La différenciation biologique des sexes ne relève pas de l’opinion mais de la réalité scientifique.Atlantico : Les Républicains ont présenté un texte de loi concernant la transidentité des mineurs qui n’est pas sans provoquer un certain remou au Sénat. Il prévoit notamment l’interdiction des traitements hormonaux pour les mineurs et le contrôle script des prescriptions de bloqueurs de puberté.
Que dire, pour commencer, de ce texte ?Olivier Vial : C’est un texte très à propos, qui vient répondre à un problème important que l’on rencontre maintenant depuis plusieurs années et qui concerne essentiellement les mineurs. De plus en plus de médecins tendent à prescrire des bloqueurs de puberté – j’alertais déjà sur ce problème en 2014, à l’époque où l’on disait que nous n’aurions jamais recours à ce genre de produit en France. Très vite, pourtant, la pratique s’est démocratisée faute de cadre légal réel.
Tout cela s’est fait de façon un peu sauvage, tandis qu’en parallèle, nous avons eu l’occasion de constater les dérives et les regrets des nations qui ont pu se montrer pionnières sur ces questions et dans qui ont encouragé la tenue de thérapies de transition. Nous pourrions ainsi parler de l’exemple britannique, dont le ministère de la Santé a récemment reconnu que le sexe était un fait biologique, après des années de dérive à ce sujet.Dès lors, il me semble important – et c’est précisément ce que ce texte cherche à faire – de poser un cadre légal autour de ces questions, qui encourage davantage à la prudence et au principe de précaution.
Christian Flavigny : Je valide complètement le rapport de la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio. Ses préconisations sont les bonnes et je regrette que la Commission cherche aujourd’hui à les dénaturer parce que, j’en suis convaincu, ce ne serait pas aller dans le sens de l’intérêt des enfants. Ce serait regrettable.
L’un des arguments des tenants de la transidentité, qui a d’ailleurs été opposé à Marion Maréchal récemment, consiste à arguer qu’il serait transphobe de rappeler la différenciation biologique des sexes. Dans quelle mesure cette grille de lecture témoigne-t-elle d’un projet potentiellement totalitaire ?Olivier Vial : L’idéologie trans, rappelons-le, n’est que l’une des incarnations d’un mouvement beaucoup plus large : celui de la déconstruction. Elle comporte en son sein, en effet, le phénomène que vous dénoncez, qui consiste à criminaliser le simple rappel de la différenciation biologique des sexes en cela qu’elle part du principe qu’il n’y a pas de débat possible dès lors que la question touche à l’identité d’autrui.
C’est d’ailleurs pour cela que l’on observe le développement de concepts comme le “safe space” : chaque dialogue, chaque argument est perçu comme une agression. L’idée, qui serpente dans toute l’idéologie woke, c’est de toujours se préserver de celles et ceux qui pourraient vouloir remettre en question son identité, ses convictions. Demander à une personne en phase de transition si elle est sûre de son choix, c’est déjà une violence dans leur logiciel.
Je me souviens d’un professeur, qui exerçait à Paris 6 et à Nanterre qui affirmait que “la biologie nous biaise” et qu’il fallait donc la remettre en question. Ce sont des thèses qui ont réussi à infiltrer le domaine universitaire et qui n’hésitent plus à nier la réalité biologique de ce que nous sommes. Il y a une volonté de la dépasser, de s’en émanciper, parce que l’on pourrait faire abstraction de notre corps et de notre biologie.
C’est à la société d’accepter notre ressenti plutôt qu’aux individus de se plier à la réalité scientifique. Il y a aussi une forme de totalitarisme dans l’idée de pouvoir affirmer “voilà ce que je ressens et vous avez l’obligation de l’accepter, quand bien même cela implique d’ignorer la réalité que vous pouvez constater”. C’est un discours, je crois, qui peut s’avérer très perturbant pour les enfants qui, à l’école, seraient confrontés à ce genre d’exigences de la part de certains de leurs camarades de classe.
