Retraitée depuis quelques mois après un événement dramatique Et qu’à l’image de l’accouchement à la maison
Marie-Agnès Cabot se lance dans les AAD en 2003. « En tant que sage-femme libérale, cela me manquait de ne plus accompagner de naissances et de ne plus voir de nouveau-nés », confie-t-elle. Pour elle, accoucher chez soi n’avait alors rien d’extraordinaire : « J’ai débuté ma carrière au début des années 1980, quand il était encore habituel d’accoucher sans péridurale. J’étais aussi écolo, mère de cinq enfants, tous nés facilement sans péridurale. »
« Avec la fermeture des petites maternités de proximité, beaucoup avaient peur de ne pas arriver à temps, d’accoucher dans la voiture ou avec les pompiers », se souvient-elle. À ces craintes s’ajoutent une montée des discriminations islamophobes qui accélère le mouvement : « Refuser d’être soignée par un homme, c’est toléré quand on vient des beaux quartiers, pas quand on porte le voile. Ces femmes préféraient donc opter pour l’AAD, simplement parce que j’étais une femme. »
Très vite, l’activité de Marie-Agnès Cabot prend une dimension plus militante. Depuis le début des années 2000, l’accouchement à la maison est sur la sellette. Au regard des nouveaux standards de l’obstétrique qui font de l’hyper-médicalisation des naissances un gage de sécurité et de confort, nombre de professionnels la considèrent comme une pratique obsolète.
Poursuivre dans l’illégalité
soit un coût prohibitif
Mâcon ou Grenoble.
//t.co/6z2fDtegDK
2021
« A l’époque Encore faut-il qu’il soit réalisé de façon raisonnable et que les femmes sachent que dans 10 à 20 % des cas,
cela se termine à l’hôpital ».
« Je suis alors entrée dans une semi-clandestinité »
Las ! Les relations entre Marie-Agnès Cabot et le médecin s’enveniment naissance après naissance. « Chaque fois que l’accouchement se révélait moins simple que prévu et nécessitait un transfert à la maternité de la Croix-Rousse, j’étais convoquée dans son bureau pour être sermonnée comme une petite fille », s’agace la première. Rapidement, d’autres hôpitaux emboîtent le pas à René-Charles Rudigoz, qui a longtemps fait autorité à Lyon. « J’ai reçu des courriers m’indiquant que mes patientes n’étaient plus autorisées à s’inscrire dans telle ou telle maternité, rapporte la sage-femme. Je suis alors entrée dans une semi-clandestinité. Je leur déconseillais d’informer les établissements de leur projet d’AAD. »
C’est vouloir le beurre et l’argent du beurre si besoin précise Anne Evrard, militante de l’association lyonnaise Bien naître depuis 2001.
assure la sage-femme. D’autres obstacles matériels viennent encore entraver la pratique, comme la difficulté pour les jeunes parents d’obtenir un carnet de santé pour leur enfant né à la maison. « Les services de protection maternelle et infantile du Rhône exigeaient la signature d’un médecin, alors que mon certificat de naissance aurait dû suffire », reprend Marie-Agnès Cabot. À force d’acharnement, elle parvient à en obtenir quelques exemplaires. « J’ai vu l’employée sortir les carnets d’un coffre-fort, soi-disant pour éviter les « trafics ». Mais les trafics de quoi ? ! », soupire-t-elle.
