La mort de Frans de Waal, le primatologue qui voulait remettre « sapiens » à sa place


Frans de Waal, à Paris, le 20 février 2012. STÉPHANE LAVOUÉ / PASCO&CO S’il est une question qui agaçait copieusement Frans de Waal, c’était bien « le propre de l’homme ». Après quarante ans à étudier les chimpanzés et les bonobos, il avait même fini par proposer, il y a dix ans, un moratoire sur les recherches comparatives entre nous autres les humains et nos cousins primates.

« Dans ma vie, j’ai dû voir vingt-cinq propositions sur le propre de l’homme, déclarait-il ainsi au Monde en 2016. Toutes sont tombées. On perd notre temps.

La mort de Frans de Waal, le primatologue qui voulait remettre « sapiens » à sa place

(…) Pourquoi toujours chercher ce qui nous est unique, à nous ? » Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Frans de Waal : « Il est temps d’arrêter de courir après le propre de l’homme » Ajouter à vos sélections Au journaliste qui lui demandait si vraiment, sapiens ne présentait rien d’unique, il finissait par répondre dans un sourire : « Son arrogance, oui, peut-être. » Demi-boutade, demi-vérité profonde, un des modes favoris d’expression du primatologue. Les innombrables lecteurs de ses dix-sept livres aimaient, du reste, ce style sans pareil, drôle et précis, mélange d’expériences scientifiques, d’anecdotes piquantes et de réflexions conceptuelles.

Ils vont désormais devoir s’en passer. Frans de Waal est mort d’un cancer de l’estomac, jeudi 14 mars, à l’âge de 75 ans, à Atlanta (Géorgie), où le Néerlandais naturalisé américain vivait depuis 1981. S’il a consacré sa vie aux primates, c’est pourtant en élevant des choucas sur le bord de sa fenêtre, à Bois-le-Duc (Pays-Bas), que ce quatrième enfant d’une famille de six garçons, né le 29 octobre 1948, est sensibilisé à la richesse des comportements des animaux.

Les étudier devient vite une passion dévorante. Il songe alors, tout naturellement, à l’ornithologie. Mais à l’université d’Utrecht, il croise les pas de Jan van Hooff, pionnier de l’étude des émotions chez les primates.

Son destin est scellé. Car le maître découvre un élève aussi scrupuleux qu’imaginatif. Si bien que, en 1975, il lui confie un projet de six ans, au zoo d’Arnhem, alors la plus grande colonie captive de chimpanzés au monde.

Mission dont le jeune homme s’acquitte en marge de son doctorat sur les alliances des macaques à longue queue. De cette expérience, Frans de Waal tire un premier livre en 1982, traduit dix ans plus tard en français (La Politique du chimpanzé, éd. du Rocher).

Certes, les mâles usent de la force dans des affrontements parfois d’une extrême violence, observe-t-il. Mais là n’est pas l’essentiel. Pour la première fois, le chercheur décrit les « manœuvres politiques » utilisées pour gravir les échelons de la hiérarchie sociale.

 Le mâle alpha est parfois le plus fort, parfois pas. En revanche, il est toujours celui qui sait construire les meilleures alliances. Des comportements qu’il n’hésite pas à qualifier de « machiavéliques ».

Dans le monde de l’éthologie, où l’anthropomorphisme relève du péché mortel, le jeune chercheur détonne. Certains collègues grincent des dents, d’autres applaudissent la rigueur de ces premières observations. Les lecteurs, eux, sont déjà conquis.

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