Maud Ventura  : « En littérature, la célébrité ne rentre pas en jeu »


« Les guerriers de l’hiver » : Olivier Norek sort de l’oubli un conflit et son héros, Simo Häyhä, qui a tué 542 personnesPour son deuxième roman, Maud Ventura a choisi d’aborder sur le même ton le thème de la célébrité. « C’est peut-être le dernier grand tabou de ceux qui le sont. Aucune actrice ou chanteuse, acteur ou chanteur ne vous répondra qu’il a voulu faire ce métier pour devenir célèbre. »

Au centre de Célèbre, Cléo, qui sait depuis toujours ou presque qu’elle veut le devenir. Plus de cinq cents pages d’un monologue intérieur, « on est dans la tête de celle qui avoue cette envie, indicible en interview ». Si on devait qualifier Cléo, on dirait qu’elle est insupportable.

« Je préfère qu’un lecteur trouve mon personnage insupportable plutôt qu’insipide. Je n’écris pas pour faire plaisir au lecteur mais pour le faire réagir. Je dirais qu’elle est jusqu’au-boutiste.

Pour le meilleur et pour le pire. »

Dans la joie et le plaisir

Contrairement à la majorité des écrivains qui se documentent avant d’écrire, Maud Ventura s’est plongée directement dans sa fiction : « Je crée mon personnage, je veux qu’il tienne sur ses deux jambes. Ensuite, pour aller plus loin et être vraisemblable, j’ai besoin d’accumuler de la matière. »

Elle a regardé nombre de documentaires (notamment sur Billie Eilish et Taylor Swift), écouté des podcasts américains, « une mine d’informations ». Comme cela ne lui suffisait pas, elle a rencontré des chanteurs et chanteuses célèbres qui ont accepté de répondre à ses questions. Francophones ? « Oui ».

Basés en France ? « Je n’en dirai pas plus ». « J’avais besoin d’obtenir la validation d’une chanteuse (Angèle, peut-être ?, NdlR) qui me dise : ‘ce que tu décris, c’est exactement ça’. »On imagine que, pour élaborer ce personnage dont la personnalité devient de plus en plus outrancière, Maud Ventura a dû bien s’amuser.

Elle confirme. « J’écris dans la joie et le plaisir. C’est ma boussole.

Lors de la rédaction des premières pages de mon roman, je jubilais, je riais. Comme si je tombais amoureuse de mon sujet. » »Mon chien n’aime pas les Arabes » : la souffrance d’une petite fille mutilée et celle des harkisNormalienne qui possède une formation en philosophie, diplômée en management de la Haute école de commerce, Maud Ventura, en couple avec un ingénieur, avoue avoir une vie assez cadrée.

« Pour préserver ma vie privée, j’arrête de travailler vers 18-19h et je m’astreins à ne pas écrire le week-end. » Elle a donc dû faire des infidélités à son personnage : « Il me manquait. Le dimanche soir, j’avais des papillons dans le ventre.

Je me couchais, le sourire aux lèvres, en me disant que dès le lendemain, j’allais le retrouver. »À deux endroits du livre, on peut lire : « avec la célébrité, ce n’est pas moi qui change, c’est le regard des autres ». « Ce qui est fascinant avec la célébrité, c’est que c’est à la fois tout et rien.

Quand ça arrive, ça bouleverse tous les aspects d’une existence. Ça change le rapport à l’argent, aux proches, à ce que la personne vit, ce qu’elle fait de ses journées. Ça touche à tout, le rapport au corps, l’apparence.

Et à la fois, c’est rien. Si elle est toute seule sur une île déserte comme Cléo au début du roman, la célébrité n’existe pas. »Sur cette île déserte, le mot d’ordre est déconnexion.

L’héroïne a beau glisser mécaniquement la main dans sa poche, elle n’y trouvera rien. À ce propos, quel rapport Maud Ventura entretient-elle avec les réseaux sociaux ? « C’est un outil de communication avec mes lecteurs qui me dépasse complètement. Je peux y passer plusieurs heures.

Ce sont des dizaines de messages par jour. Je réponds à chacun parce que ça me fait plaisir, mais se pose aussi la question de savoir jusqu’où je vais pouvoir le faire. »Faut-il avoir un boulot bien payé mais qui tue à petit feu ou miser sur la liberté quitte à être fauché ?

La drôle de vie des célébrités

Maud Ventura précise que le choix de son sujet est une exagération en soi.

