Opinion | Europe : la troisième voie du capitalisme


Par Clément Beaune  (secrétaire d’Etat chargé des Affaires européennes), Olivia Gregoire (secrétaire d’Etat chargée de l’Economie solidaire et responsable)Publié le 23 févr. 2022 à 19:40L’Europe a longtemps été décrite comme un monolithe éloigné des préoccupations du quotidien, une tour de Babel technocratique qui se plairait à légiférer sans mandat des citoyens. Force est de constater qu’elle s’efforce aujourd’hui de protéger, de répondre plus vite et plus fort aux attentes de ses citoyens. Depuis plusieurs années maintenant, l’enjeu environnemental comme l’enjeu social prennent de plus en plus d’importance. Revenue dès la fin 2021 à son niveau de richesse d’avant-crise, l’Europe a surmonté l’un des plus grands défis de son histoire récente en assumant pleinement son modèle : nulle part ailleurs dans le monde la protection des travailleurs et des entreprises, pour préserver l’emploi et l’activité, n’a été portée à un tel niveau. Partout en Europe, les mesures de chômage partiel, de soutien aux entreprises, aux salariés et aux indépendants, ont été mises en place et permis d’éviter des sorties du marché du travail et des faillites massives. Par le plan de relance acté à l’issue du Conseil européen de juillet 2020, l’Europe a par ailleurs concrétisé la solidarité européenne et donné la priorité à une accélération de l’investissement dans la transition écologique.

Un devoir de vigilance européen

Cette semaine, l’Europe est allée encore plus loin en renforçant et affirmant dans le monde son modèle, conciliant prospérité économique, justice sociale et préservation de l’environnement. Le 23 février, la Commission européenne a présenté ainsi sa proposition pour mettre en place un devoir de vigilance en matière sociale et environnementale pour les entreprises implantées sur son territoire. Par l’établissement d’obligations pour les entreprises de surveiller les risques d’atteinte aux droits humains et à l’environnement dans leur chaîne de valeur, l’Europe se dotera d’un outil nouveau pour mener plus efficacement en dehors de ses frontières son combat en faveur de conditions de travail décentes et de conditions de production qui respectent l’environnement. Il revient en particulier à l’Europe d’affirmer que les produits issus du travail forcé n’ont pas leur place sur notre continent. Le 24 février, le Conseil des ministres de l’Union européenne devrait adopter la directive sur la responsabilité durable des entreprises, un texte crucial par lequel les 50 000 entreprises européennes de plus de 250 salariés seront désormais tenues de faire la transparence sur des indicateurs harmonisés de leur impact social et environnemental. Alors que les normes comptables mesurant la performance financière aujourd’hui appliquées par nos entreprises sont largement d’inspiration anglo-saxonne, l’Europe, qui est le continent le plus avancé sur les problématiques de responsabilité sociale et environnementale (RSE), doit être à la pointe dans l’élaboration de ces standards nouveaux. C’est une question d’équité et de souveraineté.

Des mesures impensables il y a dix ans

Ces initiatives sont autant de preuves que l’Europe n’est pas un simple marché. C’est avant tout un projet politique, un modèle économique et social, un territoire où l’on joue avec des valeurs communes. Ce n’est pas l’Europe de la concurrence à tout prix, c’est l’Europe d’une économie plus juste où la prospérité ne se mesure pas seulement en chiffres mais surtout en qualité de vie, en respect des femmes et des hommes et en protection de la nature. Toutes ces mesures étaient encore impensables – et d’ailleurs, impensées – il y a dix ans. Nous les devons au volontarisme des Etats et des institutions européennes aiguillonnées par une société civile de plus en plus exigeante ; nous les devons aussi au volontarisme des entreprises, également poussées par cette même société civile qui utilise à leur égard un bulletin de vote appelé épargne, travail ou consommation. La France et les Français sont en pointe dans ce combat.

L’Europe assume son modèle de régulation

Ces initiatives sont salutaires car elles sont la condition pour que l’Europe soit en mesure de proposer, à côté du modèle américain et du modèle autoritaire chinois, une troisième voie crédible et désirable dans la mondialisation. Elles sont résolument des leviers de compétitivité alors même que les consommateurs orientent leurs pratiques d’achat vers des produits et services exemplaires en matière sociale et environnementale, et que les salariés veulent donner à leur engagement au travail davantage de sens. En assumant et en renforçant son modèle de régulation du capitalisme par la prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux, l’Union européenne accompagne les nouvelles attentes des citoyens européens qui, de plus en plus exigeantes, sont parfaitement légitimes.Clément Beaune est secrétaire d’Etat chargé des affaires européennes. Olivia Grégoire est secrétaire d’Etat chargée de l’Economie sociale, solidaire et responsable.