. J’aimerais que ce message soit entendu et qu’on puisse faire quelque chose. »

Émue par l’interpellation, l’audience scrute alors le visage de l’ancienne députée havraise. Loin d’être désarmée, elle reprend son phrasé ministérielle, neutre et rassurant  : 

« Marguerite, je vais répondre assez vite à ta question. Le projet de loi que nous sommes en train d’écrire pourra répondre à ces situations, pour lesquelles la loi Claeys-Leonetti reste muette. (…) L’ouverture de cette aide active à mourir est l’une des réponses, lorsque le pronostic vital est engagé et que les souffrances ne peuvent être soulagées. »

La loi Claeys-Leonetti qu’évoque la ministre est à l’origine d’une bonne part des frustrations dans la salle. Promulguée 2016, cette loi ouvre le droit à une « sédation profonde et continue jusqu’au décès », mais reste très encadrée  : le patient doit souffrir de façon insupportable et son décès doit être inévitable et imminent. La nouvelle loi propose de faire passer la condition de décès imminent, vers celle d’un décès inévitable à moyen terme. 

(Photo Roni Gocer / Rue89Strasbourg).

Aucun consensus entre médecins

Dans la grande salle blanche de la Maison des syndicats, le public pourrait se diviser de plusieurs façons. En premier lieu, on pourrait dissocier les têtes grises des plus jeunes – venus tout de même en nombre. Ou dissocier ceux directement concernés, porteurs de témoignages lourds, des curieux venus se renseigner. Une ligne de démarcation bien plus nette se remarque vite  : les soignants et les autres.

Nombreux dans l’assistance, ils étaient loin d’être d’accord entre eux. L’un d’eux, médecin en soin palliatif, réclame ainsi une plus grande facilité pour les médecins de déclarer leurs patients en soin palliatif, en exposant son expérience  :

« J’ai eu un patient qui se sentait en souffrance, mais qui n’osait pas s’opposer à sa mère sur le sujet. Je suis rentré en conflit pendant deux-trois semaines avec la famille, puis finalement c’est resté comme ça. Ce type de situation m’est arrivé plusieurs fois. »

« Malheureusement, certains ne sont pas toujours soignés, ils échappent à tout suivi et partent parfois très loin. C’est gens-là, si vous leur proposez la fin de vie, ils l’accepteront tout de suite. »

« Vous voyez bien qu’à travers ces différentes positions, entre ceux qui souhaitent une ouverture très large, et ceux qui ne veulent pas que ça change du tout, légiférer ne va pas être simple », commence la ministre, en reprenant le micro. « La position du gouvernement est très claire sur ce sujet. Nous allons construire une loi avec des restrictions. Il faut que la demande soit réitérée et qu’il y ait un discernement, que la personne ne soit pas mineur, et qu’il y ait un décès à moyen terme. »

sans être plus précise sur la date avancée.