« J’ai choisi l’hyper célébrité. Je n’ai pas pris une chanteuse française qui devient célèbre, mais opté pour la super popstar américaine, numéro un des charts. » Taylor Swift ? « Oui. »

Comment perçoit-elle son soutien à Kamala Harris ? « J’imagine une table de 15 consultants, avec ses 15 avocats, ses 15 spécialistes dans la communication média, où chaque mot qui va être dit ou écrit sera pesé. Elle ne peut pas se permettre de juste poster quelque chose sur les réseaux sociaux qui dise : ‘Je soutiens Kamala Harris.’ Rien n’est fait par-dessus la jambe, c’est fascinant. »

Les écrivains connaissent-ils la célébrité ? S’ils ont du succès, sont-ils pour autant célèbres ? « En littérature, la célébrité ne rentre pas en jeu, estime Maud Ventura. Personne ne sait qui je suis. Quand je rencontre mes lecteurs, ils ne me parlent que de mon livre. »

Un luxe incroyable, considère-t-elle, de n’aborder que son travail, dont elle ne se rendait pas compte avant ce livre. « Une actrice célèbre, on va vouloir savoir si elle est toujours en couple avec Bidule Truc ou quel est son rituel beauté du matin. Aucun journaliste ne m’a jamais demandé quelle était ma crème de jour, si j’étais plutôt yoga ou pilates. »

Pour étayer ce degré d’anonymat, Maud Ventura prend comme exemple une anecdote qu’elle raconte souvent en interview. « Un jour, alors que j’étais dans le train Brest-Paris, une femme s’assoit à côté de moi. Elle sort Mon mari de son sac et commence à le lire.

J’étais tellement contente ! Je me suis demandé comment j’allais réagir. Je l’ai interrompue pour lui dire qu’elle était en train de lire mon livre. Je le lui ai dédicacé, on a pris une photo et puis voilà. »

Maud Ventura a failli donner comme titre à son roman Une drôle de vie. « La célébrité, ce sont de très grandes joies et de très grandes peines. Mais régies par d’autres règles du jeu.

Comme si les célébrités habitaient sur Mars, que ce n’était plus les mêmes lois physiques qui s’appliquaient à eux. »⇒ Célèbre | Roman | Maud Ventura | L’Iconoclaste, 540 pp., 21,90€

Mon mari, My Husband, Mio Marito, Mein Mann…

Outre son succès sur le marché francophone, Mon mari connaît aussi une belle audience à l’international.

Il a ainsi été déjà traduit dans 17 langues – dont le thai, le coréen, le persan et l’hébreu. Cette notoriété s’inscrit dans un contexte particulier. Le roman paraît en 2021 en France, mais les éditions possèdent le texte un an plus tôt.

Nous sommes en pleine pandémie. L’équipe de L’Iconoclaste a un coup de cœur pour ce livre : « On a commencé à le pitcher par une vidéo parce que les foires littéraires avaient été annulées, suite au Covid », raconte Sophie Langlais, agente littéraire. Trois cents à quatre cents personnes l’ont reçue.

« Généralement, on commence par des petits cercles (des scouts, des éclaireurs), des gens qui lisent tous les livres en français et les conseillent à des éditeurs étrangers », précise notre interlocutrice.Les pays qui répondent généralement le plus vite pour obtenir les droits de traduction sont des voisins de la France : l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne. Mais pour Mon mari, les Américains ont réagi rapidement, relève Sophie Langlais.

Il a été tiré à 35 000 exemplaires, ce qui est beaucoup, indique-t-elle en fournissant une explication : Oprah Winfrey a adoré le livre. Elle en a parlé dans son Book Club. « C’est un peu le Graal pour les États-Unis.

Elle ne le fait pas forcément pour les traductions », précise l’agente. »Houris », Kamel Daoud : le nécessaire roman des massacres en Algérie

À chaque marché ses codes et ses formats

Le titre Mon mari a quasi été traduit littéralement dans chaque langue. Célèbre, par contre, connaîtra des adaptations.

« En anglais, ce sera Make me famous et pas Famous tout court. On a beaucoup hésité. On avait réfléchi à des paroles de chansons de Taylor Swift.

On a eu aussi une longue réflexion avec l’autrice. C’est une grande pro », continue Sophie Langlais.On a pu le constater quand on a signalé à Maud Ventura une caractéristique de son style (une rafale de mots dans la même phrase : « Je suis une machine de guerre, un avion de chasse, une frappe atomique, un sous-marin nucléaire, un char d’assaut, un hélicoptère »).

Elle nous informe, à ce propos, qu’elle est en train de revoir le texte en anglais de Célèbre avec la traductrice américaine Gretchen Schmidt. « Je change parfois l’ordre des mots afin d’aller des plus petits aux plus grands », relève la romancière qui maîtrise la langue de Shakespeare.Quant aux couvertures, si Mon mari en a connu bien de différentes, le marché anglo-saxon (Australie, États-Unis, Grand-Bretagne) de Célèbre se concentrera sur une seule.

« Pour faciliter le message sur les réseaux sociaux », précise Sophie Langlais, même si chaque marché possède ses codes graphiques et ses formats.Maud Ventura accompagne-t-elle la sortie du livre à l’étranger ? « Quand mon emploi du temps s’y prête, oui. Comme pour l’Italie.

Mais il vient de sortir en Allemagne cette semaine. Je ne pouvais pas m’y rendre. Il est question que j’aille aux États-Unis, l’été prochain, pour Célèbre, mais cela reste un point d’interrogation.

Si c’est pile au moment où je me décide à écrire un troisième, ma priorité sera toujours d’avancer sur mon travail en français. »