Même si les efforts en faveur du renouvelable ne manquent pas, la récente flambée des prix de l’énergie témoigne d’une triste réalité : le monde dépend toujours des sources fossiles.
Conséquence d’une météo inhabituelle et d’un redémarrage économique post-pandémie, ces dernières semaines, la demande mondiale de pétrole, de charbon et de gaz naturel a explosé. Résultat : de la Chine au Brésil en passant par le Royaume-Uni, les pénuries s’accumulent.
Cette situation a révélé la fragilité de l’approvisionnement dans un monde qui cherche à renoncer aux énergies fossiles pour privilégier les sources plus propres, une tendance que les Etats et les investisseurs inquiets du changement climatique sont nombreux à vouloir accélérer.
Dirigeants et analystes l’affirment : les années qui viennent s’annoncent compliquées parce que les investissements dans les combustibles fossiles (qui constituent toujours notre principale source d’énergie) reculent alors que les dépenses en énergies vertes n’augmentent pas assez vite.
« Il y a beaucoup moins de matière disponible pour répondre à une croissance désormais solide, a déploré mercredi dernier Darren Woods, le directeur général d’Exxon Mobil, à l’occasion d’une conférence en Russie.
Si l’on ne s’intéresse pas à la demande et que l’on ne traite que l’offre, la volatilité va encore augmenter »
En outre les ressources renouvelables ne sont pas à la hauteur des prévisions, ce qui renforce encore la demande en énergies fossiles.
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a récemment estimé que la demande mondiale de pétrole devrait atteindre environ 99,6 millions de barils par jour l’an prochain, un chiffre proche du niveau pré-pandémie.
Elle prévoit également que la demande de charbon dépassera cette année son niveau de 2019 et progressera jusqu’en 2025 ; le rythme de baisse après cette date dépendra de l’action publique.
« Il y a beaucoup moins de matière disponible pour répondre à une croissance désormais solide, a déploré mercredi dernier Darren Woods, le directeur général d’Exxon Mobil, à l’occasion d’une conférence en Russie. Si l’on ne s’intéresse pas à la demande et que l’on ne traite que l’offre, la volatilité va encore augmenter.
»
La production mondiale de pétrole continue de progresser, mais sans parvenir à suivre l’explosion de la demande des pays qui émergent de la pandémie, estime l’agence américaine d’information sur l’énergie (EIA).
Des investissements pétroliers en chute libre
Entre 2010 et 2015, les dépenses mondiales en exploration gazière et pétrolière ont oscillé autour de 100 milliards de dollars par an en moyenne, selon Rystad Energy, puis sont tombées à environ 50 milliards par an dans les années qui ont suivi.
Cette année, les investissements pétroliers et gaziers mondiaux seront en baisse d’environ 26 % par rapport au niveau pré-pandémie, à 356 milliards de dollars, a indiqué mercredi l’AIE.
Pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, a précisé l’agence, il faudrait qu’ils se maintiennent à ce niveau pendant une décennie, avant de reculer. L’objectif du traité international est de limiter l’augmentation de la température mondiale à 2 degrés maximum par rapport à l’ère préindustrielle, l’idéal étant 1,50.
« L’investissement mondial n’est pas suffisant pour répondre aux besoins futurs en énergie, et les incertitudes entourant les orientations stratégiques et l’évolution de la demande engendrent un risque élevé de volatilité sur les marchés de l’énergie »
Pour satisfaire la demande mondiale en énergie et les ambitions climatiques, il faudrait que les investissements dans les énergies propres continuent d’augmenter pour passer de 1 100 milliards de dollars cette année à 3 400 milliards de dollars par an jusqu’en 2030, selon l’AIE.
Ces investissements permettraient de faire progresser la technologie, l’acheminement et le stockage.
