Par Jean-Claude Bonnemère
Publié le 17 Nov 22 à 21:10
mis à jour le 17 Nov 22 à 21:13
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Le procès des deux chasseurs, ce jeudi 17 novembre 2022 à Cahors, s’est tenu devant une vingtaine de médias nationaux (©JCB )Ce jeudi 17 novembre 2022, étaient appelés à la barre du tribunal correctionnel de Cahors, deux chasseurs : Julien Féral, 35 ans, auteur du coup de feu qui a donné involontairement la mort à Morgan Keane âgé de 25 ans et Laurent Lapergue, 51 ans, le directeur de la battue. Les deux hommes sont poursuivis conjointement pour l’homicide involontaire, survenu le 2 décembre 2020, à Calvignac, en vallée du Lot, lors d’une action de chasse menée par l’association communale Saint-Hubert de Calvignac et la société de chasse « La Diane Cajarcoise ». Ce qui aurait dû se traduire par un moment de convivialité, s’est terminé dans le sang et les larmes, suscitant un émoi national. Preuve en est la participation d’une vingtaine de journalistes, correspondants de médias nationaux.A lire aussi : Dispositif de sécurité à Cahors pour le procès de 2 chasseurs, après la mort de Morgan KeaneCe procès relate l’enchaînement de circonstances qui ont conduit à la mort de Morgan Keane et vise à établir les responsabilités des deux prévenus. La jauge des 50 places en la salle d’audience Simone Veil a été vite atteinte, pour autant les 4 heures d’audience se sont déroulées dans un silence de cathédrale.Sur le banc des représentants des parties civiles, Me Benoît Coussy, avocat de Rowan Keane, frère de la victime, Me Charles Lagier avocat de Fédération Départementale des Chasseurs du Lot. Deux autres avocats sont intervenus, l’un au nom du groupe de 11 amis de Morgan Keane et un second au nom de deux associations nationales de protection des animaux (One Voice et Aspas). Pour les prévenus, Me Émilie Geffroy représentait les intérêts de Laurent Lapergue et Me Sylvie Bros ceux de Julien Féral.
« 15 chasseurs, 16 versions ! »
D’emblée, le président du tribunal Philippe Clarissou met en avant le caractère « complexe » des faits, au regard des données techniques qui guident le déroulé d’une partie de chasse au sanglier, notamment selon qu’il s’agit d’une période de traque ou non. Difficultés accentuées par un certain flou des déclarations faites aux enquêteurs. Il apparaît qu’il est difficile de connaître avec exactitude ce qui s’est réellement passé. « 15 chasseurs, 16 versions ! » ironise M. Clarissou. Ce qui est sûr en revanche : Julien Féral croyant tuer un sanglier, a touché mortellement Morgan Keane, en train de ramasser du bois, chez lui, sur une parcelle de terrain où la chasse est prohibée. L’accident a eu lieu entre 16 h 35 et 16 h 40. Morgan Keane a été atteint au thorax par une balle qui a traversé les poumons et le cœur. Ce jour-là, il faisait gris et la visibilité n’était pas optimale. Le tireur était posté à 80 m de la victime. Julien Féral n’avait pas consommé d’alcool ni de stupéfiants, sa carabine était régulièrement déclarée et il avait sur lui la fiche récapitulative du règlement de sécurité.
Invité à la chasse « pour se détendre »…
Julien Féral a perdu un enfant, fauché par un tracteur dont le conducteur était ivre. Aussi, son beau-frère, l’encourage à intégrer la société de chasse de Calvignac dont il est membre : « Tu verras, il y a une superbe ambiance, ça te changera les idées ! » Julien Féral passe son permis de chasse au mois de mai 2020 et dans la foulée participera à quatre battues avant la journée fatidique du 2 décembre 2020. Il répète au tribunal les règles de base de la sécurité ; angle de tir 30°, tir fichant, port de vêtements fluo…– « Et il ne manque pas quelque chose ? » demande le président.Vidéos : en ce moment sur Actu– « Ah oui, identifier la cible avant de tirer ! » répond le prévenu, se mordant les doigts d’avoir oublié. La carabine utilisée légalement par Julien Féral avait une portée de 1 km minimum.– « Pourquoi le choix de cette arme ? » interroge M. Clarissou.– « J’ai dit au vendeur, je vais à la chasse au sanglier et il m’a répondu qu’avec ce matériel l’animal ne souffre pas… Comme je n’y connais rien, j’ai suivi le conseil ! » répond Julien Féral.
