Par
Xavier Paccagnella
Publié le
30 oct. 2024 à 13h43
Voir mon actu
Suivre Métropolitain
Oncologue et chercheur à ICM Montpellier, le très réputé Institut du Cancer de Montpellier, le Dr. Nelly Firmin représentait, pour nous, le meilleur choix de couverture alors que s’achève Octobre Rose et, avec lui, toute la communication autour du dépistage et de la prise en charge du cancer du sein.
… Or pour Nelly Firmin, pour des dizaines de milliers de femmes en France -et pour quelques hommes aussi – la lutte continue. Elle représente même un quotidien. Beau métier, prestigieux métier… Mais dur métier que celui qui vous expose ainsi à la mort avec une telle violence.
« Cela fait partie du job », répond calmement le Dr. Firmin, apportant à nos propos cette petite nuance qui fait toute la différence : si on parle souvent du cancer à travers la mort et la maladie, c’est surtout la vie, et même la rage de vivre qui détermine les histoires des hommes et des femmes qu’elle a pu accompagner jusqu’à ce jour. À la vie, à la mort : le combat contre le cancer se mène « à la dure », mais jamais seul(e).
Cette interview nous en apportera encore la preuve.
Interview
Dr. Nelly Firmin, vous avez récemment donné le coup d’envoi du match Montpellier (MHSC)-Marseille (OM).
Cela ne nous aura pas particulièrement porté bonheur… Mais au moins, cela aura permis de reparler de la cause, d’Octobre Rose. Sourire. Si vous saviez le nombre de messages que j’ai reçu après ce fameux coup d’envoi ! Les gens ont de l’humour, ça tombe bien, moi aussi.
Et comme vous le dites très justement, l’important c’est que mon charisme sportif ait contribué à mettre en lumière le Collectif Octobre Rose, ICM, l’importance de financer la recherche. Rires. C’était en tout cas une belle façon de rappeler que quand les entreprises s’engagent, c’est pour du concret ! Le MHSC nous aura en effet reversé une partie des recettes de cette rencontre, ce qui va contribuer à financer plusieurs recherches en lien direct avec la lutte contre le cancer du sein.
A ma décharge, ça dépasse l’enjeu d’un match, non ? En tout cas, et au nom de tous les soignants, chercheurs, patients… Un grand merci à la famille Nicollin. Mais aussi, plus généralement, à tous ceux qui donnent un peu de leur temps ou de leur argent pour renforcer la lutte contre le cancer du sein. Là, on parle du football, mais on a aussi reçu le soutien du handball, du rugby et de nombreuses entreprises de secteurs très divers.
Quel est le message que vous aimeriez porter, cette fois, sur le terrain médiatique ? Ce que j’aimerais dire à vos lecteurs, et écrivez-le en gras s’il-vous-plaît, c’est « DEVENEZ ACTEURS ET ACTRICES DE VOTRE SANTÉ ! ». Certes, l’Occitanie et ses 56% de taux de participation au dépistage du cancer du sein, fait figure de bon élève au niveau national (46% – chiffres 2023), mais les 44% qui restent se sentent-ils à ce point invincibles ? Tous les freins ont été levés pour rendre l’acte de dépistage accessible à toutes et à tous. Cela, car le cancer du sein est le plus répandu chez la femme, touchant au cours de son existence, 1 sur 8 d’entre elles.
C’est une mère, une fille, une sœur, une cousine, une grand-mère ou une collègue. Cela concerne toutes les classes sociales, tous les profils, tous les âges. Et de ce qu’on a pu observer de manière plus récente, des individus de plus en plus jeunes, dans leur vingtaine, leur trentaine.
C’est d’ailleurs pour cette raison que la campagne 2024 d’Octobre Rose s’est focalisée sur l’autopalpation
« Une femme connaît son corps, perçoit quand quelque chose change. Le premier conseil consiste donc à observer »
Cela suppose de savoir comment s’y prendre. Rien de compliqué dans ce geste, je vous rassure.
