Une Carte vitale, une carte d’assurance maladie à côté de gélules de médicaments et de pilules. «– Quelle est votre définition du bonheur, Monsieur Williams?
– L’insensibilité, je crois. »
30 mai 1990
Cet aphorisme du dramaturge états-unien ne ferait pas sourire les victimes d’anhédonie. Quand ces personnes racontent ce qu’elles ressentent, elles parlent de la perte totale de leurs sentiments et parfois de leurs sensations. Elles se décrivent comme des zombies, des « cadavres qui bougent encore». Parfois, un seul comprimé a suffi à les faire sombrer dans cet état. Dans la grande majorité des cas, il s’agit d’un ISRS mais des témoignages rapportent les mêmes symptômes après la prise d’autres psychotropes.
Cet état est tellement insupportable que plusieurs victimes ont choisi de mettre fin à leurs jours. Pour certains, moins atteints, il s’agit d’un émoussement généralisé, comme s’ils fonctionnaient au ralenti, ou sous anesthésie. Ils ont perdu une grande partie de leur acuité sensorielle et se décrivent comme «détachés ».
La façon dont les médicaments «déconnectent» ainsi sentiments et sensations reste, pour le moment, inexpliquée. Ces troubles semblent parfois régresser très lentement, parfois s’atténuer pendant de courtes périodes, que les personnes concernées appellent « fenêtres».
Au cœur de la promesse thérapeutique des antidépresseurs figure justement un soulagement par rapport à des émotions débordantes. Mais parfois, la déconnexion emporte tout sur son passage. Personne ne sait trop comment y remédier, même si quelques pistes émergent.
En matière de « déconnexion » de ce qui nous rend humain, le témoignage de certains artistes permet d’alimenter la réflexion.
Atrophie des capacités artistiques
Le 13 mai 2007, sous la plume d’Anna Moore, le quotidien britannique The Guardian publiait le témoignage de la peintre Stella Vine. Cette artiste a baptisé son exposition de 2004 « Prozac and private views ». Elle déclare avoir pris du Prozac à plusieurs périodes de son existence, à partir de 2001, et assure que le médicament lui a «permis de fonctionner mais a émoussé sa peinture ».
mais en un sens mais c’est plus vivant et intense, comme une conscience affûtée. Par exemple, j’ai achevé plusieurs sous-couches et j’arrive à ce moment de lucidité absolue. Tout d’un coup, je sais comment faire en sorte que l’ensemble “fonctionne”. Cela ne m’arrive jamais sous Prozac. »
«Une impulsion irrésistible à se tuer »
Plus tard, elle nous a raconté se souvenir d’une profonde sensation de ne pas être elle-même après avoir commencé le traitement et d’une impulsion irrésistible à se tuer. »
Si l’affaire arrive un jour devant un juge, pour déterminer qui est responsable, il faudra plaider le dévoiement complet du système, les essais truqués, les articles scientifiques rédigés par des auteurs-fantômes. On souhaite bonne chance à l’avocat pour construire sa défense sur cette bombe à retardement.
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1 trois fois plus que ceux qui prenaient les anciens antidépresseurs Le pourcentage de 1,25% est soixante fois plus élevé que celui de la population générale, assène le Pr Philippe Even, qui annote l’ouvrage.
«Beaucoup d’antidépresseurs augmentent la disponibilité de la sérotonine au niveau des récepteurs post-synaptiques S2; en stimulant ces récepteurs, ils peuvent produire un effet similaire à celui du LSD, écrit le Pr Healy dans son manuel sur les médicaments psychotropes. Chez certains individus prédisposés, cette action peut se trouver à l’origine d’une décompensation psychotique. Quels qu’en soient les mécanismes, des réactions maniaques et psychotiques ont été relevées dans tous les essais portant sur les ISRS. »
écrit Peter Gøtzsche mais cette affirmation est contredite par les données. Il cite, à l’appui de son argument, une thèse australienne avançant que seules un quart des personnes qui mettent fin à leur jour avaient été diagnostiquées dépressives. Pas mal d’autres se retrouvent avec un diagnostic psychiatrique établi post-mortem, ce qui, évidemment, crée des biais.
