Pierre Moscovici face aux lecteurs de Midi Libre  : pour enrayer la dérive des finances publiques, « il faut une politique d’efforts »


Si le Premier président de la Cour des comptes Pierre Moscovici s’est voulu rassurant face à nos lecteurs réunis ce mardi au siège de Midi Libre, il s’affirme attentif aux mesures du gouvernement pour trouver les nécessaires recettes et économies qui permettront d’équilibrer le budget 2025.

Jean-François Soto, maire de Gignac, Walter Bignon, adjoint au maire de Marseillan, Max Hermet, directeur du centre de rééducation neurologique Propara, Sandrine Bignoli, cheffe d’entreprise, présidente de FCE 34, Christophe Bonnet, président de la Capeb du Gard, et Sophie Scantamburlo-Contreras, gérante de Scop3, ont rencontré à Midi Libre, le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici.

Finances publiques et budget 2025 : « Ça ne pouvait pas continuer ainsi… »

Les efforts demandés aux Français étaient inéluctables selon le Président de la Cour des comptes et du Conseil des finances publiques.

À peine installé face aux lecteurs de Midi Libre, le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, fut interrogé sur le budget présenté par le gouvernement : « Je crains que ce gouvernement n’ait pas eu beaucoup de choix. Il hérite d’une situation de finances publiques que la Cour des comptes et le Conseil des finances publiques signalent depuis plusieurs années comme inquiétante, qui est devenue préoccupante voire grave si je reprends les termes du Premier ministre. Nous avons un déficit qui, à la fin de l’année, est de 6,1 % du PIB, soit 180 milliards d’euros, alors que le budget avait été voté avec un déficit de 4,4 % du PIB, donc 128 milliards d’euros. Je n’avais jamais vu 1,7 point de déficit de dérapage sur un an, je n’avais jamais vu 52 milliards de déficit sur un an. Tout ça se pose sur un stock de dettes lui-même impressionnant puisque nous avons plus de 3 200 milliards d’euros de dettes. Nous sommes les plus endettés de la zone euro en volume, et les troisièmes en pourcentage du PIB, derrière la Grèce et l’Italie. »

Et de rappeler que l’Union européenne a ouvert une procédure pour déficit excessif à l’encontre de la France en juillet, que « les marchés existent, que le regard des agences de notation est moins favorable », et que, « annuellement, la charge de la dette est de 53 milliards d’euros aujourd’hui, elle était de 25 milliards il y a quatre, ce sera 70 milliards pour l’an prochain, et si on continue comme ça, ce sera entre 90 et 100 milliards d’euros en 2027 et 2028. Bref, ça ne pouvait pas continuer comme ça ».

Voilà pour le constat, délivré en quelques chiffres, et le contexte général. D’où ce budget de l’État 2025, que l’ex-ministre de l’Économie et des Finances (il le fut de mai 2012 à mars 2014), ne veut pas qualifier de « budget de rigueur, ou d’austérité », mais de « budget d’effort, un effort nécessaire, et je pense que les Français en sont très conscients ».

Et sur la question de la fiscalité, celui qui fut aussi commissaire européen notamment en charge de la fiscalité estime qu’ »il fallait que le gouvernement fasse quelque chose en matière fiscale. C’était inévitable. » Indulgent, il note que le nouveau Premier ministre Michel Barnier a dû élaborer un budget dans un délai très court, et que, d ans ces conditions, « faire des économies intelligentes en quinze jours c’est compliqué. La fiscalité à cet avantage d’être plus disponible. Le public dira si cela a été fait de façon intelligente ».

Mais, déjà, Pierre Moscovici avertit : « Attendez-vous à ce que cet effort budgétaire se prolonge. Plusieurs années. Nous avons l’obligation de passer en dessous de 3 % du PIB. J’avais conseillé au Premier ministre de prendre son temps, de ne pas le faire pour 2027, c’était trop court, ça aurait été un matraquage sur l’économie, avec un plan de rigueur ou d’ajustement, et là, c’est du PIB en moins. Sur deux ans c’était trop brutal, sur cinq ans c’est jouable. Mais il va quand même falloir faire vingt milliards d’efforts par an pendant cinq années, au moins, pour revenir à une jauge de finances publiques juste convenable. Mais avec des efforts différents pendant ces cinq années ».