« L’investissement mondial n’est pas suffisant pour répondre aux besoins futurs en énergie, et les incertitudes entourant les orientations stratégiques et l’évolution de la demande engendrent un risque élevé de volatilité sur les marchés de l’énergie », déplore l’AIE dans son rapport. Elle ajoute que le déploiement des énergies renouvelables exige une augmentation des dépenses dans d’autres secteurs, notamment le secteur minier, afin d’extraire et de transformer la matière première nécessaire pour les turbines éoliennes, les panneaux solaires et les batteries de stockage à grande échelle.
les capacités renouvelables mondiales dépassaient 1,5 million de mégawatts l’an passé, selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (Irena), contre moins de 55 000 mégawatts en 2000.
Soutenue par des subventions publiques et des mesures destinées à réduire le recours au charbon, la plus polluante des énergies fossiles, l’énergie verte a gagné des parts de marché aux Etats-Unis et en Europe.
En 2019, avant la pandémie de Covid-19, les Américains consommaient, pour la première fois depuis 1885, plus d’énergie renouvelable que de charbon.
soit une progression de 45 % sur un an.
Pour l’agence, ce taux de croissance est la « nouvelle norme ». Elle attend une progression similaire cette année et l’an prochain.
Direction Glasgow
Les dirigeants internationaux se réuniront dans deux semaines à Glasgow, en Ecosse, pour une conférence sur le changement climatique. Objectif : accélérer la transition vers les énergies propres pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ils se heurtent cependant aux questions qui compliquent le débat depuis des décennies, notamment l’aide que les pays riches devraient (ou pas) apporter aux pays pauvres pour financer la transition.
Certaines nations et entreprises occidentales voudraient produire des panneaux solaires sans charbon, mais cela risque de faire exploser les coûts.
De nombreux pays adoptent aussi des politiques destinées à favoriser l’achat de véhicules électriques, ce qui devrait faire baisser la consommation de pétrole pour les transports. A l’heure actuelle, elle représente environ 60 % de la demande mondiale, selon l’AIE. Mais même si la quasi-totalité des grands constructeurs automobiles (General Motors et Volkswagen inclus) misent sur les voitures électriques et que les ventes décollent, l’adoption sera progressive.
Les Etats-Unis sont moins touchés que d’autres pays, mais les prix y ont tout de même augmenté et beaucoup redoutent de nouvelles hausses avec l’arrivée de l’hiver
le prix du gaz naturel a quasiment triplé en trois mois pénalisant la production de semiconducteurs et d’autres exportations clés.
Les Etats-Unis sont moins touchés que d’autres pays, mais les prix y ont tout de même augmenté et beaucoup redoutent de nouvelles hausses avec l’arrivée de l’hiver.
Mercredi, l’EIA américaine a prévenu que près de la moitié des foyers américains qui se chauffent principalement au gaz naturel pourraient voir leur facture augmenter de 30 % en moyenne par rapport à l’an passé.
Vendredi, le Brent valait plus de 85 dollars le baril, un niveau qu’il n’avait plus atteint depuis trois ans. Les traders pariant sur une poursuite de la hausse, les marchés d’options ont été frappés de plein fouet.
L’un des éléments qui influent sur les cours de l’or noir, c’est le fait que, confrontés à des pénuries de gaz et de charbon, certains industriels et opérateurs de centrales électriques se tournent vers le pétrole.
Son concurrent Abu Dhabi National Oil
Dans un rapport publié le mois dernier, le cartel estime que le pétrole de ses membres représentera 39 % de la consommation mondiale de brut en 2045, contre environ 33 % à l’heure actuelle.
« Nous observons des tensions et des conflits liés aux prix de l’énergie, à la sécurité énergétique et à la réduction des émissions », a souligné le mois dernier Mohammed Barkindo, secrétaire général de l’Opep, dans un entretien.
En Californie, une transition compliquée
la Californie a évité de justesse les coupures de courant cette année
la Californie a évité de justesse les coupures de courant cette année.
L’Etat a également installé quatre générateurs à gaz temporaires pour faire face aux pénuries.