Surtout qu’au moindre doute, nous recommandons de consulter. Mais une femme connaît son corps, perçoit quand quelque chose « change ». Le premier conseil consiste à observer.
Prenez le temps de regarder vos seins dans le miroir. Est-ce que le galbe a changé ? Est-ce que vous observez une petite rétraction cutanée ? Pincez légèrement vos mamelons. Est-ce sensible ? Cela généré-t-il des sécrétions.
Un sein après l’autre, prenez maintenant votre poitrine en main. Sentez-vous une boule, une asymétrie, quelque chose de différent ? Si vous répondez oui à ne serait-ce qu’une seule de ces questions, consultez sans tarder. À minima pour une levée de doute.
Et dans le meilleur des cas, pour permettre un dépistage précoce car ce cancer, dépisté tôt, affiche un taux de guérison très élevé.
« Je suis oncologue et chercheur, comme l’ensemble de mes consœurs et confrères. » ©Mario SinistajPourquoi a-t-on l’impression que plus on en parle et mieux on le soigne, plus le cancer du sein frappe autour de nous ? On me fait souvent la remarque et sur ce point, je reste prudente.
C’est logique, d’une certaine façon. Pourquoi ? Parce que plus on cherche, plus on trouve, plus on dépiste, plus on décèle des cancers. Mais cela ne veut pas forcément dire qu’il y en a plus qu’avant.
Après, vous avez toutefois raison de dire que tout le monde connaît au moins une personne qui est ou a été touchée. En cela, l’allongement de l’espérance de vie et l’exposition prolongée à des facteurs pathogènes, ne serait-ce que le stress, n’arrangent en rien la santé des patient(e)s… Et puis bien sûr, il y a le patrimoine génétique, l’hérédité et le facteur chance. Certaines tumeurs, très agressives, résistent à la chimiothérapie, à l’immunothérapie, même quand on combine les deux approches.
J’avoue ressentir dans ces cas, plus rares, un véritable sentiment d’injustice. Mais je sais qu’un jour, on en viendra aussi à bout, de ces tumeurs-là.Vidéos : en ce moment sur ActuJ’en reviens au match.
Vous dites que l’argent récolté va servir à financer la recherche. Mais quoi, précisément ? Les salaires des chercheurs ? La très grande majorité des fonds reversés à ICM contribuent à financer des projets de recherche académiques, c’est-à-dire des projets dont la finalité majeure demeure la science médicale, le progrès. Je suis oncologue et chercheur, comme l’ensemble de mes consœurs et confrères.
Mon salaire n’est en rien déterminé par les dons, heureusement ! Mais en tant que médecin, cela rentre dans mes obligations professionnelles, de conduire des recherches. Cela requiert de l’argent car il faut pour cela acheter du matériel, des équipements, payer des outils statistiques servant à conforter et légitimer les résultats obtenus. Il ne s’agit pas d’avancer sur une intuition et de sauter jusqu’aux conclusions.
C’est une démarche scientifique longue, rigoureuse, étayée, vérifiée, revérifiée, contrôlée… Vous devinerez, dès lors, le caractère coûteux d’une telle entreprise.
« On dit que le cancer est un combat collectif, c’est vrai »
« J’ai très vite été amenée à côtoyer le milieu médial » ©Mario SinistajSur quoi portent vos recherches personnelles ? Des mots simples s’il vous plaît ! Nous ne sommes pas tous oncologues. Ni même médecins ou scientifiques… Sourire.
En toute simplicité, alors ! Mes travaux, en lien avec l’INSERM, cherchent à prouver si la présence et la localisation d’une protéine spécifique, présente dans les cellules tumorales des patient(e)s touchés par le cancer du sein, représente un facteur de résistance aux divers traitements que l’on peut proposer à ce jour. Si la réponse est non, par élimination, cela affine les scénarios de recherche d’autres chercheurs. Si la réponse est oui, alors les travaux se poursuivent cette fois avec un nouvel objectif : trouver le moyen de neutraliser cette fameuse protéine.
