Non, les grands personnages historiques n’ont pas disparu des programmes mais…


La remise des bulletins est l’occasion de voir des têtes. « Ah mais tu as rendez-vous avec le père de N. ? Il n’a jamais répondu à mes messages Pronote ! ». Jaloux, mon collègue de maths n’en revient pas. Les parents aussi, en général, aiment bien savoir à qui ils ont à faire. À quoi ressemble le maître du petit dernier ou la prof principale du grand ? Mon agenda est bien rempli, je vais voir 25 familles. L’exercice s’apparente à une sorte de speed dating. Souvent organisé sur une soirée ou un samedi matin, le temps est compté. En 15 minutes on fait un point sur la scolarité, l’orientation, les tracasseries administratives diverses et variées.À LIRE AUSSI :Ils voteront à la prochaine présidentielle : comment intéresser les élèves de 3e à la politiqueLe papa de N. est bien là. Il travaille les soirs mais il a pris le temps de se libérer. L’échange est cordial, il feuillette le manuel scolaire de son fils « Ils sont plus beaux qu’à notre époque. » Ce n’est pas faux, les éditeurs ont enrichi les contenus qui offrent quasiment tous une version numérique en sus.  « Mais vous n’étudiez plus Napoléon ? » Je le rassure : « En 5eme pas encore, on étudie le Premier Empire en 4eme, mais cette année on a vu Jeanne d’Arc.- Ah oui ? J’ai l’impression pourtant que vous voyez moins les grands personnages historiques. »

Héros exemplaires

Les parents qui s’intéressent à l’Histoire font, de temps en temps, la remarque. En cela, ils reprennent un discours, assez courant, souvent issu d’une frange nostalgique d’une école « d’avant ». En réalité c’est faux, les figures de l’Histoire sont toujours au menu. Rien n’empêche un enseignant d’organiser son cours autour de Jules César, Philippe-Auguste ou Louis XIV en fonction de la période étudiée. Une autre fable circule : la chronologie serait moins respectée au profit de notions plus abstraites. La critique s’est encore renforcée avec les nouveaux programmes de 2016. Pourtant, pour qui s’en donne la peine, il est facile de vérifier que l’assertion est inexacte. Il suffit de regarder les programmes officiels sur « Eduscol » pour voir qu’Égyptiens, Grecs, Romains, empereurs byzantins, rois capétiens puis bourbons, ouvriers, capitaines d’industrie, poilus, collabos, résistants, De Gaulle et j’en passe sont étudiés, dans l’ordre, de la 6ème à la 3ème. Certains ont déjà été vus en primaire, et seront de nouveau étudiés au lycée. De même les compétences évaluent toujours la maîtrise des repères chronologiques. Alors d’où vient le malentendu ?À LIRE AUSSI :« Aider à acquérir les codes » : l’ambition toujours légitime du collège uniqueJusqu’aux années 1960-1970, l’Histoire était surtout enseignée comme une suite d’événements eux-mêmes incarnés par des acteurs principaux. La frise chronologique, avec sa flèche tournée vers la droite, le sens de la lecture, était une sorte de promesse avec pour finalité le progrès qu’il soit politique, économique ou technologique. Nous avancions vers des lendemains forcement meilleurs bâtis sur un passé peuplé de héros exemplaires dont il fallait apprendre des leçons de vie ou au contraire des anti-héros repoussoirs. De l’ombre du Moyen-Âge vers les XIXeme et XXeme siècles triomphants. Si la recherche s’est vite départie de cette vision téléologique de l’histoire, sous l’impulsion notamment de l’école des Annales, bien aidée en cela par le traumatisme de la Première Guerre mondiale, vécu comme un effondrement de civilisation, l’histoire « scolaire » s’est, elle, longtemps accrochée au roman national.Mis en place dans les années 1870, il avait, à l’époque, pour but d’ancrer la République dans les esprits. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’objectif était plutôt de la réhabiliter après les années honteuses de Vichy, quitte à omettre, dans l’un et l’autre des cas, des événements peu glorieux ou à les présenter comme des « accidents ». À chaque période son instrumentalisation. On le sait, la matière est hautement politique, et les événements ou les personnages historiques mis en relief par les programmes en disent autant sur la période contemporaine des élèves que sur celles des faits étudiés.

