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2021) Après l’avoir publié une première fois en 2011 dans l’ouvrage 1942 père de David et neveu de Lazar «Je ne voyais pas autre chose Ephraïm
«Mon intérêt pour l’édition, au fond, est né du livre de mon père.»
fondateur des Éditions du Retour
Éditions du RetourLa publication de Voyage à Pitchipoï n’est ensuite que le fruit du hasard, affirme Jean-Claude, qui reste discret quant aux circonstances qui l’ont finalement poussé à l’envoyer à quelques éditeurs. «Je n’avais au départ pas l’intention de le faire», résume-t-il. Beaucoup ne lui ont pas répondu.
D’autres se permettent des critiques, lui réclament de «romancer» son récit ou le jugent insuffisamment violent. «Une autre m’a dit que j’aurais dû l’écrire en sortant du camp. À 6 ans ! Donc j’ai laissé tomber.
» Deux ans plus tard, l’éditrice Geneviève Brisac l’appelle pour lui annoncer que L’école des loisirs souhaite publier son témoignage.
Les pièces du puzzle
«Mon intérêt pour l’édition, au fond, est né du livre de mon père», explique David. Quand Voyage à Pitchipoï est publié, David a une quinzaine d’années mais le travail d’écriture de Jean-Claude a commencé neuf ans plus tôt.
Ainsi, l’histoire familiale s’est-elle révélée à lui en plusieurs étapes, sans violence brusque, mais dans une sorte d’immersion permanente. Il y a d’abord le souvenir du tatouage sur l’avant-bras gauche de son grand-père Lazar. «Il est décédé lorsque j’avais 8 ans, nous étions très proches.
Je passais beaucoup de temps chez mes grands-parents, car ils habitaient juste à côté de chez nous. Ses amis étaient nombreux, l’été, à venir à la campagne. Comme lui, ils avaient été déportés à Auschwitz et je voyais leurs tatouages.
Cela avait donc pour moi quelque chose de naturel. Quand j’étais petit, je m’en dessinais même un parfois avec un crayon parce que je trouvais ça beau. Après, évidemment, j’ai compris que ça avait un lien avec son histoire personnelle.
Mais je me rends compte aujourd’hui que je n’ai vraiment pris conscience de l’histoire qu’après sa mort, même si j’avais bien sûr quelques éléments. Je savais par exemple que mon père avait été interné dans un camp similaire à une prison et j’avais conscience qu’il s’était passé quelque chose de grave.»Puis, ce sont des bribes de conversation que David absorbe progressivement.
À la maison de campagne, là où tout a basculé, les réminiscences affluent. Un jouet du petit David déclenche un souvenir de Jean-Claude qui souhaite retrouver sa babiole d’enfance pour l’offrir à son fils. «Ma grand-mère intervenait alors pour lui dire : “Tu sais très bien que ça a été pris par les Allemands”.
» Quand son petit-fils, avide d’histoires, lui réclame des récits plus détaillés, Louise lui répond parfois: «Je pourrais te raconter une histoire très, très longue, mais il faut que j’attende un petit peu. C’est l’histoire de ta famille et de comment ton grand-père a disparu.» Et quand l’enfant pose des questions sur ce grand-père inconnu, son père lui répond «d’une façon très énigmatique, “c’était le frère de tonton”.
On ne me disait pas tout mais on m’en disait déjà énormément», conclut David.
David a 11 ans lorsqu’un jour son père, en revenant de Roissy, décide soudainement de passer par Drancy.
Le récit de l’enfance
«Certains me l’ont reproché refusa de laisser sa mère appeler un médecin lorsque Jean-Claude, âgé de 6 ans, fit une hémorragie sévère après avoir été opéré des amygdales. Comment, lors de sa fuite, Louise trouva porte close chez un couple voisin, des intimes qui travaillaient chez eux et dont le fils jouait souvent avec lui. «Quelques mètres plus loin, d’autres lui ont ouvert tout de suite, sans qu’un mot ait été prononcé.
C’était comme ça. Il fallait immédiatement pouvoir juger la personne à qui on avait affaire, si elle était capable de nous aider ou bien de nous dénoncer.»
Jean-Claude complète ce qu’il savait déjà en interrogeant ses parents et les quelques personnes qui leur étaient, à l’époque, venues en aide.
Éditions du RetourLa transmission se diffuse aussi dans ces gestes du quotidien qui trahissent l’angoisse du basculement. «Un jour, tout va bien, et le lendemain, c’est fini.
Tout le monde a été arrêté dans la nuit et au réveil, il n’y a plus personne : cette idée, mon père me l’a transmise sans le vouloir, confie David. J’ai typiquement tous les symptômes de cette fameuse “troisième génération”, même si je suis aussi de la deuxième. Le départ sur un quai de gare me fait très peur.
» «Je ne sais pas si Semprún a trouvé une explication, mais moi je crois que j’ai compris. J’ai commencé à écrire ce livre quand mon fils a eu l’âge que j’avais. Six ans», ajoute Jean-Claude au sujet de son processus d’écriture.
Jean-Claude avait dédié Voyage à Pitchipoï à son fils. Aujourd’hui, c’est à la fille de David que l’est 910 jours à Auschwitz. «Avec mes yeux d’enfant, j’ai vu Lazar tout dire à son neveu et à sa nièce, même la façon dont leur père est mort, afin que rien ne soit oublié, confie l’éditeur.
Puis, j’ai vu la manière moins directe avec laquelle mon père s’y est pris avec moi, mais avec toujours une volonté très nette de ne jamais m’épargner. Je ne voudrais pas transmettre mes peurs névrotiques à ma fille, mais une chose est certaine : dès qu’elle le pourra, je lui parlerai de tout. Sans entrer dans des récits traumatisants, elle doit savoir d’où elle vient, l’histoire de sa famille, sans aucune forme d’angélisme.
Je ne veux surtout pas lui dire que tout ça c’est du passé, que ça ne recommencera jamais. Parce que très honnêtement je n’en sais rien.»
«J’ai tous les symptômes de la fameuse “troisième génération”, même si je suis aussi de la deuxième.
Le départ sur un quai de gare me fait très peur.»
fondateur des Éditions du Retour
quelques semaines à peine après son retour : «Nous savons aujourd’hui que certains conseillent aux déportés de ne pas faire trop d’agitation au sujet des camps Car l’histoire de la Shoah, de ses tragédies intimes à son horreur nationale, n’est rien d’autre que l’histoire de France.
Comme dirait David, «l’histoire de tout le monde».
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