La crise sanitaire que nous traversons est le théâtre d’une guerre de l’information entre experts qui se contredisent trop souvent. Plutôt que d’éclairer, l’information scientifique devient le véhicule d’une insécurité qui fragilise nos sociétés. Un organisme public de recherche comme le CNRS pourrait s’appuyer sur les récentes recherches sur l’intelligence collective pour trouver de nouvelles manières de sécuriser l’information scientifique.Sur des questions aussi importantes que l’efficacité de certains traitements médicamenteux contre le Sars-Cov2, le citoyen en quête d’une information fiable est ballotté en permanence entre l’avis d’experts qui ne cessent de se contredire. Impossible de savoir qui dit vrai et la communauté scientifique se trouve elle-même clivée dans des oppositions sans fin.
Une affaire trop humaine
Leur vision est nécessairement partielle car aucun expert n’a les capacités cognitives pour assimiler l’ensemble des informations et des études scientifiques produites depuis le début de cette crise. Mais leur vision est aussi partiale car chaque expert pense un problème d’une certaine manière, avec des schémas mentaux parfois différents des autres experts. Un épidémiologiste analyse la situation sous l’angle de la circulation du virus et promulgue ses recommandations pour la limiter à coups de mesures sanitaires plus ou moins strictes alors qu’un psychiatre y voit les effets délétères de ces mêmes mesures sur la santé mentale de la population.Le grand public ignore aussi souvent que la science est une affaire humaine, trop humaine, avec son lot d’intérêts, d’amitiés et d’inimitiés entre experts qui jouent aussi leur rôle dans le déroulé de l’activité scientifique. L’objectivité scientifique s’entremêle ainsi à des subjectivités qui peuvent être désaccordées, parfois rivales. Plus que jamais, on devrait donc se rendre compte que la parole d’un expert seul ne suffit pas. Et qu’afin de neutraliser les effets délétères de l’expertise isolée, il est sans doute temps de davantage prendre en compte les travaux récents sur l’intelligence collective.
« Pour maximiser l’intelligence d’un groupe, il semble plutôt qu’il faille rassembler des individus disposant d’une bonne sensibilité sociale »
L’intelligence collective est un domaine de recherche en pleine expansion qui vise à comprendre comment la réunion d’individus au sein d’un groupe de réflexion permet de produire des solutions qui dépassent celles qui seraient produites individuellement. L’une des premières études phares (Woolley, A. W. Chabris, C. F. Pentland, A. Hashmi, N. & Malone, T. W. « Evidence for a collective intelligence factor in the performance of human groups », Science, 2010) de ce domaine émergent suggère que l’intelligence collective d’un groupe ne dépend pas de la moyenne des intelligences individuelles qui le composent ou de la présence d’une personne particulièrement douée au sein du groupe.Pour maximiser l’intelligence d’un groupe, il semble plutôt qu’il faille rassembler des individus disposant d’une bonne sensibilité sociale, des personnes capables de faire tourner la parole (pour qu’elle ne soit pas monopolisée par une ou deux personnes dominantes) mais aussi que le nombre de femmes au sein du groupe soit supérieur au nombre d’hommes. L’ensemble de ces ingrédients semble créer de meilleures conditions pour que les intelligences du groupe coopèrent de manière optimale et produisent des solutions collectivement plus intelligentes.
Mise en place de groupes travail
Aussi, plutôt que de laisser quelques experts monopoliser individuellement le débat et l’orienter au gré de leurs convictions et autres biais cognitifs, on pourrait imaginer que nos organismes de recherche, comme le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), constituent des groupes d’experts dont la composition suivrait les recommandations de ces études sur l’intelligence collective.
« Le public disposerait ainsi d’un véritable débat scientifique éclairé sur des questions fondamentales qui concernent chaque citoyen »
Très concrètement, le CNRS pourrait créer, par exemple, trois groupes de travail indépendants constitués chacun d’une dizaine d’experts. Chaque groupe aurait pour mission de passer en revue la littérature scientifique récente afin de répondre à une question précise, comme celle concernant l’existence de traitements efficaces contre le Sars-Cov2. Ensuite, en séance publique, chacun de ces trois groupes présenterait son analyse de la littérature et donnerait ses conclusions. Un débat pourrait s’ensuivre permettant de confronter les analyses.Le public disposerait ainsi d’un véritable débat scientifique éclairé sur des questions fondamentales qui concernent chaque citoyen. Le CNRS jouerait alors son rôle de régulateur et de sécurisation du discours scientifique. Il offrirait à notre société une information documentée et contradictoire, passée au tamis d’une intelligence collective optimisée. Il fournirait à l’ensemble des citoyens et aux décideurs politiques une information scientifique plus sûre, nourrie d’une intelligence collective permettant de dépasser les biais et les impasses cognitives individuels.