Opinion | La question afghane ne doit pas conduire à restreindre le droit d’asile


La reprise de Kaboul par les talibans est une catastrophe. Prévisible, elle est le fruit de politiques étrangères chaotiques et marquées par des choix économiques et électoraux aux conséquences dramatiques : des dizaines de milliers d’Afghans n’ont plus d’autre choix que celui de fuir le retour de l’ancien régime, dont les pratiques sanguinaires sont bien connues.C’est dans ce contexte tragique que l’allocution du président de la République, le 16 août, a déchaîné les passions. En cause, la mention de la « nécessaire adaptation » du droit d’asile, tradition française et surtout obligation internationale, et de la « protection contre des flux migratoires irréguliers importants ».Le danger réel, en France, ne réside pas dans une hypothétique volonté de violer la convention de Genève de 1951. Il n’est pas question de revenir sur le droit au statut de réfugié pour les personnes persécutées en raison de leurs opinions politiques ou encore religieuses, qu’elles soient réelles ou imputées par les nouvelles autorités afghanes.

Nouvelles restrictions

On peut néanmoins s’inquiéter de l’aggravation des restrictions à l’accès au droit d’asile, c’est-à-dire à toutes les barrières formelles et informelles qui limitent la capacité des demandeurs d’asile à arriver ou à déposer concrètement leur demande en France.Celles-ci sont déjà nombreuses, et pourraient être multipliées si les Européens allaient dans ce sens. En particulier, l’indispensable réforme du règlement Dublin, qui vise à transférer, en fonction de divers critères, des demandeurs d’asile vers le premier Etat de l’Union européenne où ils ont échoué, pourrait aboutir à un système encore moins favorable à ces demandeurs déjà placés dans des situations administratives incompréhensibles.Si le débat était rouvert, il faudrait aussi craindre un durcissement des conditions d’obtention de la « protection subsidiaire », régime spécifique créé par l’Union européenne pour protéger temporairement des personnes non éligibles au statut de réfugiés – par exemple lorsqu’elles ne sont pas personnellement persécutées, mais proviennent d’une zone de guerre en proie à des violences aveugles d’intensité exceptionnelle.La jurisprudence de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) s’est déjà durcie récemment à l’égard des ressortissants afghans, en décalage avec l’aggravation actuelle de la situation ; il faut souhaiter que les débats européens ne conduisent pas à l’ajout de nouvelles conditions contraignantes.

Adaptation du droit

Il est surtout permis de redouter les conséquences de la mention, par le président, de la « nécessaire adaptation » du dispositif juridique français.Deux réformes récentes, en 2015 et 2018, visaient déjà à adapter notre droit à l’augmentation importante du nombre de demandeurs d’asile en France, liée au regain de violence et de persécutions de par le monde. Elles ont pour l’essentiel complexifié l’accès à une protection pour les demandeurs souvent dépassés par des procédures absconses et accéléré les procédures, en particulier en fixant des délais réduits de jugement des dossiers à la CNDA compétente en matière de contestation des décisions de l’Ofpra (Office français de protection des réfugiés et des apatrides), et en renonçant à la collégialité au profit d’un juge unique pour les affaires censées être les plus simples.

Il faut souhaiter que l’opinion publique s’accorde sur le principal : la protection des populations opprimées.

Il est à craindre que la nouvelle adaptation des procédures françaises appelée par les voeux d’Emmanuel Macron s’inscrive dans cette même dynamique, laquelle conduit déjà la CNDA à traiter plus d’un tiers des requêtes par ordonnance – c’est-à-dire sans audience permettant d’entendre le demandeur d’asile exposer les persécutions dont il se dit victime – pour gagner du temps.A l’approche d’échéances électorales majeures, il faut souhaiter que l’opinion publique, bien que divisée sur les questions d’immigration, s’accorde sur le principal : la protection des populations opprimées fuyant le sang et la barbarie n’est pas une question économique, mais une question élémentaire d’humanité et d’éthique, qui devrait distinguer la France parmi les Nations. Il faut rouvrir les ponts aériens et faciliter l’accueil. L’urgence est là, et surtout pas dans un nouveau texte adopté à la va-vite.Raphaël Maurel est maître de conférences en droit public à l’université de Bourgogne – Credimi.