une question mérite d’être posée : dans le jeu, les Bleus ont-ils vraiment réussi leur Mondial ?
Assis sur les hauteurs d’un hôtel parisien au début du mois de mai dernier, quelques heures avant la finale de Coupe de France entre l’OGC Nice et le FC Nantes, Didier Deschamps n’esquive rien. Le rendez-vous a été calé de longue date avec un objectif simple : dresser à ses côtés, et non loin de son staff, un grand bilan de ses dix ans passés dans le fauteuil le plus convoité et le plus brûlant du pays. Tout y passe : les débuts, sa potentielle frustration de ne plus poser de coupelles tous les matins, les leviers de son management, l’échec face à la Suisse subi moins d’un an plus tôt, le succès de 2018. Sa vision du jeu est également au centre de cet entretien. Deschamps la livre par morceaux. Première question : comment monter un projet de jeu cohérent avec des joueurs qui évoluent toute l’année sous les ordres d’entraîneurs ayant tous des sensibilités différentes ? Pas simple, mais « mon travail n’est pas d’aller à l’encontre de ce qu’ils connaissent en club, répond le sélectionneur tricolore, à So Foot. Il y a deux alternatives pour un sélectionneur. Soit opter pour un moule fixe dans lequel je cherche à faire entrer mes joueurs coûte que coûte, soit s’adapter aux qualités de chacun. Je suis de la deuxième école. Mon objectif est que chaque joueur évolue dans sa zone préférentielle, dans la position où il est le plus à l’aise. (.) Je ne me suis jamais dit que ce serait dans tel système et pas autrement. » Dans la foulée, Didier Deschamps concède une gestion à « la forme du moment » et lâche, un peu plus tard, après une question posée sur la réussite d’une Italie victorieuse de l’Euro après des mois et des mois passés à répéter les mêmes circuits dans un même système, ceci : « Le succès à l’Euro a donné raison à Roberto Mancini, mais avec la non-qualification au Mondial, est-ce que ça lui donne toujours raison ? Moi, j’ai choisi de prendre une autre direction. Ils ont eu raison en 2021, on a eu raison en 2018, et à la fin, c’est le résultat qui tranche ». Une vieille histoire : celle du résultat roi. Cela semble pourtant parfois un peu trop simple.
Le « bien jouer »
même si pas mal de nations réussissent à le faire – mais plutôt de revenir à la base du « bien jouer ». Bien jouer, c’est bien interpréter son plan et proposer un ensemble cohérent, sans dégager l’impression d’un jet de pièce en l’air trop fréquent. Bien jouer, c’est finalement ce qu’a réussi à faire l’équipe de France en 2018 en tenant son projet de jeu et en frustrant ses adversaires pour mieux les piquer. Bien jouer, c’est aussi ce qu’a réussi à faire l’équipe de France en 2022 face au Danemark dans ce Mondial : un match complet, solide, réconfortant. Cette copie contre les Danois n’aura malheureusement été qu’une anomalie plus que le début d’une série, car derrière, les Bleus n’ont jamais vraiment réussi à briller durablement dans ce qui était leur projet de base dans ce tournoi : laisser le ballon aux adversaires, se replier en bloc bas, poser des filets pour récupérer le ballon dans des zones ciblées et appuyer sur des transitions rapides via Mbappé.
« Deschamps est dans l’imparfait efficace »
Le sélectionneur tricolore a ensuite su être sauvé par l’énergie amenée par ses entrants (Coman, Camavinga, Thuram, Kolo Muani) plus que par un réel changement de plan. Cela aurait pu suffire pour arracher une troisième étoile, mais cela ne doit pas totalement mettre de côté le fait que l’équipe de France a été éteinte pendant 80 minutes lors d’une finale de Coupe du monde, qu’elle a été tenue par les sauvetages de Konaté et Griezmann durant près d’une heure face au Maroc, qu’Harry Kane aurait pu punir ses limites dès les quarts de finale et même que la Pologne l’a secoué un temps. Faut-il pour autant tout jeter ? Non, mais il faut sortir un temps – définitivement, si on peut, ce qui permettrait de sortir de la simple « vérité qui est toujours dans les deux surfaces » – du résultat roi. Il faut aussi reconnaître que les deux dernières compétitions disputées par les Bleus ont été traversées sur un fil ténu, lors desquelles les individualités ont sorti des lapins de leur chapeau alors que ce Mondial a sacré l’Argentine d’un Lionel Scaloni qui a su adapter tout au long de la compétition ses plans de départ aux scénarios ou a vu le Maroc accéder au dernier carré à la force d’un projet collectif millimétré que l’on aurait aimé voir face aux Bleus avec tous ses boulons originels (Aguerd n’a pas pu prendre part à la bataille et Saïss seulement vingt minutes). L’action plutôt que la réaction, être maître de son match plutôt que s’adapter à la façon dont il tourne, c’est aussi du coaching. La Coupe du monde a beau avant tout être la compétition des joueurs, elle demande toujours un minimum de cadre. Au moment d’évoquer la suite, même si Deschamps, qui restera l’homme qui a su faire ressortir les gens dans la rue pour son équipe nationale et dont le bilan est dans tous les cas aussi unique qu’historique, a la main sur son avenir, il ne faudra pas oublier que derrière la finale, les imperfections ont été importantes et qu’elles ne datent pas d’hier. Zinédine Zidane ferait-il mieux ? Son Real n’a pas toujours été le plus enthousiasmant, mais peut-être que oui, peut-être que non. Pour le moment, parlons surtout de cette Coupe du monde et de ce qu’elle a dit, derrière les chiffres, du fonds de jeu de cette équipe de France. Alors, on repart pour un tour ?Par Maxime Brigand
L’intégralité de l’interview bilan de Didier Deschamps est à retrouver dans le SO FOOT #197.