Europe Écologie-Les Verts et le PS ont décidé qu’ils ne répondraient plus aux demandes d’interview du JDD. Comprenez- vous leur décision?C’est sûr que l’on ne peut être insensible à la mobilisation quasi unanime d’une rédaction durant plus d’un mois. Pour autant, un ministre pas plus qu’un député, n’est dans son rôle lorsqu’il distribue des bons ou des mauvais points à la presse.
Le pluralisme, c’est accepter la confrontation. Je réponds au JDD comme je me réjouis de l’invitation qui m’a été faite de venir débattre à la fête de l’Humanité. On ne peut pas avoir été Charlie, être allé manifester et mettre aujourd’hui en pièce la liberté d’expression.
Des journalistes sont morts. Je suis une fille de Cabu. Moi, en tout cas, cela n’a jamais été dans mon ADN.
Le JDD est une institution, j’ai grandi avec ce journal, comme beaucoup de lecteurs, j’ai attendu qu’il paraisse à nouveau.Vos premiers pas au ministere de la Ville, aux lendemains des émeutes qui ont suivi la mort de Nahel, n’ont pas manqué de dérouter ceux – notamment à gauche –, qui réclamaient de l’État une réponse financière. J’assume : la politique du chéquier, c’est fini, ça ne marche pas.
Je le dis d’autant plus facilement que je suis une enfant de ces quartiers. Je n’ai pas attendu ces émeutes pour savoir ce dont ils avaient besoin. Lorsque j’ai accompagné en juin le président de la République à Marseille, les habitants de la Busserine le lui ont dit : « Vous nous parlez de millions et de milliards, mais nous, on ne les voit pas, nos vies ne changent pas.
» La réalité, c’est qu’il faut en finir avec cette approche purement budgétaire de la politique de la ville. Les millions, les milliards, il faut les rendre concrets dans la vie de tous les jours. Je l’ai déjà dit, moi, je ne sais pas compter en milliards.
Si la réponse n’est pas budgétaire, quelle est-elle ?
La suite après cette publicitéJe suis pour une politique des petits pas du quotidien. Il faut une politique du porte-monnaie, pas du chéquier. Cela ne signifie pas que je ne vais pas aller chercher de l’argent là où il y en a, mais j’entends l’utiliser là où il y en a besoin.
Qu’on me comprenne bien : mon ministère est déjà bien doté. Son budget est de 600 millions. Celui de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) s’élève désormais à 12 milliards.
Concrètement, qu’est-ce-que cela signifie ?Mon ministère doit être celui de l’amélioration du quotidien. C’est pourquoi il faut pouvoir simplifier les démarches administratives et arrêter avec ces usines à gaz qui rendent la vie et les projets impossibles à mener. Je pense notamment aux 360 millions d’euros distribués chaque année dans le cadre des contrats de villes.
Mais ce qui est vrai des villes et des intercommunalités l’est encore davantage avec les associations. Les grosses associations ont les moyens de répondre aux appels à projets. Mais les petites ? Je pars du principe qu’il faut pouvoir faire confiance a priori aux élus locaux et aux associations.
Je ne vais pas demander à une petite association de remplir des dizaines de pages de dossiers administratifs pour obtenir 1 500 € pour un projet. Ça n’a pas de sens ! Cela signifie qu’il faut des vraies simplifications pour mieux uti- liser l’argent public. C’est pourquoi je compte m’appuyer sur les élus locaux.
Ce sont eux qui connaissent les gens, leurs besoins.Vous parlez des élus locaux. Jamais, selon l’association des maires de France (AMF), le nombre de maires démissionnaires n’a été si important que cette année.
Comment faire pour stopper cette hémorragie ?Vous avez raison. C’est un sujet essentiel parce qu’ils sont le cœur battant de notre démocratie. On l’a encore vu pendant les émeutes.
Il n’y a pas que les forces de l’ordre qui sont allées au charbon. Nos maires ont souvent été en première ligne, face à des jeunes émeutiers qui voulaient en découdre, pour défendre et rétablir l’ordre républicain. Le président de la République les a reçus début juillet pour les assurer du soutien du pays et travailler ensemble à des solutions concrètes.
Les maires sont des hommes et des femmes très investis, qui bossent sans compter. Mais si vous saviez leur rémunération, honnêtement, ce n’est pas à la hauteur. Le gouvernement travaille déjà sur cette question et avec Dominique Faure, ministre déléguée en charge des collectivités locales et de la ruralité, nous allons travailler pour qu’ils soient mieux rémunérés.
Si on veut faire de la politique à hauteur d’homme, il faut respecter les élus locaux. C’est comme cela que je vois la mission qui m’a été donnée. Je ne veux pas faire de grandes lois.
Pour tout vous dire, je ne vais pas en faire si je n’en vois pas l’intérêt.
« Moi, je ne sais pas compter en milliards »
Lorsque vous étiez encore députée, vous aviez déposé une proposition de loi pour créer les conditions d’un choc de l’offre de logement en France. Cette question du logement est-elle prioritaire ? Si on ne construit pas, on ne résout rien.
La question du logement est cruciale. J’y prendrai toute ma part. La première des sécurités pour les Français est de pouvoir avoir un toit sur leur tête.
J’ai des idées plutôt claires sur la manière de faire et nous y travaillerons avec mes collègues. Il faut pouvoir faire du règlementaire et de l’expérimentation, comme on l’a fait pour Marseille en grand, pour que la vie des gens puisse changer au plus vite. C’est encore plus vrai maintenant qu’il faut reconstruire en urgence des écoles, des mairies, des crèches qui ont été incendiées pendant les émeutes.
C’est le sens du projet de loi reconstruction que nous avons fait voter en urgence.Votre ministère est placé sous la double tutelle du ministre de l’Inté- rieur Gérald Darmanin et du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu. Que signifie cette évolution ? La vérité ? Elle est simple.
Limpide. Les gens dans les quartiers populaires préfèrent être défendus par la police que par un dealer. Ils ne sont pas fous.
Ils réclament de la sécurité et ils en réclament encore plus maintenant. Ils veulent du bleu. C’est ce qui explique le double rattachement de mon ministère à celui de l’Intérieur et celui de la Cohésion des territoires.
Mais je suis également convaincue que l’écologie n’est pas réservée à quelques initiés. Je veux plus de bleu et plus de vert dans nos banlieues. Si je devais résumer la conception que j’ai de mon ministère, le ministère de la Ville, c’est le ministère du vivant.
Moi, je n’aime que la vraie vie. Je suis une fille simple, dans ma manière de penser et de vivre. Je ne suis pas une grande révolutionnaire.
Ma grand-mère à qui je dois tant disait : « le paradis est sur le pas de notre porte ». Cela signifiait que faire le bien se résume souvent aux petites choses du quotidien.