l’image sera signalée de nombreuses fois à la plateforme Pharos, avant d’être supprimée par le réseau social.
Mais alors que d’autres messages rédigés sur Twitter par Abdoullakh Anzorov avaient déjà été signalés à Pharos pour leur contenu violent dans les semaines précédant le meurtre, l’efficacité de la plateforme a rapidement été remise en cause. Très vite, la question de la responsabilité des réseaux sociaux dans la mort de l’enseignant s’est également posée : les grandes plateformes comme Twitter, Facebook ou Youtube ont notamment été montrées du doigt, accusées d’avoir relayé sans réelle modération les messages de haine stigmatisant le professeur. À la suite de l’attentat, leurs patrons français ont été convoqués par la ministre déléguée à la citoyenneté, Marlène Schiappa, et une série de mesures ont été annoncées pour intensifier la surveillance des contenus diffusés sur leurs sites.
Un an plus tard, que reste-t-il de cette prise de conscience ? Et ces initiatives peuvent-elles vraiment empêcher un nouveau drame ?
L’Express : Un an après la mort de Samuel Paty, quelles mesures ont été mises en place pour renforcer l’efficacité de la plateforme Pharos ?
Offre limitée. 2 mois pour 1€ sans engagement
Pharos a également vu son rôle renforcé dans la lutte contre le cyberterrorisme : la plateforme gère non seulement les contenus de nature terroriste, mais aussi les contenus liés à l’apologie du terrorisme ou à la provocation aux actes terroristes par exemple. Il y a ainsi eu une forte augmentation des signalements : +184% de signalements en lien avec le terrorisme ou le cyber-islamisme en un an.
Face au flot de signalements reçus par les agents de Pharos (près de 290 000 en 2020), les effectifs de la plateforme sont-ils suffisants, notamment pour éviter qu’un drame comme celui de Samuel Paty ne se reproduise ?
Rien ne permet d’affirmer qu’un drame comme celui-ci ne se reproduira pas.
Mais effectivement, le fait d’avoir recruté 30 personnes de plus chez Pharos permet d’avancer. Cet effectif est suffisant pour traiter les signalements reçus, et s’il s’avère qu’ils ne sont plus suffisants à terme, nous embaucherons des agents supplémentaires.
Il faut se rappeler que le professeur Samuel Paty a été livré à la vindicte sur les réseaux sociaux par des islamistes qui ont armé idéologiquement le bras de l’assassin.
Ils sont poursuivis pour cela. Et pour mieux lutter contre la haine en ligne et les risques d’attentats « suggérés », nous avons introduit dans la loi du 24 août 2021 une nouvelle incrimination pénale pour mise en danger de la vie d’autrui par diffusion d’informations personnelle dans l’intention de nuire. Ceux qui se livreraient à la mise au pilori d’agents publics seront sévèrement punis aujourd’hui, jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amendes.
En cette période d’hommage à Samuel Paty, craignez-vous justement une intensification des signalements à Pharos pour contenus terroristes ?
On sait à quel point les islamistes sont mobilisés, et à quel point ils utilisent les événements d’actualité pour nous terroriser, au sens premier du terme.
Des attentats sont régulièrement déjoués par des services de renseignement, donc oui, nous sommes particulièrement vigilants à une éventuelle multiplication de ces messages.
Certains actes terroristes ont-ils d’ailleurs été déjoués depuis un an par le signalement de messages à Pharos ?
Oui. Je ne suis pas habilitée à communiquer publiquement sur toutes les actions menées, ni sur la manière dont elles ont été menées – mais clairement, un certain nombre d’enquêtes ont été aidées grâce à une meilleure coordination entre les réseaux sociaux et les services du ministère de l’Intérieur.
« Aujourd’hui 80% des contenus haineux signalés par Pharos aux plateformes de réseaux sociaux sont supprimés sous 48 heures »Après l’affaire Paty, vous aviez évoqué la réactivation du groupe de contact permanent entre les forces de l’ordre et les plateformes de réseaux sociaux. Ce groupe a-t-il été réactivé, et quel est son rôle exact ?
C’est un groupe qui avait été créé par Bernard Cazeneuve en 2015, puis qui est tombé en désuétude : il n’avait plus été réuni depuis un certain temps. J’ai voulu relancer ce groupe, qui permet un contact permanent entre le ministère de l’Intérieur et les plateformes de réseaux sociaux.
Quand je l’ai réuni à nouveau peu après l’assassinat de Samuel Paty, l’entente était froide, et mon ton rude. Le président de la République m’avait en effet demandé de faire un retour d’expérience avec Pharos, pour savoir comment les jours qui ont précédé et suivi le meurtre de Samuel Paty avaient été gérés par ces plateformes. Et quelle ne fut pas ma surprise quand j’ai découvert sur les tableaux de signalement de Pharos que, parfois, les réseaux sociaux se permettaient de ne pas répondre aux questions de nos agents, de ne pas donner suite, ou de contre-arbitrer les services de l’État sur certaines questions, en indiquant par exemple qu’ils n’estimaient pas de danger sur tel ou tel internaute.
C’était inadmissible.
Pharos représente les services de l’État, la police, la gendarmerie, le ministère de l’Intérieur en lien avec les services antiterroristes. Donc à chaque fois qu’une plateforme entrave les travaux de Pharos, elle entrave le travail des services antiterroristes.