Grâce aux nombreux patients qui me donnent leur accord pour un prélèvement, nous constituons ainsi une base clinico-biologique utile pour avancer. On dit que le cancer est un combat collectif, c’est vrai. Oncologue, c’était le métier de vos rêves ? Cela l’est devenu.
Tout comme ma spécialisation sur le sujet du cancer du sein (sous la direction de thèse du Pr. William Jacot) alors que je me prédestinais, dès ma première année de médecine, aux formes plus rares de cancer. Petite, j’ai très vite été amenée à côtoyer le milieu médical en raison d’une maladie que porte mon père depuis la naissance.
Je l’accompagnais souvent lors de ses consultations médicales et je me souviens avoir été frappée par l’humanité, l’empathie et l’esprit brillant de la Professeure qui le suivait. Cela aura sûrement contribué à faire naître une vocation.
« Le cancer agit comme une boussole.
Qu’on soit touché par la maladie, acteur de soin ou simple spectateur, cela nous confronte inévitablement à la question de la mort »
Vivre le cancer au quotidien, cela n’impacte-t-il pas votre vie personnelle ? Le cancer agit comme une boussole. Qu’on soit touché par la maladie, acteur de soin ou simple spectateur, cela nous confronte inévitablement à la question de la mort. Et dans 100% des cas, surtout chez les patients, ça provoque ou accélère des choix de vie.
« On replace le curseur sur l’essentiel », comme on dit. J’avoue être beaucoup plus carpe diem aujourd’hui que je ne l’étais avant d’exercer. Vous savez, je suis oncologue depuis onze ans (2013) et de toutes ces années je retiens chaque histoire.
Certaines tragiques, d’autres plus heureuses. Mais j’ai surtout compris que dans mon métier, si on considère la mort comme une fin ou un échec, d’une certaine façon, on se trompe. Idem si on essaie de « se blinder », de verrouiller ses émotions pour souffrir le moins possible.
On ne s’habitue jamais à la mort. Mais quelle joie quand on parvient à faire triompher la vie ! Pour les coups durs comme pour les victoires, qui sont heureusement de plus en plus nombreuses, on peut heureusement compter sur la force des équipes. Médecins, infirmiers : on se soutient, on pleure ensemble parfois, mais on célèbre aussi de vraies victoires.
Quelques chiffres pour nous remonter le moral ? Depuis les années 80, le taux de mortalité du cancer du sein a baissé de plus de 40%. Notamment grâce au dépistage précoce. Au risque de me répéter… Faites-vous dépister et autopalpez-vous régulièrement.
Vous aussi messieurs, car dans 1% des cas, le cancer du sein touche les hommes.ICM a aussi développé un programme de soin de supports. Vous faites allusion à NovaSein.
L’Institut du Cancer de Montpellier et AG2R LA MONDIALE ont en effet donné naissance au projet « NovaSein » en septembre 2020. Ce programme multidisciplinaire a l’ambition de réinventer l’accompagnement des femmes traitées pour un cancer du sein à l’ICM, en intégrant les soins dits de « support » dès la phase de rétablissement, après les traitements lourds, et tout au long de l’après-cancer. Né des besoins exprimés par les patientes elles-mêmes et leurs aidants, NovaSein a l’objectif d’améliorer leur qualité de vie, à renforcer leur confiance et l’estime de soi, l’image corporelle, à favoriser le « bien vieillir » et leur réintégration sociale.
Qu’est-ce qui vous inspire, dans votre quotidien professionnel ? La vie, la combattivité de certains, les progrès scientifiques ? (Elle réfléchit longuement) Je dirais… L’amour de la vie. Je vous le disais tout à l’heure, quand on parle cancer, on prononce souvent le mot « mort », mais en vérité, il y en a un autre qui ressort très vite, avec une puissance supérieure, c’est « vie ». Et ça, en soi, c’est déjà une victoire.
Suivez toute l’actualité de vos villes et médias favoris en vous inscrivant à Mon Actu.