Les climats éthérés ont pris le pas sur les compositions jazzy des débuts. Fredrika Stahl ne s’est jamais laissée enfermer dans des cases, tout comme elle n’a jamais laissé quiconque tracer à sa place une route dont elle dessine elle-même les contours, surtout depuis sa décision de regagner son indépendance artistique.
Après le phénomène Demain, dont elle a composé la bande-son, la Suédoise, devenue depuis bien longtemps française d’adoption, a pris le temps. Le temps de recréer un environnement propice au premier jour du reste de sa carrière. Le temps d’écrire un nouvel album, le sixième, dans lequel elle explore, à travers le thème de la nuit, des pistes musicales qui l’éloignent d’un art qu’elle maîtrise à merveille, celui de la ballade piano-voix (Rivers).
dans cet exercice baptisé Natten (nuit, dans sa langue maternelle), des morceaux aux contours tantôt minimalistes (Rescue Me, dont l’esprit n’est pas sans rappeler certains moments de Both Ways Open Jaws de The Dø), tantôt acoustiques (Bed Sheets). La mélodie y prend toujours une place essentielle (Electric, Razor’s Edge, Static Cellophane) et chacune des écoutes de l’album le rapproche d’un panthéon dans lequel il viendrait se glisser aux côtés d’un chef-d’œuvre du genre, Adventures In Your Own Backyards de Patrick Watson.
Natten est un disque aux couplets ouatés, aux refrains vaporeux. C’est l’un de ces disques qui vous transportent. À poser de préférence sur une platine entre chien et loup.
Natten sort six ans après la bande originale de Demain. Jusque-là, vos albums étaient espacés de deux-trois ans. Pourquoi le délai a été plus long cette fois-ci ?
Après l’aventure Demain, j’ai ressenti un grand besoin de faire un album en autoproduction. Jusque-là, j’étais signée chez une major et je n’étais pas toujours forcément prête au moment où il fallait s’atteler à un disque. Avec Demain, j’avais, pour la première fois, carte blanche et ça m’a donné envie d’être indépendante à 100 %. Ça m’a fait beaucoup de bien.
En toute honnêteté, je ne pensais pas que ça allait prendre aussi longtemps mais il a fallu revoir l’organisation, prendre le temps de monter un label, de trouver un entourage – il y avait toute une équipe à reconstruire –, et d’un autre côté, je suis enfin rentrée en studio avec le sentiment que c’était pleinement le bon moment.
Comme son nom l’indique, Natten est inspiré par la nuit. C’est un moment propice à l’imagination, à l’évasion. Sur le plan musical, vous déclinez l’ambiance sous différentes formes mais au niveau des textes, vous vous êtes inspirée de quoi ?
C’est un album très personnel. J’avais vraiment envie qu’il me ressemble le plus possible, d’où le titre de l’album en suédois mais également la chanson en français. Il est très mélancolique, c’est un aspect qui m’inspire beaucoup et forcément, la nuit, les heures bleues et les paysages qui vont avec sont propices à ce type d’humeur tout en laissant la place à une lueur d’espoir.
Est-ce que l’isolement ou la » perte de repères » dans le temps provoqués par le confinement a eu une influence sur votre inspiration ?
L’album était déjà fini quand tout a commencé. C’est d’autant plus étrange que certaines choses collent parfaitement à la situation actuelle. On s’est posé la question de savoir s’il fallait le sortir maintenant et, en même temps, on ne sait pas combien de temps tout cela va encore durer. On ne peut pas s’arrêter de vivre. Ça fait du bien de se concentrer sur autre chose.
À la sortie d’Off To Dance, en 2013, vous disiez que vous vous étiez trouvée personnellement et musicalement. Est-ce que Natten et son caractère introspectif n’ont pas un peu rebattu les cartes sur ce point ?
Mais on change et on apprend à se connaître de mieux en mieux. Je n’ai pas pour habitude d’écouter mes anciens disques mais ça peut m’arriver et je me sens très éloignée de mon premier album, par exemple. Natten correspond à celle que je suis au moment où l’on parle. Je ne suis pas sûre que ce sera encore le cas dans deux-trois ans.
MUSIQUE. XIXA, de la genèse à la révélation
Je t’aime Mélancolie
Oui et d’autant plus que je me projette toujours en termes d’album. C’est important qu’il soit perçu comme un chapitre. Voilà pourquoi il faut éviter de proposer dix fois la même chanson. J’aime beaucoup de musiques. J’ai une tendance naturelle à aller vers les ballades un peu mélancoliques mais il m’arrive de me forcer pour faire autre chose et ce n’est pas négatif, au contraire. Si ce n’était pas le cas, jamais je n’aurais pu travailler sur un projet comme Demain. Sur Natten, un morceau comme Get Even m’a permis, par exemple, d’aller vers quelque chose de nouveau, d’explorer d’autres pistes.
Le jazz représente une part essentielle de votre travail. Est-ce qu’il est toujours un ingrédient important de votre créativité ?
Disons que c’est en moi mais je n’y pense pas forcément quand j’écris.
Vous apportez un soin très particulier à l’élaboration de vos maquettes. Est-ce qu’il y a une différence majeure entre ces démos et ce qu’on entend sur le disque ?
réalisateur et arrangeur qui a notamment travaillé avec Alain Souchon, Christophe ou Camille, ndlr).
Je ne dis pas que ça a été facile de lâcher prise, de me séparer de passages que j’avais mis parfois beaucoup de temps à écrire mais, avec le recul, je me dis qu’on a bien fait, même si c’est un processus particulier.