Il détaille : « La première année, vous n’avez pas tellement le choix, vous êtes obligé de faire de la fiscalité. C’est l’instrument le plus disponible, celui qui rapporte le plus, le plus vite. Mais les années suivantes seront des années où il faudra uniquement faire des économies. La fiscalité, c’est une fois. Deux fois, bonjour les dégâts. Donc l’année prochaine, n’y comptons pas. »

E de ne pas oublier d’apporter une note optimiste, ou, du moins emplie d’espoir : « La France n’est pas un territoire sinistré, regardez le degré de prestations auquel chacun a accès Et je ne dis pas que la France est en faillite, ce n’est pas la Grèce de demain. Mais il faut surveiller les choses, il faut du sérieux et de l’effort. »

Collectivités : « Pas illogique de leur demander une contribution »

Cinq milliards d’euros d’économies demandés aux collectivités par le gouvernement, où 100 000 emplois pourraient être supprimés à l’échelle nationale. Des mesures qui, aussitôt dévoilées, ont soulevé la colère dans les communes, intercommunalités, Départements, et régions.

« Si on disait ce n’est pas cinq milliards, c’est quinze, ça ne discuterait pas, ça hurlerait, et ça serait justifié assez justifié d’ailleurs. Là, on peut encore se parler… », a d’abord avancé Pierre Moscovici, sollicité sur ce sujet par les élus locaux présents à Midi Libre, le maire de Gignac et conseiller départemental Jean-François Soto, et Walter Bignon, adjoint au maire de Marseillan. Le premier regrettant, en évoquant ces préconisations du gouvernement, que « là où il y a encore un peu de lumière, on veut l’éteindre. Il faut rendre l’argent quand on a plutôt bien géré ».

Et Pierre Moscovici de lui répondre que « le précédent gouvernement a d’une certaine façon accusé les collectivités locales d’être responsables du dérapage des finances publiques. Je me suis exprimé à plusieurs reprises là-dessus pour essayer d’introduire une voie de raison. En disant que, non, ce n’était pas exact. En revanche, ce qui est exact, c’est que les dépenses des collectivités cette année ont beaucoup augmenté. Ce qui signifie que, quand on est dans une période où l’on doit reprendre le contrôle des finances publiques que nous avons perdu, il n’est pas illogique de demander aux collectivités locales une contribution sans leur faire porter l’ensemble du fardeau. »

Selon le président de la Cour des comptes, « nous avons trois types de collectivité en France : l’État, les collectivités locales, et la Sécurité sociale. L’effort doit être partagé entre les trois » juge-t-il.

Cependant, il tient à distinguer : « Nous savons que la situation de toutes les collectivités n’est pas la même. Nous avons un bloc communal, à l’intérieur duquel on a des grosses collectivités dont la situation est relativement prospère. Il y a des Régions qui sont dans la situation intermédiaire. Et des Départements, dont la situation est très compliquée. À la fois parce que les besoins sociaux sont criants et parce que les ressources sont affectées. Donc, solliciter les collectivités, oui, mais à la hauteur de leurs responsabilités, ni plus, ni moins. Et pas toutes les collectivités. Le Département, qui est l’échelon de la solidarité ne doit pas être impacté, surtout dans une période qui peut devenir économiquement plus difficile. »

Politique : « Une situation très particulière »

« Je ne vois pas, maintenant, d’autre solution que de marquer un point d’inflexion par rapport à la montée de nos déficits. Et ça n’a rien à voir avec le fait d’être de droite ou de gauche. Parce que quand on s’endette on se lie les mains. Pour une France qui doit rembourser 70 ou 90 milliards d’euros de charge de la dette par an, il est impossible d’investir dans l’écologie, la transformation numérique, l’innovation, l’éducation. Tout euro que l’on consacre à la dette est un euro perdu pour le service public, l’investissement public, l’économie. C’est la dépense publique la plus inutile qui soit. Et elle finit par vous étrangler. »

Ceci dit, Pierre Moscovici note que la politique doit aussi reprendre ses droits : « Si on rentre dans le détail, c’est plus politique : la répartition entre économies et fiscalité est-elle la bonne, tel est-il plus adapté, telle économie la mieux venue… Ça, c’est le débat parlementaire qui va l’éclairer. »

Et ce, estime-t-il, dans une « situation politique très particulière. Après une dissolution que pas grand monde n’a comprise, en vérité, qui n’a pas accouché d’une clarification évidente. Je ne dis pas ça pour faire de la polémique mais pendant deux mois on a eu un gouvernement des affaires courantes qui était peu susceptible de prendre des mesures nouvelles, le Premier ministre a été nommé le 15 septembre, il a eu quinze jours pour faire son gouvernement, et quinze jours pour le budget. »

