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Hubert Caouissin s’était claqué la tête contre le tableau de bord Les horaires sont compliqués comme sur une autoroute». Peu à peu, il ne supporte plus les petits matins au son des vagues sur le transrade en direction de l’île Longue. Malgré son atelier insonorisé, le vrombissement des moteurs et le murmure des canalisations du chantier deviennent à leur tour invivables.
Un premier arrêt de travail est délivré à Hubert Caouissin en juillet 2013. À son retour en septembre, le moindre crayon tombant sur le sol transforme son crâne en caisse de résonance. Chaque bruit l’envahit.
Hubert Caouissin court vers son chef. Il faut qu’il parte. «Je ne voyais plus rien.
Je ne comprenais plus rien.» Début novembre 2013, le médecin du travail lui signe cette fois un congé maladie longue durée. Hubert Caouissin pense faire un burn out.
Il passe deux audiogrammes sans qu’une hyperacousie ne soit diagnostiquée. L’ORL conclut à une «sensibilité» pour les ondes sonores à basse fréquence. En 2004, sa compagne Lydie Troadec avait eu «le sentiment» d’être moralement harcelée au travail.
Elle avait consulté un psychiatre. Les choses s’étaient progressivement arrangées. Alors Hubert, pour qui «dès que le téléphone sonnait chez moi, c’était trop», se décide à voir un psychiatre.
Le jour de son premier rendez-vous, pris dans les embouteillages, il peine à trouver la rue du cabinet. Désorienté, il se trompe et arrive en retard. Quand il pénètre enfin dans la salle d’attente, il est en sueur.
Dans un coin de la pièce, un ventilateur tourne. Les bruits des pales claquent contre les parois de son crâne. Il part sans se retourner.
Hubert Caouissin ne retournera plus chez aucun psychiatre.
«Le lit dans lequel on dormait a été saboté»
Hubert et Lydie habitent Plouguerneau, village bordé de plages et de falaises au nord du Finistère. Hubert y avait fait construire, bien avant leur rencontre, une petite maison à 300 mètres de chez sa mère –non par amour, mais par opportunité : le terrain était à bon prix et il souhaitait investir dans l’immobilier.
Désormais, il ne peut plus se reposer chez lui à cause des bruits des voisins. Il va chez sa mère, Marie-Françoise, mais les bruits de la nuit l’empêchent là aussi de trouver le sommeil.Le couple décide donc de dormir avec le petit chez Renée Troadec, la mère de Lydie, dans sa maison de Guipavas une fois par semaine.
Mais cette «bouffée d’oxygène» se retrouve étouffée. «Le lit dans lequel on dormait a été saboté», assure Hubert Caouissin. Une pièce métallique scintille par terre.
L’un des triangles fixés sur le renfort du lit est tombé. Il n’a pas pu se détacher seul. Hubert Caoussin soupçonne Pascal Troadec, le frère de Lydie.
«C’est pas la première fois qu’il sabotait des affaires de Lydie», jure-t-il.Hubert n’a jamais apprécié son beau-frère. Un après-midi de 2007, Pascal, sa femme Brigitte et leurs deux enfants –Sébastien et Charlotte– avaient emmené Hubert et Lydie visiter le château des ducs de Bretagne à Nantes.
Au retour, ils leur avaient proposé de venir chez eux, dans leur maison à Orvault, «pour un quatre-heures». À peine attablés, Pascal et sa femme Brigitte avaient demandé aux enfants d’aller dans leur chambre. «Et c’est là que la discussion a commencé», se souvient Lydie Troadec.
Son frère et sa femme lui avaient reproché de se faire avoir par tous les hommes, s’étaient moqués d’elle pour être sortie avec un Noir et être allée voir un psychiatre. Lydie en avait été humiliée. Quand elle avait rejoint son frère Pascal dans le salon pour lui demander la raison de tout ça, Pascal avait simplement répondu : «Je ne vois pas de quoi tu parles.
» Hubert ne supporte pas que l’on prenne Lydie pour une imbécile.Pierre Troadec, le père de Lydie, leur avait déjà déconseillé de se rendre chez Pascal et sa femme. À son décès, en novembre 2009, Pascal apparaissait effondré.
