Par
Rédaction Cahors
Publié le
16 août 2024 à 17h00
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Pierrette Pradal et Charles Albin n’auraient jamais du se rencontrer. Le hasard de la vie a réuni cette jeune femme originaire de Montcuq et ce soldat noir de plus de deux mètres, originaire de Martinique. Leur fils aîné Thierry Albin ouvre l’album de souvenirs de la famille pour évoquer cette belle histoire d’amour, sur fond de guerre en Algérie, de lettres échangées… La belle histoire de l’été.
Ils grandissent à 7000 km l’un de l’autre
C’est une histoire d’amour comme on n’en connaîtra bientôt plus. Aujourd’hui, avec la technologie, tout va très vite. Peut-être trop vite. À l’heure d’internet, on peut communiquer avec le monde entier en quelques secondes. Les applications de rencontres permettent de multiplier les rendez-vous en deux ou trois clics, le rapport au temps est constamment tendu.Qui attend encore des semaines, voire des mois, avant de pouvoir recevoir un courrier ? Qui de nos jours reçoit encore des lettres d’amour par La Poste ?Seules les anciennes générations peuvent témoigner de cet interminable languissement plein d’espoir et d’impatience de voir enfin arriver le facteur porteur d’une lettre de l’être aimé, espérée la plus longue possible. Précieux trésor qui sera lu et relu chaque jour, voire plusieurs fois par jour. Cette histoire d’amour montcuquoise pourrait donc bien être une sorte d’éloge de la lenteur.Pierrette Pradal et Charles Albin n’étaient pas censés se rencontrer. Ils n’ont pas d’amis en commun, et surtout, ils vivent à près de 7 000 km l’un de l’autre. Charles Albin naît aux Antilles le 30 août 1937 dans la ville de Robert sur le littoral atlantique de la Martinique. Il passe son enfance dans le décor paradisiaque de la plage, des colibris, des poissons-lunes et de la barrière de corail.Vidéos : en ce moment sur ActuIl grandit avec un rêve, devenir pilote de chasse. Il nourrit cette ambition jusqu’à ce qu’il soit en âge de passer les tests pour intégrer l’armée de l’air. Il les réussit tous, malheureusement l’examen visuel tombe comme un couperet : il est recalé à cause de sa myopie.
Dans la tourmente de la guerre, un espoir
Pierrette Pradal naît le 17 mars 1939 à Montcuq. Sa famille est installée au village depuis des générations. Ses parents fabriquent des matelas garnis de laine de mouton cardée dans la grande maison familiale au 24 faubourg Saint-Privat. Ils s’occupent aussi du charbon et des bouteilles de gaz. Cette maison fait partie des plus grosses bâtisses du village et porte en ses murs les souvenirs du Montcuq d’autrefois.La vie va leur offrir la possibilité de croiser leur trajectoire par le biais d’un événement dramatique : la guerre d’Algérie. Sur son île, Charles est bien loin de ce marasme épouvantable, mais il a l’âge d’effectuer son service militaire et l’armée le recrute pour l’enrôler dans cette guerre. Il quitte la Martinique pour rejoindre Toulon où il apprend les fondamentaux de l’armée. Il est ensuite transféré à Marseille, puis c’est le départ pour l’Algérie, où il restera trente-sept mois.Trente-sept mois interminables sans aucune permission, loin de tout, de sa famille, de ses amis, de son île paradisiaque et de ses rêves d’enfant envolés. Pourtant, au milieu des horreurs de la guerre, naît une timide lueur de bonheur, tremblotante, vacillante, invraisemblable. Depuis Montcuq, ce minuscule village du Lot bien éloigné des affres de la guerre, Pierrette a à cœur d’apporter son soutien aux soldats français à la hauteur de ses possibilités. Elle fait le choix de devenir marraine de guerre.Ce rôle consiste à tenir une correspondance avec un soldat, attribué au hasard. Ce courrier est comme une bouffée d’oxygène, un réconfort psychologique qui participe au moral des troupes. Pierrette commence à écrire à Charles sans le connaître, elle lui parle de son village, de sa famille, de sa vie, de ses projets.Il lui répond en décrivant son île, l’éducation stricte qu’il a reçue de ses parents enseignants. Il lui confie son désir de ne pas suivre le même chemin professionnel, et son envie de fonder une famille.Au fil du temps, les écrits finissent par rapprocher ces deux êtres qui ne se sont jamais rencontrés.
Elle sait qu’il n’a pas la même couleur de peau, il le lui a écrit, et cela n’a pas d’importance pour elle. De l’inconnu naît la curiosité, puis l’intérêt se transforme en amitié amoureuse jusqu’à devenir un véritable amour incontournable.
Charles fait la promesse à Pierrette de venir la voir dans son village sitôt son engagement terminé. De Montcuq il ne connaît rien, mais il s’avère que dans son bataillon se trouve un soldat montcuquois. En 1960, lorsque tous les deux sont libérés de leurs obligations militaires, Charles emboîte le pas de son compagnon de régiment qui le guide en train puis en bus jusqu’au village tant imaginé. Le dernier trajet de Cahors à Montcuq le mène directement à l’arrêt situé au Faubourg Saint-Privat, à quelques mètres de la maison de Pierrette.