Justice ordinale peu impartiale
De mieux en mieux connue du grand public – notamment par le biais des réseaux sociaux –, la pratique fait aussi l’objet d’un nombre croissant de procédures disciplinaires. La base jurisprudentielle du conseil national de l’Ordre des sages-femmes en recense une trentaine, quasiment toutes postérieures à 2009. « C’est énorme quand on se souvient que nous sommes moins d’une centaine à accompagner ces accouchements », commente Hélène Pariente, qui n’hésite pas à dénoncer une forme d’acharnement contre l’AAD : « Chaque fois qu’il en est question, les sanctions – suspension, radiation – sont extrêmement sévères. Nous sommes pointées du doigt au moindre incident, contrairement aux sages-femmes hospitalières. Il suffit que la femme habite un troisième étage ou qu’elle ait plus de 40 ans pour qu’on nous accuse d’avoir manqué de prudence. »
Le fonctionnement de la justice ordinale semble peu propice à l’impartialité, aux dires d’anciennes membres du conseil de l’Ordre : « On nous demande de juger et proposer des sanctions contre nos pairs sans avoir reçu la moindre formation juridique. Nous découvrons d’ailleurs le dossier le jour même, exclusivement par la voix de la sage-femme rapporteuse dont le regard n’est pas toujours neutre. Il y a une culture du secret insupportable qui peut aboutir à un arbitraire terrible. » Preuve en est, selon Hélène Pariente, l’écart entre les jugements rendus par l’Ordre des sages-femmes et ceux des autres juridictions : « Alors que nous sommes presque toujours condamnées par nos pairs, la justice pénale ordonne quasiment toujours la relaxe. »
Pour Marie-Agnès Cabot, les choses se corsent en 2015 : « Jusque-là, j’étais protégée par la présidente du conseil départemental de l’Ordre des sages-femmes. Elle voyait mon activité d’un bon œil. Mais cette année-là, son mandat n’a pas été renouvelé. Le début de la fin. » En 2016, trois signalements sont déposés à son encontre par des médecins auprès de l’ordre départemental. Le premier, adressé par le professeur Rudigoz lui-même, reproche à Marie-Agnès Cabot d’avoir déposé en septembre 2014 une patiente en travail sur le parking de la maternité sans assurer la transmission de son dossier à l’équipe de garde. Après réunion de conciliation, la plainte sera retirée.
Les deux autres signalements concernent le transfert de parturientes dont l’état de santé n’était plus compatible avec une prise en charge en AAD. Pour la sage-femme, c’est la routine : « La première avait un antécédent de césarienne, ce qui n’est pour l’heure pas considéré comme une contre-indication absolue à l’AAD. Je l’ai donc conduite à la maternité dès les premiers signes d’appel où elle a eu une nouvelle césarienne quelques heures après. La seconde a fait une hémorragie deux jours après la naissance alors que son AAD s’était très bien passé. La prise en charge s’est faite dans les temps et elle a pu être transfusée sans problème. »
La sage-femme écope d’un an d’interdiction d’exercer, une sanction confirmée en appel par la chambre disciplinaire nationale le 21 mars 2018 avec une prise d’effet au 7 janvier 2019.
« « MAC », soit on l’adore, soit on la déteste. C’est un personnage qui ne fait pas semblant »
Il faut dire que Marie-Agnès Cabot est loin d’avoir toujours fait l’unanimité auprès de ses collègues. Contactés par Mediacités, plusieurs professionnels de la périnatalité, y compris favorables à l’AAD, ont refusé de répondre à nos questions dès l’évocation de son nom. « Ces professionnels sont tenus par l’obligation de confraternité qui leur interdit de commenter la pratique d’une collègue, analyse Anne Evrard. Beaucoup ont également peur de nuire à la cause de l’AAD, en lui donnant une image moins cadrée et sécuritaire
que celle qu’ils défendent. »
sans passer par le Samu comme le prévoit le protocole du réseau Aurore. « Défendre la cause de l’AAD nécessite aussi qu’on pointe les dysfonctionnements, sinon on ne pourra jamais avancer », considère pour sa part Anne Evrard.
Côté parents, les avis sont également mitigés. Au fil des années, Marie-Agnès Cabot avait fini par acquérir la réputation d’être la sage-femme. qui arrive toujours après la naissance du bébé. « Il arrivait régulièrement qu’elle ne soit pas joignable ou déjà mobilisée sur un autre accouchement. Quand les naissances étaient rapides, cela ne posait pas de problème : tout futur parent sait qu’un accouchement inopiné est possible. Mais je me souviens d’un couple qui a attendu pendant des heures qu’elle les rappelle. Le père était totalement paniqué. Le couple ne savait pas quoi faire, avait un jeune enfant à la maison et aucune envie d’accoucher seul », raconte Anne Evrard.
