Depuis presque deux ans, la population québécoise a démontré une belle solidarité. Nous avons collectivement fourni un effort colossal, malgré la crainte, la déception, la colère et la frustration.
Comme la grande majorité d’entre nous, je me suis accroché, acceptant de respecter les règles édictées par notre gouvernement. Que je sois en accord ou pas avec la stratégie déployée, je reconnaissais mes limites et me soumettais aux directives de la Santé publique.
N’étant ni médecin ni chercheur en épidémiologie, je me restreignais, pour ne pas dire me confinais, à jouer les gérants d’estrade avec des collègues ou des amis. La COVID et ses multiples variants ont forcé nos spécialistes à travailler vite, souvent avec succès et au bénéfice de la majorité. Ils le font encore.
Comme citoyen, j’ai été solidaire de nos dirigeants politiques. Le premier ministre et son équipe ont su gagner mon respect, parfois forcer mon admiration. Ils n’ont pas été parfaits, mais qui peut l’être en pareilles circonstances? Il faut beaucoup d’énergie, de patience, de courage et de détermination pour puiser en soi la force de revenir chaque jour rencontrer les journalistes et répondre aux questions. Se lever chaque matin en relevant le défi de se battre pour le bien-être collectif est admirable.
Jusqu’à la journée de jeudi, François Legault, les deux directeurs de santé publique ainsi que les deux ministres de la Santé ont su conserver ma sympathie. Limité dans mes connaissances et mon expertise, je soupesais le pour et le contre de mesures comme le couvre-feu, mais d’un point de vue théorique.
Lors de la conférence de presse de jeudi, empathie et sympathie ont été mises à rude épreuve. Pour une rare fois, l’équipe assise devant les journalistes s’aventurait sur un terrain que je connais bien. Si je m’abstenais de jugements sévères jusque-là, cette fois, je disposais des compétences et de l’expérience nécessaires pour me prononcer.
Pour la première fois hier, je pouvais confirmer qu’on déformait les faits ou qu’on dépeignait une situation qui ne correspondait pas à la réalité. N’était le respect que je voue encore à la contribution du premier ministre Legault, je dirais qu’il a menti.
Avant de poursuivre sur le contexte de la rentrée scolaire, j’aimerais d’abord effectuer un petit détour par la stratégie du gouvernement. M. Legault projetait jeudi l’image d’un homme confiant et de fort bonne humeur. «Bonne nouvelle!» a-t-il lancé en soulignant que nous avions peut-être atteint le sommet de la vague. Du moins, ce serait fait ces jours-ci ou très bientôt.
M. Legault est un meneur et il l’a démontré à moult occasions depuis deux ans. Je comprenais le besoin de revigorer le moral de ses concitoyens et de donner espoir. Qui voudrait suivre un meneur abattu ou résigné? Cette humeur me semblait également annonciatrice d’une nouvelle façon d’envisager la crise. Comme on nous l’a répété je ne sais plus combien de fois, Omicron est un animal différent qu’il faut gérer autrement.
Plus virulent, mais moins sévère dans ses symptômes, le plus récent variant ouvre la porte à de multiplies possibles. Pendant un moment, on oubliait les hospitalisations, les urgences bondées ou les soins intensifs presque à la limite de leur capacité. On ne parle plus du nombre d’infections par jour. Pas parce qu’on ne parvient plus à les comptabiliser correctement tellement il y en a, mais bien parce qu’on est moins malade d’Omicron que de Delta.
Déjà, à ce point de la conférence de presse, je me sentais en décalage avec notre premier ministre. À mes yeux, toutes proportions gardées, plus de cas d’un variant moins dangereux peuvent malgré tout entraîner un fardeau supplémentaire pour un système qui craque de partout, malgré les efforts héroïques de l’ensemble du personnel hospitalier. Les réjouissances me semblaient pour le moins prématurées. Mais je m’égare…
Ce n’est pas la seule évocation de la «bonne nouvelle» qui m’a fait tiquer. Malgré mon incompréhension ou mon incapacité à appréhender la situation autrement qu’en fonction des paradigmes utilisés jusqu’à maintenant, c’est plutôt sur la question de la rentrée scolaire que je me suis senti floué.