Encore une fois, affirmer qu’un ressenti est supérieur à la réalité a quelque chose de totalitaire.Le fait de pouvoir discuter de ce sujet n’est pas, par essence, transphobe. Le fait de dire qu’il est nécessaire d’attendre avant d’engager des prises d’hormones ou des opérations chirurgicales n’est pas transphobe.
Ce ne sont pas des démarches anodines et ces opérations constituent des mutilations conséquentes. On ne peut décemment pas traiter ces questions de façon aussi légère que ne le souhaitent certaines associations et le rappeler ne vient en rien remettre en cause la dignité des personnes transgenres. Dans tout le courant dont le mouvement trans fait partie, il y a un interdit qui consiste à ne pas aller à l’encontre du ressenti des personnes concernées ; à “cancelliser” ceux qui oseraient le faire.
On a pu l’observer avec J.K. Rowlings, l’auteure de Harry Potter qui a été mis au ban de la société pour avoir rappeler qu’une femme a un vagin et que les hommes, normalement, n’ont pas de menstruation.
Ce ne sont pas des propos que l’on devrait condamner.Que dit la science sur la question de la différenciation biologique des sexes ?Christian Flavigny : La science est très claire sur la question de la différenciation biologique des sexes. Entre les hommes et les femmes, les chromosomes sont différents, les organes sexués sont différents, même s’il est vrai que la question des personnes intersexes a pu brouiller les lignes et le débat.
Il faut bien comprendre, toutefois, que c’est là une anomalie très rare, qui engendre la naissance d’un enfant avec des organes génitaux externes ne correspondant pas (ou ne semblant pas correspondre) à ses chromosomes. Il s’agit d’une malformation corporelle rare, de laquelle est née la théorie du genre. Des travaux scientifiques, concernant la politique à adopter dans ce cas de figure, ont été menés aux Etats-Unis comme en France et n’ont pas donné lieu aux mêmes conclusions.
Ce premier point étant évacué, il m’importe maintenant de rappeler que la question ne concerne pas seulement la différenciation biologique des sexes stricto sensu. Il s’agit aussi et avant tout de parler de la différenciation psychologique des sexes qui est tout l’enjeu de la dispute actuelle. Depuis plus d’un siècle maintenant, les chercheurs travaillent sur une théorie psychanalytique concernant cette même question.
Il en ressort que le sujet de la sexualité, de la construction de l’identité sexuelle, repose sur la connaissance par l’enfant de la réalité de son corps. L’enfant sait qu’il a un corps, qu’il soit une fille ou un garçon. C’est une vérité biologique incontournable.
A partir de là, il faut que cet enfant soit en mesure de s’approprier son corps comme étant le sien. C’est ainsi que ce corps devient la base biologique de son soi. C’est là que l’on retrouve tout l’enjeu.
L’enfant, c’est systématique, veut répondre au mieux aux attentes de ses parents et à celles de ses pairs. S’il sent que, ayant un corps de garçon, ses parents le chérissent comme leur fils, il va se construire dans l’identification au masculin et donc à son père. Inversement pour une fille.
Quand les choses sont plus embrouillées, cela peut engendrer une forme d’hésitation, qui découle ensuite sur le questionnement que nous avons déjà évoqué. Que dit, a contrario, l’idéologie trans sur la question de la différenciation biologique des sexes ? Dans quelle mesure peut-on affirmer qu’elle tend à la nier ?Christian Flavigny : Je préfère parler de théorie ou d’“utopie” trans plutôt que d’idéologie stricto sensu. Ceci étant dit, l’idéologie trans affirme que l’enfant qui, né dans un corps de garçon, se sent fille est victime d’une erreur de la nature.