Il s’était remis très vite. Par la suite, il téléphonait sans cesse à sa sœur Lydie pour savoir ce que leur père avait bien pu lui dire avant de mourir. Une autre fois, alors que Lydie lui posait son petit sur les genoux, son frère –pourtant lui-même père de deux enfants– lui avait lancé : «Je ne suis pas à l’aise avec les enfants.
» Non, vraiment, chez Pascal, rien n’exsudait la bienveillance.
«J’ai besoin de tout vider»
Il achète plein de disques durs externes.
«Quel connard ! Il aurait pu nous ouvrir la barrière quand même !»
Elle lui avait pourtant demandé de laisser la barrière ouverte. Il s’en fichait, de son handicap.
À leur arrivée, dans la cuisine, Brigitte et Pascal discutaient tout bas. À quoi rimaient ces messes basses? Lydie et Hubert ont insisté pour revoir le plan de table afin que le petit soit placé entre eux deux, près du ramequin des cacahuètes. Que cherchaient-ils, au juste? Le petit aurait pu s’étouffer avec un biscuit apéritif.
Ce Noël 2013 fut le dernier passé en famille.
«Je ne sais pas où il trouve tout ce fric»
» Sébastien, le fils aîné de Pascal et Brigitte âgé de 20 ans, réceptionne le message. Le soir même, Pascal appelle Lydie. Il «vocifère» au téléphone.
Brigitte s’empare du combiné. Elle est d’accord pour l’arrangement. Une rencontre est convenue chez Renée Troadec.
Lydie cache à nouveau le dictaphone dans son décolleté. Le fichier sera renommé «Explication Pascal mp3 5 juillet 2014». Dessus, on entend le claquement des bises pour se dire bonjour, et Pascal lancer une référence à l’affaire Pastor.
Dans l’affaire Pastor, il est question de tueur à gages. Hubert et Lydie n’en montrent rien, mais cette allusion les terrifie. Renée ne les avait-elle pas déjà mis en garde en prononçant cette phrase : «Pascal ne voudra pas s’arranger.
Il préférera nous éliminer»?Même au supermarché, la ventilation du magasin est devenue trop forte. Hubert Caouissin sort par les portes automatiques en courant, livide. La situation est intenable.
Puisque le monde est bruyant, il faut s’en extraire.
«On lui a dit de montrer la maison de Plouguerneau sur Google Maps»
En 2015, à l’ouest du parc naturel régional d’Armorique, le couple achète une ferme isolée à Pont-de-Buis, au lieu-dit Le Stang. «Ce sont toutes mes économies de travail qui sont parties dedans», expose Lydie Troadec.
La propriété comprend 26 hectares. Au cœur des bois peuplés de chênes, l’immense bâtisse surplombe une rivière bordée de ruisseaux. Au départ, «il n’était pas question de le cacher», affirme Lydie.
Mais de fait, personne –mis à part Renée– ne connaîtra ni l’adresse, ni l’existence de la ferme de Pont-de-Buis. La ligne fixe de la maison de Plouguerneau renvoie directement sur le portable de Lydie. À l’école primaire où le petit est réinscrit en CE2 sous le nom de Troadec –plus commun que celui de Caouissin–, l’institutrice donne un travail : les élèves doivent chercher leur maison sur Google Maps.
«On lui a donné une astuce, confie Hubert, on lui a dit de montrer la maison de Plouguerneau et de dire que c’était là. Comme ça, ça ne l’angoissait pas.»Lydie Troadec entreprend d’écrire son journal intime à partir du 5 avril 2016.
Le 24, elle note d’une écriture soignée : «Très bonne journée sauf pour qui a fait une grosse colère au moment du goûter.» Lydie détaille les coups de pied dans le canapé de Mamie Renée, une fessée, son refus de manger une part du gâteau préparé par sa grand-mère, une claque. Elle conclut: «Puni de judo.
»Hubert Caouissin et Lydie Troadec dissolvent leur PACS contracté en 2009 malgré leur communauté de vie. Lydie Troadec est ainsi déclarée mère célibataire auprès de la CAF. À Plouguerneau, les herbes hautes envahissent désormais le jardin.
La nature, l’entretien «très physique» de la ferme de Pont-de-Buis et le traitement médicamenteux procurent enfin une sensation d’apaisement à Hubert. Il stocke le bois, maintenant, et le contenu de tout une variété de sites internet, comme avant. Après trois ans de congé maladie, il souhaite reprendre le travail.