Le premier ministre, le ministre de la Santé et le nouveau directeur national de santé publique ont appuyé le retour en classe des étudiants et des élèves, du primaire jusqu’au collégial. Là aussi, j’ai pensé qu’avec l’État du système de santé, nous devrions peut-être retarder le début des cours ou encore nous en remettre à l’enseignement virtuel pour quelques semaines. Mais qui suis-je pour remettre en question l’analyse du Dr Boileau, dont l’expertise et l’expérience sont garantes d’une indéniable compétence?
Comme parent et pédagogue, les arguments en faveur d’un retour en classe me sont connus et je souscris à l’avis des experts qui évoquent les problématiques de santé mentale ou de socialisation, les effets sur la réussite, les troubles d’apprentissage et le décrochage. Ici, le premier ministre prêchait à un converti.
J’ai donc décroché ailleurs. Quand? Tout d’abord en pensant qu’on avait effectué le virage vers l’atteinte d’une immunité collective sans appeler les choses par leur nom. C’est déjà gros. Plus encore, le ministre Roberge et le premier ministre ont bien pesé leurs mots en affirmant que tout était en place pour permettre au personnel des écoles de se préparer à une rentrée «sécuritaire».
Je ne saurais évaluer le pourcentage de mes concitoyens qui ont cru que nous disposions de tous les moyens, des meilleurs moyens, pour limiter la propagation du virus et les dérapages possibles, mais je ne compte plus les réactions vives et emportées de nombreux collègues et amis qui enseignent au primaire, au secondaire ou au collégial. Plusieurs ont cessé de croire.
La liste des problèmes, vous la connaissez probablement déjà. On ne les a pas résolus en deux ans ou encore on ne l’a fait que partiellement. Je m’apprête à commencer ma session dans un local fermé, avec une quarantaine d’élèves assis coude à coude. La durée moyenne de nos cours est de trois heures…
Si le personnel enseignant et les élèves sont presque tous vaccinés deux fois, il est illusoire de penser qu’un pourcentage suffisant de tout ce beau monde aura bénéficié de sa troisième injection pour la rentrée. Si les informations qu’on nous donne sont exactes, une double dose n’offre que bien peu de protection contre Omicron.
Malgré ce contexte précaire, il n’est pas question de baisser les bras ou de briser la solidarité. Comme je le fais depuis de nombreuses années déjà, je serai au poste, attentif au besoin de mes étudiants et enthousiaste à l’idée de partager connaissances et compétences.
D’autres que moi sacrifient bien plus et depuis bien longtemps. Mes pensées vont vers le personnel de nos hôpitaux ou encore vers ceux qui assurent la relève dans nos épiceries ou nos services essentiels. Comme tous ceux-là, je veux apporter ma contribution.
Si j’avais une demande à acheminer à M. Legault, dont je salue la résilience, ce serait de ne plus déformer les faits et de mettre toutes les informations sur la table. On insiste à mon avis beaucoup trop sur les 10% de non-vaccinés, et ce, au détriment de la solidarité admirable des Québécois.
Monsieur le premier ministre, si nous avons effectué le virage vers la recherche de l’immunité collective, je vous suivrai. Si vos experts jugent qu’il est préférable d’être en classe et que nous avons atteint le point de rupture pour nos jeunes, je retrousserai mes manches et m’attellerai à la tâche. Je le ferai à une condition: la vérité. Les enseignants ne disposent pas de tous les moyens, encore moins des meilleurs.
Vous souhaitez des citoyens déterminés et solidaires dans cette guerre que nous livrons à un ennemi sournois et tenace? Assurez-vous de ne pas ébranler leur confiance comme vous avez ébranlé la mienne. Depuis bien longtemps nous avons gagné le droit de savoir. Des cyniques affirment parfois qu’on perd ses élections en regardant les gens dans les yeux pour leur dire la vérité. J’offre bien peu de choses, si c’est ce qui est en jeu, mais vous gagneriez mon respect et, fort probablement, mon vote.