M23 : Frontières : sans passion, la RDC doit répondre rigoureusement sur le fond des propos de Paul Kagame


En visite officielle au Bénin, où son pays entend exporter son savoir-faire en matière sécuritaire autant il en fait au Mozambique et en Centrafrique, le Président du Rwanda, Paul Kagame, a donné, à la suite d’une question au cours de la conférence de presse, sa lecture des faits historiques liés à la révision des frontières de son pays. Des propos qui ont pollué la « toile congolaise » le week-end. 
C’est très peu que de dire que les Congolais, redoutant la balkanisation de la RDC, font preuve d’un débordement de susceptibilité lorsqu’il s’agit, pour un étranger, du reste un sujet Rwandais, de parler de la réconsidération, virtuelle serait-elle, de l’espace soumis à la souveraineté de l’Etat congolais.

Attitude à saluer de deux pieds et de deux mains tant elle serait aussi manifeste sur bien d’autres sujets liés à la grandeur du Congo-Kinshasa que personne, aucun citoyen, quel qu’en serait le rang social, ne devrait saper : gestion rigoureuse des deniers publics, respect de la personne humaine, etc. Hélas ! Je ferme la parenthèse… 
Kagame a dit : « En ce qui concerne le M23 et toutes les personnes liées au M23, les congolais qui ont bénéficié de l’héritage rwandais, les frontières qui ont été construites durant la période coloniale ont affecté et divisé nos peuples. Une partie du Rwanda qui a été donnée au Congo, le sud à l’Ouganda, etc.

Nous avons une coopération qui existe déjà dans ces zones. Il y a déjà des liens qui existent entre les peuples. C’est évident.

Vous pouvez remonter dans l’histoire ». 
Quelques observations
1. Paul Kagame n’a pas cité que la RDC dans son allusion aux frontières.

Il a également évoqué l’Ouganda et laissé ouverte sa citation qui pourrait ainsi être étendue à la Tanzanie et au Burundi. Dans ces derniers pays, la toile ne bouillonne point. 
Bien évidemment, dira-t-on, ils ne font pas la triste expérience de la politique malveillante de Kagame en vigueur au Congo.

Est-ce pour autant qu’ils n’y auraient pas à reproché à l’homme fort de Kigali d’avoir travesti l’histoire ou de nourrir une appétance de révision de ses frontières? 
La charte de l’Union africaine est on ne peut claire à ce propos : intangibilité des frontières des Etats membres. Aucun centimètre de la RDC ne deviendra dès lors du ressort officiel du Rwanda. 
2.

L’évocation de ce biais de l’histoire par Kagame entre dans son explication de la réalité du M23 sur lequel il a déclaré : 
« Le problème du Congo, le problème de la région ou encore le problème du Rwanda n’est pas le M23. Le M23 est la résultante des plusieurs autres problèmes qui n’ont pas été résolus depuis des décennies. Le problème du M23 existait même avant que Tshisekedi ne devienne président.

Cela remonte même à 2012 », a fait savoir le chef de l’Etat rwandais qui estime qu’ « En 2012, nous n’avons pas bien géré la question et aujourd’hui, 11 ans après, le problème existe toujours. Tous les pays africains ont été impliqués dans la résolution de cette question mais personne n’a pu réussir quoi que ce soit (…) apparemment, la RDC ne veut pas que la question soit résolue. C’est quand même ironique .

Sur ce fond, Kinshasa a intérêt de tout tirer au clair.
3. 2012.

Il s’agit de l’année du premier avènement du M23 qui a réussi sans coup férir de prendre le contrôle de Goma.
Une année après, sous l’effet offensif des Forces armées de la RDC appuyées par la Brigade d’intervention de la Monusco, ce groupe armé a essuyé une sanglante défaite et déclaré son autodissolution. 
Bien avant, il y a eu signature d’un accord de paix en février 2013 marqué par le nombre pléthorique de parties prenantes.

Il s’agit, entre autres, de la RDC, ses neufs pays voisins, l’Afrique du sud, le Kenya, le Soudan, l’Union africaine, etc. C’est cet accord qui avait permis une mobilisation à la base de la déroute du M23.
Actuellement, c’est la RDC qui assume la gestion de la mise en oeuvre de cet accord de paix.

4.  A en croire le Porte-parole du Gouvernement congolais, les propos de Paul Kagame relèvent de la « provocation ». Et si Kagame avait délibément jugé utile de procéder ainsi, doit-on rester sur la forme aux accents provocateurs alors que nous sommes garantis par l’UA que la tangibilité des frontières relève d’une utopie aux lourdes conséquences?
5.

Qu’est-ce que la RDC fait de cet accord de paix de 2013 dont le dixième anniversaire de la signature a été célébrée avec pompe à la cité de l’OUA à Kinshasa ? Quelle est l’utilité de cet accord aujourd’hui? Que veut la RDC qui a la responsabilité d’en redonner de la vitalité ? 
Le problème est d’autant plus profond que les Congolais ont plus intérêt de se montrer à la fois vigilants et perspicaces. Le débordement émotionnel est un indicateur de la vigilance. Quant aux indicateurs de la perspicacité, la RDC peinerait à en donner.

Le défi doit être vite relevé. Pour répondre rigoureusement sur le fond des propos de Paul Kagame. Il y va de la crédibilité de la RDC.

 
Tini Lembisa (PhD)