Mardi 24 septembre, à l’Assemblée nationale, la conférence des présidents s’ouvre dans un climat tendu. Michel Barnier fait son entrée, mais avant même de pouvoir s’installer, il est pris à partie par une silhouette familière : « Bonjour, Marine Le Pen, présidente du premier groupe à l’Assemblée nationale », lance-t-elle sur un ton cinglant. « Mais je sais qui vous êtes », lui répond Barnier.
« Ah bon ? Parce que depuis votre nomination, vous ne m’avez ni appelée ni envoyé de mot, comme le veut l’usage », réplique Marine Le Pen, incisive.La patronne du RN trône désormais au centre du jeu politique. Devant témoins, elle rappelle à l’ordre le Premier ministre et, dans la foulée, les autres groupes politiques.
Deux heures après cette passe d’armes, on apprend que Michel Barnier a personnellement téléphoné à Marine Le Pen pour s’excuser des propos de son ministre de l’Économie, tenus le matin même, déclarant que le RN « ne faisait pas partie de l’arc républicain ». Matignon confirme à la presse que le Premier ministre a dû recadrer son ministre. « Tout cela révèle quand même une sacrée fébrilité », note un cadre du RN.
Une fébrilité qui fait grincer des dents dans les rangs de la majorité. Certains digèrent mal cet affront et s’inquiètent pour la suite. D’autres, plus pragmatiques, admettent la réalité : « On s’est complètement piégés nous-mêmes avec cette absurdité d’arc républicain face au RN, confie un ministre au JDD.
Il faut reconnaître que Barnier, lui, a su faire preuve de bon sens. »Le gouvernement Barnier peine à se défaire de son image de fragilité : il ne survit, pour l’heure, que grâce au soutien tacite – ou du moins la non-hostilité – du Rassemblement national. Ainsi, le RN a supervisé la formation du gouvernement Barnier, veillant à ce que ses lignes rouges soient respectées.
Exit donc les personnalités « indésirables » comme Xavier Bertrand, Éric Dupond-Moretti ou Gérald Darmanin. Seule petite victoire arrachée par Matignon : la nomination d’Agnès Pannier-Runacher, qui s’était illustrée en refusant de serrer la main du benjamin RN lors du vote pour la présidence de l’Assemblée nationale. Cela ne mérite pas encore censure de la part de Marine Le Pen…
Le budget, véritable casse-tête
À quelques jours du discours de politique générale de Barnier, le 1er octobre, le RN ne se fait guère d’illusions.
« On ne s’attend pas à grand-chose, ce sera un catalogue de banalités, juste de quoi apaiser un peu tout le monde, mais sans réelles propositions », anticipe un stratège mariniste. Aucune raison a priori de soutenir la motion de censure du NFP portée par les socialistes. D’après ses premières déclarations, Barnier ne prévoit ni régularisation massive des clandestins, ni hausse des impôts pour les classes moyennes.
Pourquoi le RN se précipiterait-il pour le faire tomber ?Le véritable casse-tête pour Michel Barnier se profile en octobre, avec l’examen du budget. RN et gouvernement ont déjà commencé à se jauger, comme en témoigne la rencontre de jeudi dernier à Bercy entre le ministre du Budget, Laurent Saint-Martin, et le député Jean-Philippe Tanguy, le « Monsieur Finances » du RN. Si les deux parties qualifient l’échange de « constructif et républicain », des désaccords ont été actés.
C’est là que les tensions risquent de s’intensifier, au risque de braquer le RN. « À ce stade, on se contente de lignes rouges. Le budget, c’est autre chose : c’est la traduction politique d’un gouvernement pour toute la nation.
C’est nous qui déciderons s’il faut ou non laisser un avenir au gouvernement Barnier », tranche un dirigeant du parti. La vraie question ?
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« La censure n’est pas un jeu. Ceux qui s’imaginent cela manquent sérieusement de sens de l’État »
Au sein de la majorité, comme chez les oppositions, tout le monde s’interroge sur le moment où Marine Le Pen choisira de faire tomber la foudre.
Une arme à un coup, qu’elle utilisera au mieux de ses intérêts. Certains la soupçonnaient de vouloir dégainer ces jours-ci, alors que le procès des assistants parlementaires des eurodéputés FN commence (voir encadré). Une hypothèse balayée par l’entourage de Marine Le Pen : « La censure n’est pas un jeu.
Ceux qui s’imaginent cela manquent sérieusement de sens de l’État. »En position de force selon l’avis général, le RN doit manœuvrer avec finesse. Certes, il détient le pouvoir de vie ou de mort sur le gouvernement.
Idéal pour faire pression sur ses thèmes de prédilection et arracher – enfin – quelques concessions. Mais trop de proximité assumée avec Barnier pourrait vite virer à l’accusation de complicité, une perception désastreuse pour ses électeurs, que ses opposants politiques alimentent volontiers. « Avant que les Français ne nous soupçonnent de faire cause commune avec Barnier, on a encore une grande marge de manœuvre », se rassure un proche de Le Pen.
Opposant constructif, le RN, pour l’instant, se pose en garant de la stabilité en empêchant la censure. C’est, aux yeux de Marine Le Pen, toujours la meilleure attitude pour se poser en alternative crédible et raisonnable, en contrepoint de la stratégie du chaos prônée par La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon.