« La Russie adopte un comportement de plus en plus agressif à notre encontre »


Le président de la République et Volodymyr Zelensky ont signé un accord bilatéral de sécurité. Que signifie-t-il ?​Cet accord consacre l’engagement continu de la France à soutenir l’Ukraine. Il couvre notamment le renforcement du soutien militaire, tant en matière d’armement, d’entretien des matériels fournis que de formation. La France est l’un des pays européens qui forme le plus de soldats ukrainiens  : nous en avons déjà formé 10 000 depuis le début de la guerre, et nous en formerons entre 7 000 et 9 000 supplémentaires en 2024, sur des formations généralistes comme spécialistes. Cet accompagnement est crucial, l’armée ukrainienne subissant de lourdes pertes.​D’où proviennent ces fonds de soutien à l’Ukraine ?​L’effort consenti pour l’Ukraine a été permis d’abord par des cessions d’équipements issus des stocks de nos armées, qui font par la suite l’objet de recomplètement neuf à l’identique par un achat à un industriel. Il y a aussi des matériels donnés encore opérationnels, mais plus anciens, que nous aurions prochainement retirés du service et que nous remplaçons par une nouvelle génération. Nous avons ainsi accéléré la transition et c’est particulièrement vrai pour les véhicules terrestres, où nous avons donné des chars sur roues AMX-10 RC et des véhicules de l’avant blindé VAB qui sont remplacés plus vite par des Jaguar et des Griffons produits par Nexter. C’est du gagnant-gagnant. Il y a ensuite des fonds dédiés nationaux et européens qui permettent d’aider l’Ukraine à s’armer.​Comment continuer de fournir du matériel à l’Ukraine tout en protégeant les stocks de nos armées ?

Leur engagement est remarquable et Cela représente aussi une opportunité de tester au combat cette nouvelle génération de matériels ce qui nous permet d’accélérer l’acquisition des cibles de tirs du canon qui pourrait intéresser aussi bien les armées c’est la notion d’escalade. Le régime du Kremlin joue avec les seuils et multiplie les menaces. Un autre domaine de préoccupation concerne les menaces liées au chantage aux matières premières, comme on l’a vu avec les céréales. Le prix élevé des hydrocarbures en France est en partie dû à la mainmise de Moscou sur ces ressources, ce qui affecte directement le pouvoir d’achat de nos citoyens et affaiblit nos économies. Moscou utilise ces leviers sans retenue  : c’est le principe même de l’hybridité.Nous avons également subi des cyberattaques d’origine russe, de plus en plus agressives et nombreuses. Ces attaques, qui brouillent la ligne entre les actions de l’État russe et celles d’individus russes, ciblent nos infrastructures. Le cyberattaque subie il y a quelques mois par une importante entreprise de défense française, repoussée mais clairement d’origine russe, visant à perturber la production de matériel militaire pour la France et nos alliés. Cette agressivité accrue justifie une montée en puissance de notre défense cybernétique.​Quel risque représente la Russie ?​Depuis plus de deux ans le risque va grandissant, c’est le constat partagé par l’ensemble des pays européens. Nos services de renseignement surveillent attentivement les tentatives de déstabilisation russes au travers de la manipulation de l’information. En tant que démocratie, nous sommes particulièrement sensibles aux opérations de désinformation. La France et les États-Unis ont été victimes de telles opérations pendant des campagnes électorales au cœur de nos processus démocratiques ces dernières années.Sur le champ militaire, rappelons la manipulation macabre du charnier de Gossi en 2022  : Wagner avait mis en scène un faux charnier, en allant chercher des cadavres et en les disposant sur une ancienne emprise militaire française au Mali, pour accuser nos forces d’être à l’origine d’un crime de guerre. Nos capteurs prépositionnés nous ont permis de caractériser et dénoncer la forfaiture des mercenaires russes.Et encore très récemment, la Russie a diffusé des informations sur de prétendus mercenaires français tués en Ukraine, en fournissant une liste mensongère de noms, incluant des personnes n’ayant aucun lien avec le conflit ukrainien et qui sont allées en Ukraine pour des raisons professionnelles avant le conflit. Ces allégations sont clairement des manipulations. Il est donc essentiel d’aborder la menace russe avec lucidité et de ne pas la sous-estimer.​Comment peut évoluer cette guerre ?​Depuis février 2022, la résilience ukrainienne nous a enseigné à être prudents quant à nos prévisions. Initialement, peu imaginaient que l’Ukraine pourrait tenir tête à la puissance militaire russe. La Russie de Vladimir Poutine, tout en étant plus agressive sur le plan hybride, rencontre en parallèle d’importantes difficultés sur le terrain conventionnel face à l’armée ukrainienne. Cela s’explique bien entendu par les efforts héroïques des soldats ukrainiens et de l’aide des pays occidentaux, mais également des mauvaises analyses et décisions de la part des autorités russes, sans oublier les désorganisations liées à la corruption et au mensonge au sein de leur appareil de sécurité.Il faut comprendre que même si la contre-offensive ukrainienne n’a pas eu l’effet escompté, cela ne signifie pas pour autant que les Russes ont repris le dessus. Suivant de près l’évolution du conflit, j’observe que la ligne de front ne bouge que très légèrement, souvent de quelques centaines de mètres ou kilomètres. Nous assistons à la stabilisation de cette ligne de front, mais cela ne traduit pas un avantage décisif immédiat pour la Russie, qui va devoir opter pour une stratégie de guerre d’usure et de pourrissement. L’enjeu actuel est donc d’assurer que l’Ukraine conserve ses capacités défensives et de contre-offensive, ce qui est précisément l’objectif de l’accord que le président Zelensky vient de signer à Paris avec le président Macron.​Doit-il y avoir une défense européenne ?​La mise en place d’une défense européenne suscite diverses opinions dans les différentes familles politiques. Cela était encore perceptible au cours de la discussion de la loi de programmation militaire. C’est un bon débat ; que doit-on partager pour être plus fort dans un monde global plus dur et compétitif en matière d’armement ? Que doit-on en revanche absolument maîtriser et faire seul ? Je forme le vœu que la campagne des élections européennes permette cette discussion.À titre personnel, je suis profondément convaincu que notre première assurance vie, c’est notre armée, dans les fondamentaux de son modèle gaullien dessiné dans les années 1960, c’est-à-dire reposant sur une dissuasion nucléaire autonome, un cadre d’emploi national d’une armée expérimentée au combat, des alliances claires, et une industrie de défense souveraine.Néanmoins, je crois fermement que l’Union européenne a un rôle à jouer, en ce qui concerne le développement et la protection de cette industrie de défense, sans jamais entrer dans les prérogatives souveraines des États, comme par exemple les contrôles des exportations. L’Union européenne, en tant que marché commun, doit se mobiliser pour aider en matière de production, de travail et de finance.​Doit-on s’habituer à vivre avec une guerre à nos portes ?​J’aime l’histoire. La paix a souvent été l’exception, tandis que la guerre était la règle. Pierre Messmer, dans ses mémoires, souligne qu’un bon ministre de la Défense doit être fondamentalement pacifiste, tout en se préparant en permanence à remporter toute guerre. Je suis d’accord. Il est crucial de ne pas renoncer à l’idéal de paix, en évitant toute forme de naïveté. Se préparer à la guerre, dans un sens, est un moyen de préserver la paix.