Thierry Albin, le fils aîné de Pierrette Pradal et Charles Albin, devant la maison familiale du Faubourg St-Privat à Montcuq. ©Cécile Ingalls
Un amour au-delà de la mort
Lorsque ses pieds descendent du bus et se posent enfin sur le sol montcuquois, c’est une grande partie du voisinage qui guette l’arrivée de ce soldat dont tout le monde connaît l’existence. Des dizaines d’yeux sont braquées sur lui. Il porte ses vêtements militaires. C’est un bel homme impressionnant. Non seulement en raison de la couleur de sa peau mais aussi de par sa carrure : 2,02 mètres, 127 kg, et puis le prestige de l’uniforme de ceux qui se sont battus pour la France. Les villageois d’ici n’ont jamais vu d’homme noir, c’est sûrement ce qui explique leur présence aussi nombreuse à l’arrêt de bus.
Dans les regards qui le fixent, Charles lit immédiatement de la bienveillance, avec aussi une pointe d’admiration. Il se sent accepté tel qu’il est, et il en sera ainsi durant toutes les années passées à Montcuq. Charles devient affectueusement Charly.
Jamais un mot ou un comportement ne l’a fait se sentir différent ou mis à l’écart. Il est aimé et apprécié de tous ceux qui le connaissent. Pour autant, il n’est pas question à ce moment-là de dormir chez Pierrette. La bienséance et les bonnes manières font qu’il dort à l’hôtel St Jean durant une semaine. Puis, après s’être assuré de pouvoir travailler et subvenir aux besoins du foyer qu’ils rêvent tous deux de fonder, Charles demande la main de Pierrette à son père, qui accepte sans la moindre hésitation.Les deux tourtereaux se marient à Montcuq la même année, ils travaillent à La Poste et partent vivre à Paris. De leur amour naît un premier enfant en 1961. C’est Thierry. Suivront Christine, Murielle, Didier, et Corinne, tous élevés dans la tendresse et l’amour de leurs parents. Cinq beaux et grands enfants, qui n’ont jamais eu à souffrir lors de leurs vacances à Montcuq de réflexions ni de critiques sur la couleur de peau.Le racisme, c’est dans les rues de la région parisienne qu’ils le découvrent. Mais ils font face, toujours avec dignité. Pierrette a arrêté son travail à La Poste pour élever les enfants, et Charles est chef de service à la Caisse de Retraite des Agriculteurs. C’est un homme joyeux qui ne se laisse pas marcher sur les pieds. « Il ne voulait pas parler de la guerre. Il nous a dit plusieurs fois qu’il avait vu des horreurs qu’il préférait oublier » raconte Thierry. « Il avait une passion pour la photo et la vidéo, en plus d’être un fan de chanson française : Sardou, Delpech, il chantait tout le temps, surtout en nous préparant des gâteaux car il aimait aussi cuisiner ». Ce tableau idyllique est malheureusement brisé par le décès de Pierrette en 1994, à l’âge de 56 ans, emportée par les suites d’un cancer du sein. La vie de Charles ne sera plus jamais la même. Il voue un amour irremplaçable à sa femme et n’envisage pas une seconde de refaire sa vie, même lorsque le temps a passé. Pierrette et Charles, c’est un amour infini au-delà de la mort.En 2023, vingt-neuf ans plus tard, il la rejoint au ciel, après une vie passée en région parisienne entrecoupée de séjours à Montcuq, dans la grande maison familiale.Le jour de son enterrement, un signe inattendu vient interrompre la cérémonie : deux avions Rafale fendent le ciel. L’avion de tête disparaît au loin tandis que le deuxième décrit une boucle au-dessus du cimetière. Le pilote cabre son avion sur le côté, si bas que chacun peut le voir saluer la dépouille du défunt. Cet hommage bouleversant est comme un cadeau de reconnaissance pour celui qui avait toujours rêvé d’être pilote de chasse.
Une correspondance intacte
La grande bâtisse du faubourg Saint-Privat à Montcuq est restée entre les mains de leurs cinq enfants qui ont à cœur de l’entretenir et s’y rendre à tour de rôle durant leurs vacances respectives.Thierry le fils aîné est peut-être celui qui a conservé le plus d’attaches à Montcuq. Retraité depuis peu, il a quitté Paris avec soulagement pour goûter au bonheur d’une vie paisible et joyeuse à Montcuq, entouré de ses amis d’enfance qu’il n’a jamais perdu de vue. La vie exemplaire de ses parents est son modèle, son fil rouge, ce à quoi il aspire.Quelque part dans la famille subsistent les traces de cet amour puissant qui les a unis : les lettres de guerre de Pierrette et Charles sont précieusement conservées en lieu sûr.Qui s’en approche de près peut entendre battre au travers du papier le cœur palpitant de ces deux amoureux éternels.Cécile INGALLSSuivez toute l’actualité de vos villes et médias favoris en vous inscrivant à Mon Actu.