Quelle chanson a été la plus facile à écrire ? À enregistrer ?
Finalement la nuit. Probablement parce que ce n’est pas moi qui ai écrit le texte (rires). Mais en une heure, une heure et demie, la chanson était prête.
(après réflexion) Je dirais Get Even parce qu’elle a eu trois ou quatre refrains.
Est-ce qu’un jour, vous pourriez envisager de publier ces démos, à l’occasion d’une réédition, par exemple ?
Je ne sais pas. Certaines peut-être, mais d’autres non. La première maquette de Turn of Life en piano-voix, pourquoi pas. Mais les idées plus bidouillées qui servaient pour la rythmique ou de repère pour le studio n’auraient pas forcément d’intérêt.
Même si sur votre premier album vous interprétiez déjà des chansons en français, ce n’est pas quelque chose que vous faites souvent.
J’ai signé avec une maison de disques très jeune, j’avais 20 ans et depuis le premier jour, ça a été une lutte constante : on voulait absolument me faire chanter en français. Ça a été une vraie bataille. J’écris et chante mes chansons en anglais. C’était aussi un mécanisme de défense et une façon de garder le contrôle sur ce que je faisais.
» Demain, une expérience incroyable »
Pourtant, sur Natten, vous vous y recollez, en duo et pas avec n’importe qui : Dominique A. Comment est née cette collaboration ?
Bizarrement, maintenant que j’ai lancé mon propre label, c’est une idée à laquelle je suis plus ouverte. Quand l’album a été terminé, j’étais un peu frustrée. Je trouvais qu’il lui manquait quelque chose pour qu’il me ressemble à 100 % et ce manque, c’était une chanson en français. J’en ai parlé à mon manager qui m’a dit que Dominique A – qu’il connaît – avait un texte qui s’appelait justement Finalement la nuit. C’était parfaitement en phase avec la thématique de l’album. Mon manager s’est procuré le texte et j’ai eu un véritable coup de cœur. Je me suis permis de composer la musique sans savoir si Dominique allait être d’accord. Tout est venu spontanément. Une fois le morceau terminé, mon manager l’a envoyé à Dominique. J’étais très fébrile mais il a adoré. Ça m’a donné confiance pour lui proposer de la chanter avec moi, ce qu’il a accepté de faire. C’est quelqu’un de génial, une superbe rencontre.
Est-ce qu’il y a d’autres artistes francophones avec qui vous aimeriez travailler ? Vous avez, par exemple, collaboré avec Alain Chamfort aussi.
J’ai fait un duo avec lui. J’ai également travaillé avec Benjamin Biolay, dans le cadre d’un opéra pop au Châtelet. Sinon, il y a plein d’artistes que j’aime : Jeanne Added, Rover, même s’il ne chante pas en français, Pomme. Il y en a énormément.
Nous ne pouvons pas ne pas évoquer Demain, le film de Cyril Dion pour lequel vous avez composé la musique. Comment êtes-vous arrivée sur ce projet ?
Apparemment, cette expérience vous a complètement convertie à l’exercice de la B.O. puisque vous travailleriez sur la musique d’un nouveau film ?
Exactement. Ça me permet d’explorer de nouveaux territoires et c’est ce qui me plaît.
On ne compose pas la musique d’un documentaire comme Demain sans être soi-même investi dans l’écologie. Vous faites partie du Music Declares Emergency (groupe d’artistes et de professionnels de la musique réunis pour déclarer l’état d’urgence au niveau climatique et écologique, ndlr). Vous êtes suédoise et les pays du Nord ont plutôt tendance à être en avance sur ces questions. Comment se traduit votre implication ?
j’évite de prendre l’avion pour de courtes distances. Il y a un point essentiel sur lequel je sais que je peux encore faire mieux, c’est la réduction des emballages. Tout ce plastique, c’est terrifiant. Il faut être dans l’action. En tant qu’artistes, on a la chance d’avoir une voix qui est plus entendue que la moyenne. Voilà pourquoi il nous faut montrer l’exemple.
L’actualité, c’est ce nouveau clip, Cruel World, qui sort la semaine prochaine. Pourquoi ce choix ?
Parce qu’il présente quelque chose de différent, musicalement. C’est assez rare chez moi de proposer des chansons plus rythmées. C’est l’une des préférées de l’équipe qui m’entoure.
Où en sont les projets de scène ? Le Café de la Danse, à Paris, prévu pour le 26 mai prochain, approche à grands pas.
Je ne sais pas. Dans quelles conditions ça se ferait ? On attend les prochaines mesures. Mais, entre nous, ça ne sent pas très bon (l’interview a été réalisée avant les récentes annonces d’Emmanuel Macron, ndlr).
Le festival breton de la Part Belle, prévu en juillet, semble, lui, se préciser.
Oui. C’est en extérieur. On croise les doigts.
Sur scène, vous vous produirez sous quelle configuration ?
Je serai accompagnée de Sabine Quinet (Blankass, Minou, ndlr). Ce sera différent de ce que j’ai fait jusque-là puisqu’on avait l’habitude d’être cinq sur scène. Se retrouver toutes les deux, c’est un challenge mais c’est très chouette.
Comment vont s’intégrer les morceaux de Natten dans ce nouveau set ?
Les prochains concerts vont être particuliers parce que je sors du cadre acoustique. Pour la première fois, il y aura des séquences, des pistes programmées. Le set en lui-même sera articulé autour de Natten et de Demain pour lequel je n’avais pas fait de tournée mais je garde évidemment de la place pour quelques morceaux plus anciens que j’affectionne.