Moins de « roman national »

Aujourd’hui la manipulation historique au profit d’un récit orienté et idéalisé, porté par des personnages illustres existe toujours, on peut penser au spectacle du Puy du Fou, nostalgique de l’Ancien Régime. Mais cette tendance disparaît des manuels qui s’éloignent de plus en plus du roman national. Les grandes figures historiques sont toujours au programme, mais leur « vertu pédagogique » a évolué.A LIRE AUSSI : « Qui a été le plus victime ? » : quand les profs sont confrontés à la concurrence mémorielleS’ils sont toujours étudiés donc, c’est plus comme portes d’entrée pour découvrir la société de leur temps. Une lettre de Napoléon Ier aux préfets peut servir de document d’accroche (en introduction) pour interroger le rapport du Corse à la Révolution. En est-il l’héritier ou le fossoyeur, comme le programme actuel nous invite à réfléchir ? Si des éléments biographiques sont indispensables, ils ne suffisent pas. Il ne s’agit plus d’apprendre par cœur l’épopée de Bonaparte, car elle ne mettrait en relief qu’une destinée, exceptionnelle certes, mais qui ne résume pas à elle seule la vie des Français au début du XIXe siècle. Les élèves de 2322 apprendraient-ils beaucoup de la France des années 2020 en étudiant seulement la vie d’Emmanuel Macron, de Marine Le Pen ou de Jean Castex ? Plus que d’aligner des biographies/ hagiographies, les élèves sont aujourd’hui invités à questionner la période étudiée en prenant en compte un ensemble de facteurs politiques, économiques, culturels, à croiser les points de vue, à repérer les permanences et les points de rupture. Faire de l’Histoire en somme. C’est plus complexe car cela invite à contextualiser et à faire des allers-retours dans le temps. La chronologie n’est plus si évidente à saisir, plus aussi droite.

Des grands hommes à l’hyper-personnalisation du pouvoir

Pendant cet « entre-deux-tours », la question des « grandes hommes » peut aussi interroger notre rapport à la politique et à la démocratie. Avec la quasi-disparition des partis dits de « masse », comme le PCF, ou « de gouvernement » comme le PS ou LR bien implantés dans les territoires au profit de structures plus aériennes, fondées autour de projets politiques individuels, les autorités élues perdent des boîtes à idées qui faisaient remonter des initiatives de leur base mais aussi des canaux de communication avec les citoyens.Prompts à critiquer la déconnexion des « élites » qui en résulte (ce n’est pas la seule cause évidemment), nous sommes pourtant fascinés par les trajectoires de ces grands fauves de la politique, bien aidés en cela par le storytelling mis en place autour des candidats. Et voilà que l’on reparle de récits, de petites histoires, de destinées. Nous votons plus pour ou contre des personnalités que pour des projets collectivement réfléchis. Dans ce cadre, déléguons-nous vraiment notre souveraineté nationale ?À LIRE AUSSI :« Silence, on lit » : l’inestimable nécessité de réconcilier les collégiens avec la littératureCe phénomène existe depuis longtemps en France, toujours tentée par le Bonapartisme, mais il s’accentue ces dernières années. On le rencontre moins dans les démocraties jugées plus matures du monde scandinave ou germanique qui se méfient de la personnalisation à outrance du pouvoir. Mais il commence à s’immiscer dans le jeu politique anglo-saxon où des Donald Trump viennent heurter des traditions partisanes pourtant bien établies. Avec des différences notables cependant par rapport à l’Hexagone. En effet ces démocraties disposent de contre-pouvoirs plus importants et l’homme ou la femme à la tête de l’exécutif est responsable devant le parlement. Chez nous, la rencontre entre l’être providentiel, sacré par le suffrage universel direct, et les citoyens doit être la moins empêchée possible. Le peuple et son roi.