«On a désormais une cible claire» – Libération


Jean-Luc Chotte, président du comité scientifique français de la désertification et chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), décrypte les avancées internationales au terme de la conférence qui s’est tenue à Abidjan.La communauté internationale tente de se mobiliser contre la dégradation des sols et la sécheresse, fléaux qui touchent déjà la moitié de l’humanité. La COP15 désertification, qui se déroulait à Abidjan jusqu’à vendredi, a débouché sur un engagement à «accélérer la restauration d’un milliard d’hectares de terres dégradées d’ici à 2030». Un objectif insuffisant mais tout de même un pas supplémentaire salué par Jean-Luc Chotte, président du comité scientifique français de la désertification et chercheur à l‘Institut de recherche pour le développement (IRD). Auprès de Libération, il souligne que l’agroécologie, modèle agricole alternatif respectueux des hommes et de leur environnement, est plus que jamais présente dans les discussions.Que penser de l’objectif annoncé de «restauration d’un milliard d’hectares de terres dégradées d’ici à 2030» ?Il est déjà bien d’avoir annoncé ce chiffre-là dans la déclaration finale. Cet objectif de terres à restaurer était nécessaire, il fallait l’avancer, même si cela est en deçà de ce qu’il faudrait faire. On pourrait faire mieux et plus vite mais cela concrétise l’idée de «tendre vers un monde neutre en termes de dégradation des terres», qui est une cible des objectifs de développement durable de l’ONU.C’est le seul objectif chiffré de la déclaration finale publiée à l’issue de la conférence. Est-ce regrettable ?Cet objectif de restauration d’un milliard d’hectares de terres dégradées est un peu l’équivalent selon moi de l’objectif de limiter le réchauffement climatique sous les 2°C [fixé dans l’Accord de Paris lors de la COP21, ndlr]. On a désormais une cible claire, avec des actions latérales qui y contribuent, et qui sont aussi importantes. Il y a notamment la prise en compte des droits d’usage et des droits fonciers. Car on ne peut pas envisager de mettre en place des plans d’action sur le long terme pour restaurer les terres si on ne résout pas la question du foncier : à qui est la terre, le droit d’usage, de propriété ? C’est très variable selon les pays, et il faut se poser cette question. C’est un élément primordial. Lors de cette COP, il a été pris en considération la diversité des droits fonciers selon les pays et populations.La mise en œuvre à venir reste floue…Oui, les déclarations ne sont pas prescriptives. En revanche, cela fixe en cadre qui permet aux Etats de mettre en œuvre, selon leurs propres politiques, des actions qui vont contribuer à cela. Comme dans d’autres conventions, il faudra suivre si ce qui a été annoncé va finir par arriver et à quelle échéance. Aux COP précédentes, les Etats ont adopté trois indicateurs communs sur la dégradation des terres : les stocks de carbone dans les sols, la quantité de biomasse produite dans un endroit et la couverture du sol. Grâce à cela, on pourra dire combien d’hectares ont été restaurés. Il me semble aussi que lors de cette COP15 désertification, la place de l’agroécologie a fait son chemin. Sa place et son effet levier ont été beaucoup plus défendus que lors des précédentes COP.Concernant la sécheresse, des pays poussaient pour la mise en place d’un protocole, sur le modèle de celui de Kyoto pour les émissions de gaz à effet de serre, mais cela n’a pas été validé…En effet, il n’y a pas eu d’accord sur cela. Un protocole est quelque chose de contraignant. L’état d’avancement des discussions actuelles n’a pas permis d’arriver à d’adoption de ce protocole-là, ce qui ne veut pas dire que la sécheresse va quitter l’agenda de la COP désertification. Il y a eu des discussions sur la mise en œuvre de systèmes d’alerte précoces, la nécessité de différencier et de mesurer les impacts différenciés des sécheresses sur les populations vulnérables, et notamment les femmes. Les discussions vont se poursuivre, nous verrons bien à la prochaine COP.Il a aussi été question de la Grande muraille verte au Sahel lors de cette COP15. Cette solution à la désertification en Afrique ne couvre aujourd’hui que 4 millions d’hectares. Le sujet a-t-il avancé ?Oui. C’est une initiative majeure qui date de 2007. Elle est soutenue et voulue par l’Union africaine qui regroupe 11 pays. Aujourd’hui, on est loin des objectifs fixés pour 2030, à savoir 100 millions d’hectares restaurés et 250 millions de tonnes de CO2 absorbés. Il y a notamment des problèmes de gouvernance. Mais lors du One planet summit de 2021, la France a mis en place l’Accélérateur de la grande muraille verte. Depuis, la situation a vraiment changé.Des organisations, des décideurs, des chercheurs sont mobilisés pour répondre aux défis et comprendre ce qui bloque. L’enjeu est aussi de permettre aux populations les plus vulnérables de continuer à produire et à vivre dans les zones de cette grande muraille verte. On pourrait se dire qu’on est encore uniquement dans des paroles mais l’état des lieux qui a été dressé et les souhaits formulés lors de la COP [le Nigéria a part exemple promis de planter davantage, ndlr] vont permettre d’être plus opérationnels. Je pense que c’est une avancée.