À ces anecdotes, s’ajouterait aussi une certaine nonchalance. Camille*, une doula,
s’en souvient avec amertume : « J’ai toujours fait mon possible pour éviter d’être la doula des parents qu’elle accompagnait. Elle pouvait promettre à une femme une piscine d’accouchement gonflable et oublier de l’apporter le jour J. Elle donnait aussi souvent aux parents l’impression de la déranger, quand ils l’appelaient alors que le travail était peu avancé ou qu’ils la réveillaient en pleine nuit. » Ces reproches font écho au vécu d’Agnès, suivie en 2018 par la sage-femme croix-roussienne. « Chaque fois que je lui posais une question, elle levait les yeux au ciel d’un air exaspéré. Elle passait aussi ses consultations pendue au téléphone – une fois c’était sa banque ; l’autre fois, son fils qui lui demandait la recette du petit salé. Je ne me suis pas du tout sentie soutenue », condamne-t-elle.
Ces critiques, la sage-femme les admet sans rechigner. « C’est vrai que j’ai fait beaucoup d’accouchements par téléphone, en donnant aux futurs parents des instructions au fur et à mesure et que certains m’en ont voulu, reconnaît Marie-Agnès Cabot. Je n’aurais jamais dû accepter de faire deux heures de route pour un accouchement, en ne prenant presque jamais de vacances. Cela m’aurait évité la déception des patients, ma fatigue et la frustration de mes enfants dont j’ai sacrifié presque tous les anniversaires. »
A contrario, nombreuses sont aussi les femmes à ne pas tarir d’éloges sur « MAC », ainsi qu’on la désigne sur les réseaux sociaux. « MAC, soit on l’adore, soit on la déteste. C’est un personnage qui ne fait pas semblant, qui ne va pas s’adapter aux gens pour leur faire plaisir », lâche Valentine, une ancienne patiente. « Elle était super pour les femmes qui connaissent leur corps et ne doutent pas de leur capacité à enfanter. Mais pour les mamans angoissées qui attendaient leur premier bébé, il valait mieux éviter », complète-t-elle.
le nom de la sage-femme circulait parmi celles qui souhaitaient un accouchement aussi démédicalisé que possible. Ce fut le cas de Cyndie : « Elle ne m’a jamais imposé d’examen médical et a respecté notre souhait de gérer seuls la naissance, le père de l’enfant et moi, en restant dans un coin de la pièce comme observatrice. » Résultat, Marie-Agnès Cabot a séduit peu à peu une patientèle en rupture avec le monde médical, qui promeut des « accouchements non assistés » (ANA), c’est-à-dire sans présence d’un professionnel de santé, à la différence des AAD.
observe-t-elle. Par opposition au passe sanitaire ou à la vaccination, par peur des violences obstétricales et de la surmédicalisation en maternité, certaines femmes sont prêtes à tout – y compris se mettre en danger – pour ne pas accoucher à l’hôpital. » Le risque concerne aussi les sages-femmes qui pratiquent l’AAD, estime Isabelle Fournier, ancienne présidente et membre du conseil d’administration de l’Association nationale des sages-femmes libérales : « Certaines femmes peuvent se montrer très déterminées et persuasives pour obtenir des sages-femmes qu’elles les aident à réaliser leur projet d’ANA. Ces dernières se retrouvent parfois embarquées malgré elles dans des situations extrêmement périlleuses. »
L’accouchement de trop
« J’ai immédiatement appelé les pompiers et le Samu, mais la maman voulait absolument accoucher avec moi, raconte-t-elle. Elle poussait, poussait et je lui disais d’arrêter car je n’étais pas capable de faire cette naissance. » Le bébé naît, inanimé. Transféré à l’hôpital de la Croix-Rousse, il décédera une semaine après.
« Cela m’a complètement traumatisée. Je ne me sentais plus en confiance avec les femmes »
La sage-femme est sous le choc. « J’ai appris plus tard que la maman avait une césarienne programmée à l’hôpital dix jours avant, où elle ne s’est jamais présentée. Moi, je n’avais eu connaissance que de l’échographie précédente où le bébé n’était pas en siège », raconte-t-elle. La patiente a-t-elle sciemment dissimulé des informations médicales pour mener à bien son projet d’AAD ? Contactée par Mediacités, elle n’a pas souhaité répondre à nos questions. Elle était en tout cas membre active d’un groupe Facebook promouvant l’accouchement non assisté où elle exprimait régulièrement son opposition au suivi médical des grossesses.