C’est pour cela que je leur ai indiqué que je ne voulais plus jamais voir de tableaux de suivi comportant la mention ‘Tel réseau social n’a pas répondu’ ou ‘telle plateforme a refusé de partager des contenus’, sous peine de rendre public chaque mois le tableau de leurs non-réponses. Aujourd’hui 80% des contenus haineux signalés par Pharos aux plateformes de réseaux sociaux sont supprimés sous 48 heures.
Nous avons par ailleurs convenu avec les plateformes d’inverser la logique de signalement, pour qu’elles puissent mettre à disposition de nos services d’enquêteurs les contenus les plus graves supprimés de leur propre initiative.
Il faut savoir que 95% des contenus supprimés sur les réseaux sociaux le sont avant leur signalement à Pharos. Ce que l’on demande dans ce groupe, c’est donc d’adopter un comportement responsable dans la suppression des contenus et dans la coopération avec la police et la justice. Ensuite, elles sont sommées de déréférencer les contenus haineux des moteurs de recherche.
L’affaire Paty a aussi réveillé une question délicate, régulièrement posée dans les affaires de cyber-harcèlement : celle de la responsabilité des plateformes et des hébergeurs. Que faire pour responsabiliser ces sites, notamment sur la question de la modération, sans pour autant remettre en cause la liberté d’expression ?
Nous avons introduit dans la loi du 24 août 2021 un mécanisme de responsabilisation des plateformes : elles sont désormais tenues aux obligations de consacrer des moyens suffisants à la lutte contre la haine en ligne, de faire la transparence sur ces moyens et de coopérer loyalement avec les pouvoirs publics. C’était indispensable.
Avec certaines plateformes, le dialogue est vraiment constructif. Nous avons pu visiter les locaux de grands réseaux sociaux, comprendre comment fonctionne leur modération de contenus. Mais, ce n’est pas la même chose pour toutes les plateformes – ce qui n’est absolument pas normal.
Que pouvez-vous faire de plus sur cette question ?
Changer la loi au niveau européen après l’avoir fait au niveau national. Faire avancer les textes dans le domaine de la régulation du numérique sera l’un des grands sujets de la présidence française de l’Union Européenne.
Qu’est devenue l’unité de contre-discours républicain, évoquée notamment dans L’Obs à la suite de l’assassinat de Samuel Paty, et comment fonctionne-t-elle ?
Une unité de contre-discours républicain a en effet été créée au Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation au lendemain de cet assassinat.
L’ambition est de contrecarrer dans l’espace numérique les discours de propagande séparatiste, islamiste en particulier. Cette unité s’est pour cela vue attribuer les moyens dont elle a besoin pour se déployer, soit une vingtaine de personnes à plein temps. Leur mission est notamment de faire de la veille sur les réseaux sociaux, au sein de la djihadosphère et des groupes islamistes, pour répondre aux comptes les plus radicaux pour ne pas les laisser se développer en toute impunité.
Ce qu’on veut, c’est décrédibiliser le récit islamiste, tout en expliquant pourquoi l’idée républicaine et la politique du gouvernement ne sont pas anti-musulmanes, mais résolument anti-islamiste.
« Nous souhaitons démonter les contenus radicaux, prouver que telle information est fausse, que tel tweet n’a pas de source, que tel compte n’est pas digne de confiance »Face à des personnes déjà radicalisées ou en voie de radicalisation, est-ce que ces messages dissuasifs sur les réseaux sociaux fonctionnent réellement ?
Évidemment, quand vous avez une personne profondément convaincue et déjà membre d’une organisation djihadiste, il est compliqué de la faire changer d’avis en quelques tweets sur les réseaux sociaux. Mais le but, c’est d’instituer le doute chez tous les autres.
Nous avons travaillé avec des sémiologues, des experts du djihadisme, de l’islamisme, pour analyser comment fonctionnent les biais cognitifs sur les réseaux sociaux.
> « J’ai voulu tirer le voile pour montrer qui était Samuel Paty »
Les personnes qu’on essaie de viser, ce sont par exemple les jeunes musulmans qui voient passer ces contenus radicaux, et qui pourraient être influencés par des personnes qui leur assurent que la France ne les aime pas, qu’il faut se radicaliser, se battre contre les principes républicains. Nous souhaitons démonter ces contenus, prouver que telle information est fausse, que tel tweet n’a pas de source, que tel compte n’est pas digne de confiance. Depuis un an, il y a ainsi eu de nombreux démentis apportés, des ripostes, de la critique, parfois de l’explication face à des campagnes hostiles qui s’appuyaient sur des contre-vérités.
L’application L’Express
Pour suivre l’analyse et le décryptage où que vous soyez
Que peut-on faire de plus ? D’autres mesures seront-elles mises en place ?
Il y a toujours des choses à faire en plus, pour maintenir le dialogue et l’esprit critique. C’est le sens de la commission Bronner sur le complotisme à l’époque du numérique ; elle est notamment chargée de plancher sur le problème de la désinformation sur les réseaux sociaux, un sujet largement lié à la lutte contre le cyberislamisme et le terrorisme. Il faudra également réfléchir à ce qu’il est possible de mettre en place pour que le libre arbitre ne soit pas tributaire des algorithmes, qui peuvent parfois nous enfermer dans des bulles, comme celle du contenu djihadiste.
Il me semble que cette question est fondamentale.
Opinions
ChroniquePar David DonnerChroniquePar Sylvain FortEditoAnne Rosencher
.