Et alors que l’on venait d’apprendre que l’Élysée, l’Assemblée nationale et le Sénat n’augmenteront finalement pas leur dotation pour l’année prochaine, Pierre Moscovici commentait : « Ils ont entendu le message, ils ont compris que cela serait mal admis dans la situation présente et ils ont accepté de plafonner leur budget ». Avant de noter une autre similitude entre droite et gauche : « Je suis toujours très prudent de parler avant de parler de budget d’austérité quand on va avoir 56,3 % de dépenses publiques dans le PIB, 8 % de plus que la moyenne de la zone euro. Nous avons une préférence pour la dépense publique, la protection, un système social plus collectif que les autres. Et ça, la droite et la gauche le partagent d’une certaine façon. »

Transition écologique : « Donner les moyens nécessaires à la lutte contre le réchauffement climatique »

Avec les nécessaires restrictions budgétaires, la cause environnementale ne va-t-elle pas être trop impactée ? Walter Bignon, adjoint à la transition écologique sur la commune de Marseillan (Hérault), s’en inquiète : « Devons-nous craindre que l’accompagnement de l’État comme le fond Vert ou les dotations de soutien à l’investissement local diminuent ? », questionne-t-il.

« La Cour des comptes, vous ne le savez peut-être pas, est extrêmement écologiste. Et nous le serons de plus en plus : j’annonce que nous ferons désormais, annuellement, en septembre, un rapport sur la transition écologique, qui paraîtra, justement, au moment où on discute de la loi de finances pour bien traiter, en effet, les deux sujets évoqués par Michel Barnier, la dette financière et la dette écologique, ensemble.

Et nous aurons une chambre qui est consacrée à ça. Le rapport public annuel de 2024 était consacré aux politiques d’adaptation au changement climatique, donc c’est un prisme qui irrigue tous nos travaux », répond d’abord Pierre Moscovici.

« C’est précisément parce que le changement climatique n’est pas un problème parmi d’autres, mais ce n’est pas une crise, c’est un défi pour de nombreuses générations. Et si on a cette conscience de l’avenir des nations futures, on ne se dit pas qu’on peut mégoter sur les politiques qui luttent contre le réchauffement climatique. On doit leur donner les moyens nécessaires et c’est aussi pour ça qu’il faut s’endetter », poursuit-il.

S’endetter ? « Si vous avez une dette qui ne cesse de croître, alors votre marge de manœuvre pour mettre en place des investissements considérables, ce sont des dizaines de milliards d’euros pour l’avenir, est réduite à néant. C’est mon slogan : désendettons-nous pour investir dans notre avenir. Si nous n’avons pas de capacité à investir, nous n’avons pas de souveraineté. »

Puis, le premier président de la Cour des comptes, sortant « un peu » de son rôle, enjoint les parlementaires à être attentifs dans les débats : « Je ne crois pas que c’est sur l’écologie qu’il faut faire des coupes importantes. »

Sophie Scantamburlo-Contreras, qui a fondé SCOP3, entreprise à mission de l’économie circulaire, accompagne l’université de Montpellier sur le master de la transition écologique : « Les étudiants se demandent si quand un audit est réalisé par la cour sur les dépenses et investissements engagés auprès des collectivités et notamment de l’université, vous souciez-vous de la part environnementale ? »

« Oui, j’ai placé cette question au cœur de nos travaux. On peut aller plus loin et se demander, par exemple, s’il faudrait retirer une partie de la dette écologique du calcul de la dette. En réalité, je ne crois pas »

Elle questionne aussi Pierre Moscovici sur la création d’une TVA “verte”.

« Peut-on encourager l’économie circulaire ? » »Oui. Sur l’outil fiscal, comme la TVA, je suis plus prudent, parce que les chambres régionales des comptes travaillent plutôt sur la partie dépense que sur la partie fiscalité. Je me méfie beaucoup s’agissant de la TVA, de la multiplication des taux intermédiaires. »

Christophe Bonnet, président de la Capeb du Gard, évoque, lui, MaPrimR’enov et le coût de cette plateforme centralisée à Paris qu’il faudrait « régionaliser. »

« La Cour des comptes a fait un audit qui la situe à 2 milliards d’euros. Ce n’est pas parce qu’un mécanisme contribue à la transition écologique qu’il est forcément bon en soi, nous avons suggéré une plus grande décentralisation. Son mécanisme a plutôt bien réussi, mais qui est réformable. Avec MaPrimeRénov, il y a des améliorations à faire qui peuvent contribuer à des économies. »

Les transports : « Les grands travaux doivent être honorés »

La question, prégnante, du coût des transports a également été posée à Pierre Moscovici. Avec, par exemple, la Ligne à grande vitesse entre Bordeaux et Toulouse qui coûtera 14 milliards : peut-elle voir ses financements menacés par les restrictions budgétaires ?

