Ca y est. Après des mois et des mois de controverses, les Etats membres de l’Union européenne ont adopté la loi de restauration de la nature. C’est un texte-clé du Pacte vert européen. Il impose d’instaurer d’ici 2030 des mesures de rétablissement des écosystèmes sur 20% des terres et espaces marins à l’échelle de l’Union européenne (et non pays par pays). La loi liste divers types d’écosystèmes : zones humides, prairies, forêts, rivières, prairies sous-marines, etc.
Qu’est-ce que cela va changer concrètement? Voici cinq questions pour comprendre, avec Grégory Mahy, professeur en gestion de la biodiversité à Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège).
Est-ce réellement une bonne nouvelle pour la nature?
« C’est un pas en avant incroyable, réagit Grégory Mahy. Dans l’ambiance actuelle de régression des politiques et des ambitions environnementales, c’est un signal plutôt réjouissant car on s’attendait à ce que la loi ne passe pas, à ce qu’elle soit définitivement enterrée. »
Dans l’ambiance actuelle de régression des politiques environnementales, c’est un signal plutôt réjouissant
« Maintenant, c’est comme pour toute législation européenne, l’Europe donne des grands objectifs généraux, elle ne dit pas comment on y arrive. » Les pays vont effectivement devoir élaborer des plans de restauration nationaux pour préciser des mesures plus concrètes.
« Restaurer la nature », ça veut dire quoi ?
« La première réponse que l’on a eue face à l’effondrement de la biodiversité, c‘était de protéger des zones exceptionnelles, rappelle le professeur. On s’est vite rendu compte que ce n’était pas suffisant. L’idée qu’il fallait restaurer des surfaces d’habitats a alors émergé, dans les années nonante. Restaurer, à l’origine, c’est mettre en œuvre des méthodes qui permettent de revenir à l’état de l’écosystème avant dégradation. »
« Et puis ça a évolué. Quand on parle de restauration aujourd’hui, on parle à la fois de ramener de la biodiversité dans les écosystèmes et, en même temps, de restaurer leurs fonctions écologiques (par exemple la lutte contre les inondations) pour avoir des écosystèmes résilients par rapport au changement global. »
La loi prévoit de restaurer au moins 20 % des zones terrestres et maritimes de l’Union européenne d’ici à 2030. Et elle précise : jusqu’en 2030, les Etats membres donneront la priorité aux sites Natura 2000. Concrètement, qu’est-ce que cela signifie?
« Justement, c’est toute la question, répond le spécialiste en gestion de la biodiversité. On a une ambition en termes de surface : 20%, c’est déjà pas mal. Mais ce que l’on met derrière les 20% n’est pas clair. Quant aux sites Natura 2000, l’ensemble des États membres de la Communauté européenne se sont déjà engagés à restaurer des habitats de grand intérêt biologique par le réseau Natura 2000. »
Ce que l’on met derrière les 20% n’est pas clair
« ll faut savoir que dans ce réseau, à l’échelle européenne, on protège 200 écosystèmes, or on en a recensé à peu près 2200. Donc Natura 2000 concerne moins de 10 % des écosystèmes et se centre vraiment sur la nature exceptionnelle. »
« Or, la loi sur la restauration de la nature avait justement pour ambition de ne pas se concentrer uniquement sur la nature exceptionnelle, mais sur ce qu’on appelle la nature ordinaire, qui rend des fonctions importantes aux sociétés humaines. C’est pour ça que l’on vise les territoires agricoles, les territoires forestiers non exceptionnels, et les territoires urbains. Donc, si on veut atteindre 20 % d’écosystèmes restaurés d’ici à 2030, on ne pourra pas se contenter de Natura 2000. »
Précisons que pour les habitats jugés en mauvais état, les États membres seront tenus de restaurer d’ici 2030 au moins 30% de ces habitats en mauvais état, puis 60% d’ici 2040 et 90% d’ici 2050. Là aussi, Grégory Mahy pointe un certain flou quant à la définition d’un habitat en mauvais état.
La loi comprend-elle d’autres mesures importantes?
Elle prévoit notamment que les Etats devront mettre en place des mesures pour éviter la détérioration des zones ayant fait l’objet d’une restauration, et pour inverser le déclin des insectes pollinisateurs.
Des exigences spécifiques sont aussi prévues pour différents types d’écosystèmes, notamment les forêts, les terres agricoles et les écosystèmes urbains. Sous la pression du monde agricole, l’article concernant les terres agricoles avait failli être supprimé, mais il a finalement bien été inclus, sous une forme assouplie.
Concernant les écosystèmes urbains, les Etats seront contraints de ne pas diminuer leurs surfaces d’espaces verts et arborés en ville en 2030 par rapport à 2021, puis de continuer à les renforcer. « Il faudrait être plus ambitieux, commente Grégory Mahy, mais le fait qu’une loi européenne identifie l’enjeu de restaurer des écosystèmes en milieu urbain, c’est déjà un grand pas en avant. »
Le texte prévoit également de supprimer les obstacles (par exemple certains petits barrages obsolètes) sur les fleuves et rivières afin d’atteindre au moins 25.000 km de cours d’eau « libres » d’ici 2030.
Trois milliards d’arbres supplémentaires d’ici 2030, c’est un objectif stupide
L’objectif indicatif de planter au moins trois milliards d’arbres supplémentaires dans l’Union européenne d’ici 2030 a aussi été inscrit dans la législation. « C’est un objectif stupide. Ça ne veut rien dire. Planter des arbres, ça ne fait pas une forêt. Si on ne fait pas avec les arbres des écosystèmes, ça ne remplit pas les fonctions auxquelles on s’attend. »
En quoi cette législation était-elle nécessaire?
Pollution, urbanisation, exploitation intensive: 80% des habitats naturels dans l’Union européenne sont dans un état de conservation « mauvais ou médiocre » (tourbières, dunes, prairies particulièrement). D’où la nécessité de les restaurer.
Quand il veut donner une idée de l’état de notre biodiversité, Grégory Mahy donne deux indicateurs très parlants. « Premier indicateur : 25 % des oiseaux ont disparu en Europe au cours des 40 dernières années, 60 % en zone agricole. Deuxième indicateur : 25 % des espèces évaluées sont menacées d’extinction. En Wallonie, c’est un tiers. »