Il stoppe les antipsychotiques, les petits comprimés bleu-vert de Tercian. Un mi-temps thérapeutique lui est accordé. Le matin, Hubert Caouissin se lève, prend son petit déjeuner et se rend au bureau.
Il rentre déjeuner, la famille fait la sieste, Hubert et Lydie font l’amour, avant que ne sonne l’heure du goûter. L’après-midi, le petit va jouer dehors avec Heidi et les poules.
«C’était en train de dégénérer»
Entrée du journal intime de Lydie Troadec :
«Envoi de cartes postales d’Amsterdam, une à Renée et une à “Lydie Troadec et ”.
L’écriture est plus assurée dans celle de Renée, “superbes vacances” et moi “super vacances” avec un seul s, à vacances.»
Le diable se niche dans les détails: Lydie note l’absence de «s» à super et se demande si la carte postale a bien été écrite par Pascal. Puisque aucun arrangement n’est possible avec Pascal et Brigitte, Hubert décide de les «faire tomber financièrement».
Un dossier est constitué pour l’envoyer à Tracfin, le service de renseignement pour la lutte contre les circuits financiers clandestins. Baptisé «Crapule», comme le surnom donné par le couple à Pascal Troadec –sa femme Brigitte est quant à elle surnommée «Grosse dondon»–, le dossier contient des captures d’écran de Google Maps et Street View du pavillon de Pascal et Brigitte à Orvault, des plans de la ville annotés, et des fiches listant tout ce qui pourrait s’apparenter à un changement de leur train de vie : la chaîne dorée et les mains propres de Pascal, les «manières empruntées» de Charlotte au point où c’en devient «grotesque», le numéro des plaques d’immatriculation de l’Audi A4 de Pascal et de la BMW 318D de Brigitte.
«Beaucoup de boutons sur la gueule, Seb.
Il va commencer à fermer sa gueule et moins mal parler à son père.»
À la ferme de Pont-de-Buis, les bruits reprennent. Près de la chambre conjugale, le poulailler à proximité empêche Hubert de fermer l’œil.
Ils installent alors le lit dans la pièce la plus silencieuse de la maison, le salon. Tout autour du sommier, des objets les entourent tel un rempart. D’une voix calme et posée, Hubert indique : «On avait laissé un passage.
»Un soir où il rentre chez lui, Hubert Caouissin sent une odeur «de tabac incrustée dans le plâtre et le bois» en passant la porte d’entrée. «Ça ne venait pas de l’extérieur, j’ai vérifié, assure Hubert. Même la chienne s’est arrêtée et l’a sentie.
»
«Je me suis garée sur le parking de l’école, Lucas est arrivé avec un super sac de piscine. J’ai eu de la peine pour qui n’avait qu’un sac plastique. La directrice était cachée entre l’école maternelle et l’école primaire pour voir qui avait un sac de piscine et qui n’en avait pas.
»
En novembre 2016, Brigitte, la femme de Pascal, contacte Marie-Françoise, la mère d’Hubert, pour prendre des nouvelles du petit. Ils n’ont pas vu le garçon depuis des mois, si ce n’est des années. Hubert et Lydie comprennent que Brigitte cherche des informations pour les retrouver.
Hubert se met à être «très prudent sur la route» : il prend des chemins détournés, tourne plusieurs fois aux ronds-points pour s’assurer qu’il n’est pas suivi.En décembre 2016, Renée Troadec téléphone à sa fille Lydie. Brigitte vient de l’appeler.
Elle a demandé où le petit était scolarisé. Elle fait sûrement le tour des écoles. À ce moment-là, «c’est la panique», se rappelle Hubert.
Pascal et Brigitte ne sont pas seulement à la recherche d’informations. Ils cherchent leur fils, le dernier ayant droit des pièces d’or. Le petit est en danger.
En janvier 2017, le petit prend un ballon au visage. Un enfant d’enseignant a visé ses lunettes. La maîtresse a pris le garçonnet en grippe, les autres écoliers le harcèlent, «c’était en train de dégénérer», explique Hubert Caouissin.
À nouveau, ils retirent leur fils de l’école.
«La peur est ingérable»
un calepin et un crayon