La nature s’est trompée en plaçant ce dernier dans un corps qui n’aurait pas dû être le sien, en somme. Cette simple affirmation permet assez aisément de comprendre que nous nous sommes considérablement éloignés de la science et que nous nous rapprochons bien davantage de l’opinion.C’est une grille de lecture qui témoigne d’un certain désarroi et qui cherche à fournir des réponses à celui-ci.
Il faut aussi comprendre que ces réponses émanent, pour l’essentiel, de la culture nord-américaine et que celle-ci s’avère parfois assez sommaire sur le plan psychologique. Elle ne tient pas compte du processus d’appropriation de son corps propre que nous avons évoqué et ne sait donc pas comment accompagner celui-ci, comme résoudre les éventuels problèmes qui peuvent se présenter à ce moment-là.Il s’agit d’affirmer que le sexe véritable n’est pas en adéquation avec le sexe ressenti ; qu’il faudrait donc adapter le corps véritable au corps ressenti.
Olivier Vial : Pour répondre correctement à cette question, il faut revenir sur plusieurs points importants de l’idéologie transgenre et tout particulièrement le concept de transexualité ainsi que celui de dysphorie de genre. Ce sont des réalités médicales qui existent depuis la nuit des temps et sur lesquelles nous disposons d’une documentation conséquente. Ce sont aussi des réalités qui ne concernent que très peu de personnes et que l’on sait désormais prendre en charge assez correctement.
Plus récemment, le mouvement trans a tenté d’expliquer que ce qui était un cas très particulier et nécessitait un suivi précis n’était en fait pas si particulier que cela. En vérité, si l’on se base sur leur analyse, il s’agirait même de dire que c’est quelque chose de très général. Face à ce discours, nous avons commencé à médicaliser des situations qui ne nécessitaient pas ce genre de traitements parce qu’il y a eu confusion entre la médecine et l’idéologie.
On sait aujourd’hui que les jeunes filles sont les plus touchées par ce phénomène, mais cela n’a pas toujours été le cas. Le problème, en l’occurrence, relève du social et de la socialisation des jeunes qui s’interrogent sur ce sujet. Les communautés de pairs influent beaucoup sur les états d’esprits des mineurs concernés.
Il faut faire la différence entre la petite minorité de personnes qui auraient besoin d’un accompagnement psychologique et médical et la grande partie des autres qui veulent effectivement nier la binarité entre masculin et féminin. C’est à cette deuxième catégorie que le texte du Sénat essaye de répondre, à ceux qui exigent des transitions et l’utilisation d’hormones.Ne perdons pas non plus de vue les questions réelles que d’aucuns soulèvent sur la binarité des sexes, dont certaines peuvent poser des vrais problèmes médicaux.
On sait, notamment, que certaines maladies sont quasi exclusivement masculines ou féminines et qu’il faut tenir compte de données différentes en matière de posologie médicamenteuse, par exemple. Considérer, comme le font certains, que la biologie n’existe pas, c’est une forme de déni dangereux.Quelles sont, précisément, les dérives de cette idéologie ?Christian Flavigny : La première des dérives qu’entraîne l’idéologie trans, c’est l’idée qu’il faudrait corriger le corps, l’adapter au ressenti de la personne.
Pour y parvenir, il faudrait donc user d’aides médicales et chirurgicales qui, in fine, mèneraient au changement de sexe de l’individu concerné. Comprenons bien que ces opérations ne permettent pas de changer de sexe : tout ce que l’on peut faire, c’est changer l’apparence sexuée de la personne. La discussion actuellement en cours au Sénat concerne les enfants et les adolescents.
Il s’agit de débattre de la capacité de ceux-ci d’affirmer s’ils sont ou non de l’autre sexe. Le rapport des Républicains conteste la possibilité d’engager des mineurs dans les parcours médicaux associés à la transition sur la seule foi de leur parole. C’est là tout l’enjeu de ce qui se trame en ce moment.
