Entretien avec le talentueux défenseur eupenois Emmanuel Agbadou, avant un certain Eupen-Standard prévu ce mercredi – 18h35.
Emmanuel Agbadou, quel regard portez-vous sur cette saison, qui a très bien commencé pour Eupen, avant de se compliquer…
Il y a toujours des moments plus compliqués dans le football. Ce sont des choses qui arrivent. On travaille pour retrouver la réussite de notre début de saison. On constate aussi que nos adversaires ont plus de facilités à nous étudier. Et comme on n’a pas un grand noyau et que ce sont souvent les mêmes qui jouent… On compte également sur les jeunes qui nous ont rejoints cet hiver pour nous aider à remonter la pente.
À titre plus personnel : cela fait un an et demi que vous êtes à Eupen. Où se situe Emmanuel Agbadou dans sa progression?
j’ai eu l’intention de vite grimper les échelons car je savais que je n’étais plus si jeune que ça Donc je devais m’adapter le plus rapidement possible et j’ai su le faire, par la grâce de Dieu et avec l’aide de notre ex-coach Beñat San José qui a beaucoup travaillé avec moi en me disant comment m’améliorer via des vidéos et des conseils. Ça m’a beaucoup aidé et je tiens à lui rendre hommage.
C’est quoi la suite, pour «Manu» Agbadou?
J’ai fait de mon mieux et j’ai prié pour y arriver. Mais je ne compte pas m’arrêter là.
C’est-à-dire?
Je veux marquer l’histoire. Chez nous, quand tu veux atteindre des sommets, on dit de viser le ciel, ainsi, au pire, tu atteindras les étoiles. C’est ce que j’essaye de faire en tant que défenseur ivoirien.
Votre papa, Frédéric Agbadou, a confié dans la presse ivoirienne qu’au départ, il n’était pas très chaud à l’idée de vous voir vous lancer dans le football.
C’est vrai, oui. Mon père a joué au football, au Stade d’Abidjan, mais il faut dire qu’à l’époque, le football ne payait pas tellement bien et il a donc décidé d’aller travailler. Nous sommes huit enfants: j’ai quatre sœurs et trois frères. Mes frères jouaient au football et avaient du talent, mais mon papa a voulu qu’ils donnent priorité auxétudes. Ma maman a eu un rôle important puisqu’on venait lui expliquer que je voulais jouer au football. À ce moment-là, je jouais au quartier avec mes amis. Elle a dit à mon père : «Notre dernier, tu ne l’empêcheras pas de jouer au football». Elle m’a pris par la main et m’a emmené à mon premier centre de formation. J’en ai fait plusieurs à Abidjan. Le premier centre affilié à la fédération, c’était l’académie Don Koff, en 2010. Je suis passé à l’Académie Alloka Sahoure, toujours à Abidjan, avant de rejoindre l’Africa Sport (L1 ivoirienne) pendant une saison. En 2017, je signe au FC San Pedro. Ils étaient montés en D1 il y a peu. J’y suis resté deux ans.
À 19 ans, quand on évolue en D1 en Côte d’Ivoire, on pense déjà à l’Europe? Avec la même détermination qu’aujourd’hui?
Il a pourtant rejoint Chelsea alors qu’il avait 26 ans.
Le FC San Pedro va ensuite vous prêter à l’US Monastir, en Tunisie. Ce n’est pas encore l’Europe, mais un important pas en avant.
Pourquoi?
Oui, je ne suis arrivé qu’en septembre. Tout était une question d’argent. Le FC San Pedro et Monastir avaient compris que se partager 300 000€, ce n’était pas grand-chose. Ils se sont dit qu’ils avaient commis une erreur et ont voulu demander plus que ce qui était écrit. L’autre élément qui a retardé le dossier, c’est l’offre que j’avais pour rejoindre le Qatar. Financièrement, c’était beaucoup plus intéressant pour San Pedro et Monastir.
Et pour vous aussi?
Oui, mais j’ai refusé. J’ai dit: «Je suis jeune. Mon avenir est en Europe, pas au Qatar. Si je veux une grande carrière, je dois aller en Europe.»
Il y avait d’autres clubs belges intéressés par votre profil durant l’été 2020?
C’est Eupen qui a montré le plus d’envie. Mon agent de l’époque m’avait dit qu’il m’avait proposé à Louvain et au Beerschot mais qu’ils n’étaient pas très intéressés car à leurs yeux, je manquais d’expérience. Il a ensuite parlé avec Jordi Condom (NDLR : ex-coach d’Eupen alors directeur sportif eupenois). Et ça s’est fait.
C’était donc ça, votre destin?
Je suis très croyant. Je priais pour que mon transfert puisse se faire. La situation était compliquée avec le Covid et, des joueurs à 300 000€, il y en a aussi en Europe. Quand j’ai signé à Eupen, le coach m’a expliqué qu’à force de devoir attendre, les dirigeants se demandaient s’ils ne devaient pas signer un autre défenseur. Mais l’entraîneur (NDLR : Beñat San José) a insisté et disait qu’il voulait mon profil. Au fond et au vu des complications, Eupen aurait pu se retirer, mais ils m’ont attendu et le transfert s’est fait. Je vois ça comme un miracle.
Un an et demi plus tard, votre nom est cité dans des clubs comme Watford, Bruges ou encore Gand. Quand on a un parcours comme le vôtre : comment garde-t-on la tête froide par rapport à tout ça?
c’est la meilleure façon de perdre tes repères.