Quoi qu’il en soit, la responsabilité professionnelle de la sage-femme est engagée. Le 10 juin 2021, l’Agence régionale de santé (ARS) d’Auvergne-Rhône-Alpes saisit le conseil national de l’Ordre des sages-femmes qui prononce sa radiation le 22 octobre dernier. Marie-Agnès Cabot a fait appel de la décision. Parallèlement, l’ARS de Bourgogne-Franche Comté (région dans laquelle s’est passé l’accouchement) confirme à Mediacités avoir adressé un signalement au procureur de la République de Mâcon au nom de l’article 40 du code de procédure pénale (qui impose aux agents publics de déclarer tous faits constitutifs de crime ou délit). Une enquête a été ouverte et est toujours « en cours », selon le parquet.
l’ancien élu écologiste Etienne Tête « Dès le lendemain de cette naissance catastrophique ça m’a complètement traumatisée. Je ne me sentais plus en confiance avec les femmes », confie-t-elle. Le conseil de l’Ordre des sages-femmes confirme de son côté qu’elle a demandé son auto-radiation dès le 5 août 2021.
Une relève très attendue
Depuis 2019, une nouvelle sage-femme installée dans l’Ain, Claire Rayappa, incarne une relève très attendue. « Avec la libération de la parole autour des violences obstétricales, les femmes veulent reprendre le contrôle de leur accouchement. Il y a aussi une envie de retour au naturel dans une perspective écologique », s’enthousiasme-t-elle. De fait, son activité est exponentielle : 20 accouchements en 2019, 40 en 2020 et pas moins de 80 programmés pour 2021.
Les femmes insistent beaucoup. Elles nous voient comme la seule issue pour vivre l’accouchement qu’elles souhaitent. Certaines décident de louer un gîte pour se rapprocher de nos cabinets le dernier mois avant la naissance, mais nous ne transigeons pas sur la distance », insiste la sage-femme.
« L’AAD reste encore vu à Lyon comme une lubie de hippie »
Côté médical aussi, le binôme revendique des pratiques très cadrées : « Nous n’acceptons d’accompagner que les grossesses à très bas risque, avec des critères d’exclusion très stricts et n’hésitons pas à faire signer des décharges lorsqu’une patiente s’oppose à une intervention que nous considérons comme nécessaire ou à refuser de suivre une patiente pour qui la perspective d’un transfert à l’hôpital est inenvisageable. »
Malgré ces précautions, les relations avec les maternités peinent à s’apaiser. « En juin 2019, l’une de mes patientes a dû être transférée à la maternité de la Croix-Rousse. Le lendemain, le chef de service a débarqué dans sa chambre pour lui faire la morale et lui dire que j’étais dangereuse », regrette Claire Rayappa. Contacté, Cyril Huissoud, alors chef du service gynécologie obstétrique de l’hôpital, n’a pas répondu à nos messages. Pas plus qu’Anne-Françoise Demurger, cadre supérieure des Hospices civils de Lyon dont dépend l’établissement.
À ce jour, nombreuses sont les maternités de l’agglomération de Lyon à refuser le suivi des patientes qui déclarent un projet d’AAD, y compris les plus engagées dans la promotion de l’accouchement naturel comme celle de Givors. « L’AAD reste vu comme une lubie de hippie. Il faut absolument que le dialogue se renoue avec les hôpitaux pour que nous puissions discuter de nos pratiques et faire changer cela », conclut Claire Rayappa.
Quant à Marie Agnès Cabot, elle n’a pas abandonné la cause des femmes et des bébés. Mais son engagement a pris une autre forme, celle d’une délégation auprès du maire du 4e arrondissement qui comprend la petite enfance et la parentalité. A la Métropole, elle siège par ailleurs dans la commission « développement solidaire et action sociale ». « J’ai toujours à cœur de continuer à promouvoir la naissance respectée, souligne-t-elle. Mais je vois ces responsabilités d’élue comme un nouveau départ. J’ai tourné la page de ma carrière de sage-femme. »
Cet article est publié dans le cadre d’une série d’enquêtes sur la périnatalité.
Engouement pour l’accouchement physiologique, « usines à bébés », violences obstétricales. pendant plusieurs semaines, Mediacités consacre une série d’enquêtes au monde des maternités et de la naissance. https://t.co/DMhsQOOin4
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