Comprenons-nous bien : il ne s’agit certainement pas de nier le mal-être de ces enfants, pas plus qu’il s’agirait de ne pas écouter ce qu’ils peuvent dire. Cependant et si les adultes doivent entendre ce que les jeunes ont à dire, cela ne signifie pas qu’il faille prendre tout ce qui peut être dit au pied de la lettre. “Je suis de l’autre sexe” signifie avant tout “Je me sens en désarroi dans ce qui est ma sexualité”.
C’est un message dont il faut tenir compte pour les aider et les accompagner correctement sans tomber dans les processus de transition qui, à cet âge-là, ne sont rien de plus qu’un leurre. Plus tard, vers 25 ans ainsi que je l’ai écrit dans mon livre Comprendre le phénomène transgenre: La réponse par la culture française, la question se pose bien davantage et je n’ai pas de raison de m’opposer à la décision qu’un adulte, mature, peut avoir réfléchi. D’autant plus si celle-ci a été prise dans l’idée d’assurer son bien-être psychologique.
Certains des opposants au rapport qui déchire le Sénat avancent que, s’il était adopté, la France deviendrait l’un des pays les plus rétrograde d’Europe. Que penser de tels arguments ?Olivier Vial : Cet argument n’a aucune valeur intellectuelle à l’heure où les pays pionniers en matière de transition de genre – c’est-à-dire l’Angleterre et la Suède, notamment – réalisent qu’il aurait fallu prendre davantage de temps de réflexion avant d’ouvrir les vannes ainsi qu’ils l’ont fait. Le texte des Républicains, dont nous avons eu l’occasion de discuter un peu plus en détail précédemment, est très équilibré et ne vise pas à interdire les transitions de genre.
Il vise à interdire l’usage d’hormones et de bloqueurs de puberté par les mineurs… ce que l’Angleterre a justement interdit il y a quelques années de cela. La question de fond à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés, c’est celle de savoir si un mineur peut donner un consentement éclairé pour des opérations qui vont considérablement bouleverser sa vie future, notamment dans son rapport à la procréation et à la sexualité. Est-ce que, à 14 ans, alors que l’on n’a pas encore connu de vie sexuelle et que l’on ne se projette pas comme un adulte, on peut répondre à de telles questions et affirmer être prêt à renoncer à avoir des enfants ? L’Angleterre semble aujourd’hui penser que non.
C’est sur cette question qu’il nous faut aujourd’hui réfléchir.La nécessaire reconnaissance de la réalité scientifique ne doit pas porter atteinte à la dignité des personnes transgenre. Comment remettre en question cette idéologie en évitant ce dangereux travers ?Olivier Vial : Il n’y a aucun paradoxe à ce niveau.
Notons par ailleurs que la violence dont sont victimes les personnes transgenre (qui est indéniable) peut parfois émaner de la communauté trans elle-même, dans le cas où l’un ou l’autre des individus concernés exprime des regrets quant à sa transition. Il ne s’agit pas de dire que ces violences n’émanent pas aussi du reste de la société (et d’ailleurs parfois d’autres communautés LGBT), mais bien que c’est souvent une idée qui est attaquée à travers l’assaut contre une personne. J’ai été amené à travailler, en 2019, pour une association belge qui a reçu une personne ayant transitionné et regrettant cette opération.
Elle nous a parlé de la double peine qu’elle a alors subi : la première violence a consisté à penser que la transition allait lui apporter ce qui lui manquait pour ensuite réaliser que ce n’était qu’un désenchantement supplémentaire. La seconde violence est venue du fait que, s’exprimant sur ses doutes et ses regrets, elle a été confrontée à une mise au ban immédiate et à des remarques très agressives, a été qualifiée de personne dangereusement réactionnaire. Encore une fois, il ne s’agit pas de nier les agressions dont font l’objet les personnes trans et qui émanent du reste de la société mais bien d’illustrer qu’il existe des attaques et des tensions très fortes exercées contre des idées, des positions.