« Je n’ai pas bien identifié la cible ! »
Le prévenu reconnaît qu’à ce moment-là de la journée, il ne voyait pas très bien. Cependant, il se poste, charge et entrevoit une masse sombre qui se déplace… « Je me suis dit que c’était le sanglier… Je n’ai pas bien identifié la cible, je le reconnais ! »Morgan Keane se trouvait à ce moment-là derrière un muret. Julien Féral assure n’avoir pas vu le muret caché par une haie et il a tiré… « Dès le départ, j’ai reconnu mon erreur, je suis désolé ; il n’y a pas un jour sans que j’y pense ! Je ne savais pas qu’il y avait une maison de ce côté-là. Je suis désolé ! » Julien Féral indique qu’il a signé le document de sécurité en début de saison, mais il soutient qu’il n’y a pas eu de consignes particulières ce jour-là. Le président rappelle que la parcelle où se situait Morgan Keane n’était pas ouverte à la chasse. « Je ne le savais pas ! » affirme le prévenu. Après le tir,… plus de bruit,… puis les cris et les râles de Morgan Keane. Les uns appellent les secours alors que d’autres se seraient retirés peut-être un peu trop vite…
La réglementation « plus ou moins bien appliquée »
Julien Féral ajoute que peu de temps auparavant le drame, la question s’était posée de savoir s’il fallait continuer ou arrêter la partie de chasse… De son côté, le président à cheval sur la réglementation départementale pointe les dysfonctionnements, donnant le sentiment d’un mode routinier de partie de chasse, avec des consignes plus ou moins bien suivies. Pratiquants de longue date, pour la plupart d’entre eux, peut-être estimaient-ils pouvoir se dispenser de se conformer aux directives du directeur de battue. Alors, que celui-ci affirme avoir fourni toutes indications utiles. « Mais ils n’écoutaient pas ! » se plaint-il. Ce à quoi rétorque Philippe Clarissou : « Les accidents ne sont que des erreurs humaines, car si l’on applique les règles il n’y en aurait pas ! » Le magistrat observe que le tireur n’aurait pas dû quitter son poste initial comme il l’a fait, une première fois dans l’après-midi, à moins de sortir du plan de chasse. C’est d’ailleurs à ce moment-là qu’il tirera en vain à quatre reprises sur un sanglier, alors qu’il avait perdu sa qualité de tireur… Les débats ne font qu’ajouter du flou au tableau, jusqu’à se demander si tous ces chasseurs participaient bien à la même battue, même si pour le directeur, « la situation était maîtrisée »… Comme il avait été aperçu d’autres sangliers dans les parages, peu avant 16 h 30, il a été décidé de prolonger la partie… Hélas, trois fois hélas !
Me Coussy relate l’agonie de Morgan Keane et invite les chasseurs à demander pardon
Maître Benoît Coussy (©JCB )« Ce 2 décembre 2020, ce fut la rencontre entre deux parcours que tout oppose ; entre Morgan Keane et les chasseurs ; le traumatisme est immense et on cherche une forme de vérité pour se reconstruire ! » déclare Me Benoît Coussy, représentant les intérêts de Rowan Keane. L’avocat raconte les liens forts qu’entretenaient les deux frères après le décès de leur mère puis de leur père, à quelques années d’écart. Il décrit les lieux, la maison qui surplombe le Lot, un cadre enchanteur… Et de poser la question : « Que vaut la vie de Morgan Keane si rien ne change ! » Mine de rien, il enfonce le clou en soulignant combien chez les Keane on avait l’amour de la nature « mais sans fusil ». L’avocat fin connaisseur des lieux décrit comment dans cet environnement général sans clôture, les chasseurs insensiblement finissent pas passer un peu partout, sans même s’en rendre compte. Il glorifie ce pays de légendes, avec le gouffre de Lantouy et les ruines d’un monastère où paraît-il tous les 21 juin, on entend sonner les cloches en mémoire d’un enfant jeté dans les eaux… Puis cet instant de rêverie s’arrête net. « La mort de Morgan Keane n’est pas une légende, ce n’est pas un accident fortuit ! » s’exclame-t-il. À ses yeux le coup est parti plusieurs années en amont, car dans ces contrées rurales où la pratique de la chasse est érigée au rang de religion, « il ne fait pas bon être « estranger » (étranger en Occitan) et en plus ne pas être chasseur ». Le père de Morgan avait demandé aux chasseurs « avec douce récurrence », de se tenir à l’écart… Et Me Coussy s’étonne que les chasseurs n’aient pas opté pour d’autres coins à quelques enjambées où il n’y a pas âme qui vive… Autre coup porté par l’avocat : l’arrêté dérogatoire pris par le préfet du Lot après la période de Covid, pour que la chasse reprenne sans quota… « une invitation malsaine à tuer les animaux », selon lui. Cinglant, il ajoute en parlant de Julien Féral : « À 40 m, il rate le sanglier à 4 reprises et à 80 m il tue un homme au premier coup ! »Me Coussy en veut aux chasseurs qui n’ont pas alerté le nouveau venu au sujet de la maison habitée par Morgan et comme on porterait l’estocade il précise : « il a visé, il a tiré, il a tué ! On est à la limite du volontaire ; il a tiré sans savoir ce qu’il visait ! » Morgan Keane a connu un quart d’heure d’agonie ; il s’est noyé dans son sang, avec des râles durant 15 minutes ! Me Coussy invite les chasseurs à demander pardon, pour aider Rowan Keane à faire son deuil. L’avocat termine en présentant l’addition des dommages et intérêts : préjudice d’angoisse, de mort imminente, préjudices patrimoniaux, préjudices extra-patrimoniaux, soit près de 70 000 €. Et il termine à l’adresse des deux prévenus : « Il est possible qu’ils aient tué la chasse eux-mêmes ! »Alexandre Rossi, Procureur de la République du Lot a requis contre les deux prévenus, « qui n’ont pas respecté les règles » :– à l’encontre de Julien Féral : 2 ans de prison, dont 18 mois avec sursis,– à l’encontre de Laurent Lapergue : 18 mois de prison, dont 12 avec sursisProchains développements vendredi 18 novembre et article à retrouver dans La Vie Quercynoise, parution de jeudi 24 novembre 2022.Cet article vous a été utile ? Sachez que vous pouvez suivre Actu Lot dans l’espace Mon Actu . En un clic, après inscription, vous y retrouverez toute l’actualité de vos villes et marques favorites.