La gestion de l’eau vue par les scientifiques de l’INRAE


On ne le savait pas encore à Paris, mais il pleuvait très fort en Floride le jeudi 13 avril au moment ou des chercheurs de l’INRAE tenaient une conférence de presse sur ce que pourrait être une gestion rationnelle de l’eau en ce siècle marqué par le réchauffement climatique. En 24 heures, il est tombé 635 millimètres d’eau de pluie sur Lauverdale, une ville de 180 000 habitants au nord de Miami. Le précédent record datait de 1979, avec 370 millimètres. Ce jour-là, à Paris, Thierry Caquet commençait sa conférence de presse en expliquant que « les périodes de sécheresse sont de plus en plus longues et les pluies d’orage sont de plus en plus denses quand elles se produisent ». Dans les deux cas de figure, « la quantité d’eau qui migre vers les nappes phréatiques diminue. Stocker plus d’eau en surface sera donc indispensable, tant pour disposer des réserves permettant de satisfaire les besoins que pour limiter les dégâts causés par les crues dévastatrices. Cela impliquera aussi de ne pas remplir les barrages à 100 % de leur capacité, afin de garder de quoi écrêter les crues en cas de fortes précipitations inattendues » précisait-il.
Les trois avantages du barrage de Serre-Ponçon Ce qui s’est passé en Floride confirme le rôle que peuvent jouer des barrages pour limiter les crues. Thierry Caquet a relevé que le barrage de Serre-Ponçon, devant lequel le Président Macron s’est rendu le 30 mars pour faire quelques annonces, « permet de réguler le cours de la Durance et de l’Ubaye, de produire de l’électricité, de disposer d’une réserve de bonne qualité pour produire de l’eau potable ». Répondant plus tard à une question que nous lui avons posée, il indiquait que « les grands barrages, construits sur les affluents de la Seine en amont de Paris, jouent un rôle identique et offrent des zones de vie et de reproduction aux oiseaux, migrateurs ou pas. Les aménagements sur les cours d’eau ne doivent donc pas être des sujets tabous. Mais on doit toujours se poser la question de savoir ce que sera la véritable valeur ajoutée qu’une réserve en eau offre à un territoire, sans gommer les inconvénients éventuels », précisait-il.

Des questions sur la place de l’irrigation par aspersion

En France, l’agriculture prélève 9 % de la ressource en eau pour l’irrigation en plus de celle qui tombe naturellement sur les champs, les prés et les forêts. Mais Selon Sami Bouarfa, qui participait aussi à cette conférence de presse, « l’irrigation par aspersion telle qu’elle se pratique aujourd’hui pour le blé et le maïs cultivés dans certaines régions du pays pour être vendus à l’exportation va devenir problématique dans les prochaines décennies ». À la faveur du renouvellement des générations en agriculture, il faut, selon lui, « accompagner en priorité des projets d’installation mettant en place la transition agroécologique ». C’est fort souhaitable mais il est difficile de savoir aujourd’hui si la prochaine « loi d’orientation et d’avenir agricole » que prépare le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire Marc Fesneau sera de nature à promouvoir cette orientation. On sait en revanche que les accords de libre-échange que la Commission européenne a signé avec le Canada en 2016, les pays du Mercosur en 2019, la Nouvelle-Zélande et le Chili en 2022 ne favorisent pas la transition écologique en Europe. La pénurie de moutarde apparue en 2022 dans notre pays fut la conséquence de la sous-rémunération de la production de graines de moutarde en Côte d’Or. En effet, après 2016 les industriels de la moutarde de Dijon ont multiplié les importations de graines du Canada afin de moins payer les producteurs locaux. Ces derniers ont alors semé plus de blé et moins de moutarde. Une forte sécheresse intervenue en 2021 au Canada a ensuite provoqué la pénurie de matière première pour produire cette moutarde de Dijon.

La gestion de l’eau vue par les scientifiques de l’INRAE

« Il faut que la société tout entière évolue »

Selon Thierry Caquet « l’irrigation sera indispensable pour obtenir des fruits et légumes de qualité dans les prochaines décennies. Mais ce ne sont pas ces cultures qui consomment le plus d’eau actuellement. Dans le secteur agricole, il faut aller vers plus de diversification, mettre en place de nouvelles filières de production et de nouvelles politiques de commercialisation. En bout de chaîne, les consommateurs ont aussi un rôle à jouer, car leurs achats sont des leviers puissants pour faire changer l’ensemble du système », estime ce scientifique. Selon lui, « il faut que la société tout entière évolue et pas seulement les agriculteurs, souvent sommés de répondre à la demande du marché, via des produits gourmands en eau ». Mais quand le pouvoir d’achat des ménages diminue alors que les prix alimentaires augmentent trois fois plus vite que la moyenne des prix, le gouvernement français bricole du provisoire avec son « panier anti-inflation » dont la principale conséquence aboutit à accroître les importations de denrées de mauvaise qualité par les industriels de l’agroalimentaire qui fournissent des produits de marques de distributeurs aux grandes enseignes.