Nous sommes tous différents et nous réagissons de façon différente à ces molécules j’en ai toujours eu. Il me semble que c’est un trait familial : plusieurs membres de ma famille ont mis fin à leurs jours.» Irène précise que l’affaiblissement de cette envie régulière d’attenter à sa vie constituait le seul avantage du traitement: « Pour le reste, j’étais en pilote automatique, vraiment détachée psychologiquement, même si je m’activais beaucoup physiquement. Et le sevrage a été atroce ; pendant ces mois-là, le désir de mourir est revenu en force.»
résume Bruno Toussaint Si le médecin se trouve face à une femme enceinte ou susceptible de le devenir, le risque est réel. Pour les autres patients, il faut leur dire les choses calmement mais clairement: ces médicaments peuvent provoquer des réactions inattendues, paradoxales, contraires à l’effet recherché ; si c’est le cas, arrêtez la prise et venez m’en parler.» Le directeur éditorial de la revue Prescrire résumait: «On peut dire que les ISRS ont beaucoup d’effets secondaires… dont la mort !»
«Accuser la maladie, pas le médicament»
Le premier est, rappelle le Pr Peter Breggin, un «continuum de stimulation» qui commence souvent par de l’insomnie. Une patiente témoigne : «Depuis douze ans que je suis sous Effexor, je me sens épuisée en permanence. Je suis allée à l’hôpital pour un test de sommeil qui a montré que je ne passais jamais en phase de sommeil paradoxal, celui pendant lequel on rêve. Le médecin m’a dit que c’était une conséquence de l’Effexor. Du coup, je suis déterminée à arrêter. » Douze années de sommeil de qualité perdues: on comprend que cela puisse affecter sérieusement l’équilibre de quelqu’un…
par définition pas dépressifs L’un des cas les plus célèbres en la matière est celui de Traci Johnson elle touchait 150 dollars par jour (à peu près 125 euros) Le 7 février 2004 En guise de réponses aux questions posées par la presse et par les chercheurs à la suite de sa mort, la FDA a déclaré que « certaines données cliniques relèvent du secret industriel ou d’informations commerciales protégées ». On retrouve le nœud du problème : l’accès aux données.
qui se manifeste souvent dès le tout début du traitement Graham Aldred témoigne qu’il a lui-même incité son épouse Rhona à poursuivre son traitement malgré une agitation intense et de terribles cauchemars. Après onze jours de traitement, elle a garé sa voiture dans une allée reculée, a branché un tuyau d’aspirateur sur l’échappement et s’est asphyxiée. L’époux éploré se remémore qu’en rentrant de la consultation au cours de laquelle son médecin lui avait prescrit le médicament, Rhona avait exprimé des réserves sur un tel traitement. Et il lui avait répondu : « Allons, ne sois pas bête, on est en Angleterre, un pays où on peut faire confiance à la réglementation sanitaire ! »
Combien sommes-nous à entretenir cette illusion d’un système sanitaire transparent et efficace, chapeauté par des agences indépendantes et imperméables aux pressions ?
Militaires sous ISRS
À l’image du Mediator, des médicaments dangereux prospèrent, car aux lacunes existantes s’ajoute une pharmacovigilance très défaillante. L’idée que des médicaments puissent modifier profondément la personnalité est de temps en temps reconnue par la justice. On pense au pilote de Germanwings, par exemple, à la tuerie de Pouzauges sous Zoloft en 2010. En 2012, le Journal du dimanche évoquait le cas de Didier Jambart, un père de famille sans histoire qui s’est transformé, à cause de son anti-parkinsonien, le Requip, en joueur compulsif volant les cartes de crédit de son entourage et cumulant les conduites sexuelles à risque. Le médicament lui a aussi fait rechercher des aventures homosexuelles, alors qu’il est hétérosexuel.
stress post-traumatique, anxiété, etc.) étaient fréquemment renvoyés dans les zones de combat avec un traitement par antidépresseurs, souvent des ISRS.
«Notre défi provient du fait que l’armée doit combattre. Et comme vous le savez, recruter est devenu un défi. Donc nous devons tenir compte à la fois des besoins de l’armée, de ceux de la mission et de ceux des soldats en tant qu’individus. »
Plus largement, la prescription d’antidépresseurs contrevenait aux régulations internes de l’armée adoptées en 2005, statuant que la prise d’antidépresseurs pour des cas de dépressions modérées à sévères «n’était habituellement pas adaptée aux longues périodes sur le terrain».
En 2019
Doublement de posologie
On trouve dans la thèse du Dr Éric Bonne une étude menée par lui en 2004 au sein du service de médecine légale de Saint-Étienne du Pr Michel Debout Même s’il faut être très prudent avant de déterminer un lien de causalité la posologie avait été doublée, voire plus, au cours du mois précédant leur décès.
Les antidépresseurs, inventeurs de la dépression ?
Extrait du livre d’Ariane Denoyel, « Génération zombie : Enquête sur le scandale des antidépresseurs », publié aux éditions Fayard.
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