« Il n’y a pas de paix sans justice »


La nouvelle du lancement d’un mandat d’arrêt par la CPI contre le président russe a été rendue publique au cours de l’entretien que Catherine Colonna a accordé au JDD vendredi après-midi dans son bureau du Quai d’Orsay. Le procureur de la Cour, Karim Khan avait déposé sa demande le mois dernier et la ministre avait évoqué ce sujet des déportations d’enfants ukrainiens avec le secrétaire général des Nations Unies et la directrice de l’Unicef à New York lors de son déplacement pour marquer la première année de l’agression russe contre l’Ukraine. Sur ce sujet comme sur les autres développements du conflit, Catherine Colonna explique la position de la France.Quelle est votre réaction au mandat d’arrêt de la Cour Pénale internationale contre Vladimir Poutine ?Cette décision est extrêmement importante car elle signifie que tout responsable de crime de guerre ou de crime contre l’humanité devra rendre des comptes, quel que soit son statut ou son rang. Désormais, aucun maillon de la chaîne ne peut penser qu’il échappera à la justice et cela devrait en conduire beaucoup à réfléchir, je le souhaite en tout cas. C’est donc une décision qui peut changer le cours des événements. Les enlèvements et déportations d’enfants sont abominables, nous les avons dénoncés à haute voix, je l’ai fait moi-même, et trop d’atrocités sont commises par la Russie en Ukraine jour après jour. La France soutient la Cour, tout comme elle aide la justice ukrainienne en envoyant sur place des équipes spécialisées pour documenter les exactions ou identifier les victimes. Elle fait partie des états qui ont saisi la CPI l’an dernier, et j’ai eu l’honneur de présider le 22 septembre dernier la réunion spéciale du Conseil de sécurité des Nations unies consacrée à la lutte contre l’impunité des crimes commis en Ukraine, en y invitant le Procureur général Karim Khan. Il n’y a pas de paix sans justice.Approuvez-vous la décision annoncée vendredi par les autorités slovaques et polonaises de livrer des bombardiers Mig-29 à l’armée ukrainienne ?Tout ce qui permet d’aider l’Ukraine est utile car elle est en situation de légitime défense. Les pays qui ont des matériels soviétiques que les Ukrainiens connaissent déjà ont pu prendre cette décision. De notre côté, ce que nous demandent en priorité les Ukrainiens aujourd’hui, ce sont des munitions, de la défense anti-aérienne et de la maintenance. La Russie tire près de 10 000 obus par jour et cette offensive russe ne doit pas être évoquée au futur, elle est en cours. Pour la contrer, il faut que l’Ukraine puisse résister avec des moyens disponibles maintenant. 

 Pour contrer la Russie, il faut que l’Ukraine puisse résister avec des moyens disponibles maintenant 

« Il n’y a pas de paix sans justice »

Catherine Colonna

Qu’allez-vous décider en ce sens lundi entre chefs de diplomatie des Vingt-Sept à Bruxelles ?Pour accroitre l’efficacité de nos livraisons de munition, nous mettrons en place un nouveau dispositif en utilisant la Facilité européenne de paix, un fonds qui a été réabondé à la fin 2022, pour accélérer la fourniture des Etats qui se feront ainsi remboursés de leurs dépenses, pour permettre des achats groupés afin d’obtenir des prix plus bas auprès des industriels, et pour aider au renforcement de la capacité de production de masse et de qualité. Ce plan sera soumis pour validation aux chefs d’Etat lors de leur sommet des 23 et 24 mars. La France s’interdit-t-elle de livrer des avions de chasse à l’Ukraine ?La Pologne et la Slovaquie ont fait ce qu’elles ont jugé utile, mais en partant d’une situation différente puisqu’elles ont des avions que les Ukrainiens pourront facilement prendre en main. Ce sera peut-être le cas pour d’autres à l’avenir, mais pour nous, Français, nous répondons aux besoins de l’Ukraine tels qu’ils nous ont été exprimés. Mais sur le principe, le Président de la République et le ministre des Armées l’ont dit, il n’y a pas de tabou.

Une enquête du Conseil européen des Relations Internationales (ECFR) publiée cette semaine montre que les Français se répartissent en trois tiers  : en faveur d’une paix au plus tôt quitte à ce des concessions territoriales soient faites à la Russie, en faveur d’une poursuite de la guerre jusqu’à ce que l’Ukraine ait retrouvé sa souveraineté, et un tiers qui ne savent pas ou sont indécis. N’est-ce pas préoccupant pour vous ?Il est évident qu’il y a des interrogations sur la durée de la guerre et sur les conditions de la fin de la guerre. L’enjeu fondamental de cette guerre, c’est la défense des principes de la Charte des Nations Unies, d’un système international qui permet de vivre en sécurité. Tout le reste en découle. Il faut donc aider l’Ukraine à retrouver sa souveraineté, ce qui n’interdit pas qu’il y ait dans un deuxième temps, une phase de dialogue et de négociations, comme le président Zelensky s’y est déclaré prêt avec un plan de paix présenté en novembre dernier. Aujourd’hui, c’est la Russie qui refuse d’envisager de négocier, pas l’Ukraine, et Vladimir Poutine ne donne aucun signe de changement de posture. En attendant, il faut aider l’Ukraine à se retrouver dans une position de force qui amène la Russie à réaliser qu’elle est dans une impasse sur le plan militaire et diplomatique. Mettre la Russie militairement en échec, c’est cela qui amènera le plus sûrement la paix.

 Mettre la Russie militairement en échec, c’est cela qui amènera le plus sûrement la paix 

Catherine Colonna

Qu’attendez-vous de la visite demain à Moscou de Xi Jinping  L’une d’entre elles est de contribuer à la sécurité de l’espace euro-atlantique ce qu’on fait et ce qu’on pense, car il faut aller au-delà de la simple riposte. Et nous aidons enfin, avec Reporters sans frontières et d’autres ONG, des médias libres, indépendants et de qualité à exister dans des pays où l’écosystème politique ne leur est pas favorable. Le meilleur antidote contre les manipulations, c’est une presse libre et de qualité.

 Sur la bataille d’influence, il faut reconnaitre que nous avions du retard 

Catherine Colonna

Pour cette année 2023, je rappelle qu’une centaine de nouveaux emplois ont été créés au ministère, ce qui n’était pas arrivé depuis 30 ans. C’est ce qui nous a permis de créer une équipe de 20 personnes dans une nouvelle sous-direction dédiée uniquement à la veille et à la réactivité dans la lutte informationnelle. Pour les 700 nouveaux emplois décidés par le président de la République, des arbitrages seront faits mais cette mission fait partie des nouvelles priorités telles qu’elles ont été dégagées par les Etats généraux de la diplomatie qui nous ont occupés depuis le mois d’octobre. Il ne s’agit pas de recréer nos anciennes habitudes, mais de faire quelque chose de nouveau. Le titre du rapport de ces travaux parle de « réarmer » la diplomatie française pour défendre nos valeurs. Cela se fera avec de nouveaux moyens budgétaires mais aussi par un ministère plus ouvert, plus agile et mieux adapté à la décennie qui vient. Le Quai d’Orsay sera le « bras armé » de l’action internationale de la France.