Eupen n’a pas tardé à vous prolonger et vous disposez d’un contrat jusqu’en 2025. Quel serait le moment idéal pour franchir une nouvelle étape? Cet hiver déjà? Ou plus tard?
Le bon moment aurait pu être cet hiver ou l’été prochain. Mais c’est le club qui décide. Eupen veut s’assurer de recevoir une offre juste qui permette à tout le monde d’être content. Mais à titre personnel, je me sens prêt à franchir un cap.
La signature d’Edo Kayembe à Watford, un an et demi après son arrivée à Eupen… Ça donne envie?
Oui ! On est presque arrivés ensemble Edo et moi la saison dernière. Son transfert, c’est un encouragement. Tu te dis que s’il a déjà pu rejoindre Watford en venant d’Eupen, en te concentrant, tu peux toi aussi décrocher un transfert dans un bon championnat.
Y a-t-il une compétition qui vous fait rêver?
L’Espagne. Même si beaucoup me disent que j’ai le profil pour jouer en Angleterre. Je suis un fan du Real Madrid. J’aime le football espagnol car derrière ça ne balance pas le ballon, ça joue. C’est un jeu de possession. Et moi aussi, j’aime avoir la balle.
Vous comptez cinq buts cette saison, ce qui n’est pas mal du tout pour un défenseur central. C’est aussi une façon d’attirer les regards, non?
J’aimerais en inscrire dix. On verra si j’y arrive. Sergio Ramos est un modèle du genre. Il sait marquer et se montrer décisif. Si tu veux être un «grand», tu ne peux pas te contenter de défendre. Aujourd’hui, il faut être rapide, intelligent, avec une bonne sortie de balle et se montrer polyvalent. Moi, avec ma taille (192 cm), je me dois d’être décisif sur les phases arrêtées. Dans le football moderne, ce sont presque des penaltys. Je n’oublie pas notre ancien préparateur physique Thibaut Meyer, aujourd’hui à l’Union Saint-Gilloise, qui m’a dit un jour que je devais m’imposer dans les duels et être aussi décisif que Kurt Zouma (West Ham, ex-Chelsea). On a fait des exercices pour travailler ma détente, etc. Il n’est plus chez nous, mais j’espère qu’il voit le fruit de son travail.
Ce mercredi, Eupen reçoit le Standard. Au match aller et malgré une bonne prestation, on a surtout retenu votre geste de la poitrine qui a trompé le gardien Nurudeen et offert la victoire 1-0 au Standard. Quand on se sait regardé et qu’on a cette envie de marquer l’histoire, comment gère-t-on ce genre d’erreur moralement?
Dans la vie, il faut retenir le positif. Là, le positif c’est que le lendemain, tu ne commets plus la même erreur. Je me souviens d’avoir provoqué un penalty sur Frey (Antwerp). Par la suite, j’ai mieux calculé mes gestes. Tu apprends de tes erreurs en gagnant en expérience.
Envie de vous «racheter» ce mercredi?
Je ne crois pas en la vengeance. C’est la meilleure façon de tomber dans l’euphorie et de faire des erreurs. Moi, je dois jouer mon football et respecter les consignes du coach. Pour le reste, on verra. Le plus important, c’est l’équipe. Et parfois, je dois bien avouer que je l’ai brièvement oublié. Mais après, je me suis posé et je me suis bien rendu compte que si on parlait d’Agbadou, c’était grâce à mes équipiers.
Eupen reste sur un partage à Courtrai, avant de jouer le Standard (ce mercredi) et d’aller à Seraing (samedi). Peut-on parler d’une semaine décisive pour l’AS en vue du maintien?
Tous les matches sont importants pour nous. Si on commence déjà à faire des calculs, on va se mettre une pression inutile.
La fin du mercato hivernal approche. Ça va bouger pour vous?
De faire les choses bien. Si quelque chose avait dû se faire, ça aurait été en début de mercato. Ça n’a pas été le cas. Mais si je continue comme ça, il y aura plus d’offres en été.
Que vous manque-t-il encore pour gravir les échelons?
Je dois travailler pour parvenir à être 100% concentré pendant les 90 minutes. Ça me fera franchir un cap.
Nous sommes en janvier 2022. Plusieurs années après avoir tenté de vous dissuader de miser sur le football, que vous dit votre papa?
Qu’il très est fier de son fils. Il sait depuis plusieurs années qu’il n’aurait pas dû essayer de m’empêcher de jouer au football (rires). Je me souviens qu’il m’avait posé la question trois fois: «Tu continues les études ou tu veux jouer au football?» J’ai répondu «le football» et j’ai eu sa bénédiction. Aujourd’hui, il est fier. Il regarde tous mes matches. En tant qu’ancien footballeur et ex-défensif, il débriefe avec moi. Mes frères me parlent aussi beaucoup. Là, ils veulent se former en management et pouvoir m’entourer pour la suite de ma carrière.
« De tout cœur avec la Côte d’Ivoire »
Mais on sait que la Coupe d’Afrique est une compétition très compliquée. Si je n’ai pas été appelé, je me dis que ce n’était pas le bon moment, c’est tout.La Côte d’Ivoire peut-elle aller au bout?Oui, on peut l’emporter. Je vais rater le huitième de finale contre l’Égypte ce mercredi car je jouerai en même temps avec Eupen contre le Standard. Mais je serai de tout cœur avec la Côte d’Ivoire.-