Ou est-ce que la Cour considère que c’est un investissement pour l’avenir, un sujet important pour les territoires ?

« Nous pourrions, mais il n’y a pas de contrôle sur ce sujet, c’est toujours à partir de nos travaux qu’il y a des préconisations. S’il y a eu un engagement de l’État, il doit être tenu. Les grands travaux, s’ils sont engagés, décidés, s’il y a des mesures déjà en œuvre, la parole de l’État doit être honorée », répond-il.

« Après, on peut aussi échelonner dans le temps. Mais on ne remet pas en cause un projet si structurant pour une question d’urgence budgétaire, il en est de même pour les projets comme Lyon-Turin. La parole de l’État est une parole forte et il y a des investissements massifs. »

Mais comment considérer ces élus qui veulent, par exemple, un aéroport sans forcément de cohérence régionale, y a-t-il des préconisations possibles ?

« Je vous réponds par une pirouette, je suis venu en train. Et aussi, quand on a un territoire, le train est un mode de transport plus écologique, on doit le privilégier et ne pas surdévelopper l’avion. Beaucoup d’aéroports de région sont peu rentables », indique quand même le premier président de la Cour des comptes.

Un autre grand dossier a été abordé avec Pierre Moscovici. Celui du secteur de la santé et du déficit structurel de la sécurité sociale. Max Hermet, directeur du centre de rééducation neurologique Propara à Montpellier, alerte, lui, sur les établissements de santé « en grande difficulté financière », malgré les financements, alors que la question du déficit de la Sécurité sociale se pose.

« Pour les dépenses, j’ai d’abord évoqué les dérapages : les collectivités locales pour moitié, l’État pour l’autre moitié et la Sécurité sociale beaucoup moins », développe-t-il face aux lecteurs de Midi Libre.

« Mais nous avons des dépenses car les besoins sociaux augmentent avec un déficit de 18 milliards cette année. Il faut se pencher sur les fraudes, les chiffres sont massifs. Il y a aussi des problèmes de gestion de la dépense sociale, de rapport entre le privé et le public, et la nécessité de retrouver une maîtrise de la dépense de l’Assurance maladie qui a beaucoup augmenté, et pas toujours avec de l’efficacité. Il ne s’agit pas de diminuer les moyens des établissements de santé mais de mieux les gérer, c’est le défi. »

Le rôle de la Cour des comptes : « Un rapport, vous pouvez le discuter, c’est un débat public »

Le rôle de la Cour des comptes a bien entendu été abordé dans ce face aux lecteurs. Sandrine Bignoli, présidente FCE34 (femmes cheffes d’entreprise), a interrogé Pierre Moscovici.

« Vous faites des rapports sur les institutions locales, vos conseils sont suivis, d’autres pas du tout… Nous, on est chefs d’entreprise, si on ne suit pas les conseils, on a des amendes, des pénalités, des outils pour nous remettre dans le droit chemin du budget : allez-vous faire évoluer les outils coercitifs de la Cour des comptes ? », demande-t-elle.

« Je ne suis pas pour le gouvernement des juges ou des experts. Certains nous disent que ça serait bien que l’on suive 100 % de nos avis. Je dis non, ce ne serait pas bien. Parce qu’un rapport de la Cour des comptes, vous pouvez le discuter. C’est un objet du débat public, répond le premier président. Mais dites-vous bien une chose : il est fait par des gens qui ne sont pas malveillants, qui travaillent sur du chiffre, c’est objectif et collectif. Dans une période de fake news, c’est utile. C’est-à-dire que vous pouvez vous dire : “Ce rapport, je ne suis pas d’accord”, mais il vous dit des choses. »

« La cour ne pourrait-elle pas nous aider en amont dans le pilotage de nos communes ? « , demande de son côté Walter Bignon, adjoint à la mairie de Marseillan.

« Quand il y a un contrôle, il y a aussi la contradiction, un moment d’échange, de conseil. Parfois, la chambre régionale ou la Cour des comptes doit exercer plus qu’un contrôle, c’est tout ce qui concerne la régularité. Je pense que c’est une bonne expérience que d’être contrôlé. J’ajoute que nous faisons maintenant, en plus, des évaluations de politique publique, à l’échelle des régions, à leur demande. »

Par ailleurs, Pierre Moscovici a expliqué comment ses services s’attellent à être plus efficaces. « Quand je suis arrivé, j’ai constaté que nos délais de contrôle étaient longs. C’était une quinzaine de mois et un peu plus pour les chambres régionales. Et j’ai fixé comme objectif que ce délai tombe à 8 mois. Nous sommes à 10. »