Des adieux interminables
Après avoir perdu de l’argent pendant des années parce qu’ils avaient parié sur le schiste américain (beaucoup de réserves, mais peu de profits), les investisseurs exigent que les entreprises lèvent le pied sur les dépenses et pensent un peu à leurs actionnaires, un mouvement qui a mis à l’arrêt la quasi-totalité des champs pétroliers qui avaient alimenté le boom du gaz de schiste.
Continental Resources (avec le champ de Bakken dans le Dakota du Nord) et EOG Resources (avec celui d’Eagle Ford au Texas) font partie de celles qui se sont lancées quand l’or noir valait plus de 100 dollars le baril. Les réserves les plus prolifiques ont été siphonnées et, dans ces régions, les producteurs peinent désormais à extraire autant de pétrole. Cette année, la production de la quasi-totalité des 20 principaux acteurs des champs d’Eagle Ford et de Bakken est restée inférieure à son niveau d’avant la pandémie, selon ShaleProfile, une plateforme d’analyse.
« Ce sont des adieux interminables qui commencent », dit Bob Fryklund, stratégiste chez IHS Markit, des paris sur les champs de Bakken et Eagle Ford.
La seule région (hors Alaska et Hawaï) dans laquelle la production prospère encore est le bassin permien, une zone à cheval sur le Texas et le Nouveau-Mexique. La production ne s’y est pourtant pas encore totalement remise et les entreprises qui forent sont souvent de petits opérateurs qui n’ont pas la force de frappe nécessaire pour changer la donne.
Les majors cotées en Bourse ont réduit leur activité dans le bassin permien et, fin juillet, seuls huit des 20 plus grands producteurs affichaient une production supérieure à celle de mars 2020, selon ShaleProfile.
Bill Armstrong a fondé Armstrong Oil & Gas, qui a découvert l’un des plus grands champs pétroliers de l’histoire des Etats-Unis à North Slope en 2013. Pour lui, tant que la demande de pétrole reste forte, le retrait des investisseurs d’Alaska n’aura qu’une seule conséquence : favoriser les pays moins regardants
« Si la production augmente de 5 % par an dans les prochaines années aux Etats-Unis hors Alaska et Hawaï, ce sera déjà beaucoup », a déclaré en août dernier Scott Sheffield, directeur exécutif de Pioneer Natural Resources, le principal producteur du bassin permien.
En Alaska, la production s’inscrit, elle aussi, en forte baisse. Beaucoup de majors pétrolières occidentales ont quitté la région, à commencer par BP, qui a vendu ses actifs de North Slope à Hilcorp Energy en 2020 pour 5,6 milliards de dollars.
L’an passé, la production de l’Alaska est tombée à 448 000 barils par jour en moyenne, son plus bas niveau depuis vingt ans, selon l’EIA.
Même si l’Etat abrite encore des réserves colossales de pétrole et de gaz, plusieurs éléments limitent les investissements, à commencer par le manque de financement bancaire. Sous la pression des groupes écologistes, six grandes banques américaines se sont engagées ces dernières années à ne plus financer les forages dans l’Arctique.
Bill Armstrong a fondé Armstrong Oil & Gas, qui a découvert l’un des plus grands champs pétroliers de l’histoire des Etats-Unis à North Slope en 2013.
Pour lui, tant que la demande de pétrole reste forte, le retrait des investisseurs d’Alaska n’aura qu’une seule conséquence : favoriser les pays moins regardants.
dit de Pikka, à Oil Search pour 850 millions de dollars. L’entreprise, qui a annoncé sa fusion avec le groupe australien Santos en août dernier, a déclaré qu’elle avait du mal à obtenir des financements bancaires et qu’il lui faudrait plusieurs années pour lancer la production.
« Les réserves sont là , dit Bill Armstrong de la découverte. Quand ce sera exploité, elle aura l’envergure d’un pays de l’Opep, sauf qu’on en a besoin maintenant. »
Katherine Blunt a contribué à cet article
(Traduit à partir de la version originale en anglais par Marion Issard) .