Le cri d’alarme de Sophie a été le point de départ. Fin septembre, cette habitante de Saint-Germain-Laprade écrit à L’Éveil de la Haute-Loire pour informer la rédaction « des problèmes de circulation rencontrés » à l’entrée de la ville du Puy-en-Velay.
« Contrainte de faire la queue sur la voie de droite au péril de ma vie »
« Tous les matins, entre 7 h 30 et 7 h 40, j’emprunte la RN 88 pour aller travailler. […] Voulant en sortir à hauteur de Brives-Charensac (sortie n° 51, en direction du centre-ville ponot, NDLR), je suis contrainte de faire la queue sur la voie de droite au péril de ma vie, tout comme les autres conducteurs, témoigne-t-elle. On croise les doigts pour que les camions aperçoivent à temps la file de voitures à l’arrêt » sur la nationale. « Je reste dans les bouchons au moins vingt minutes », reprend-elle avant de questionner : « Comment l’expliquer ? »À la date d’envoi de son courrier électronique, le 28 septembre, la réponse semble évidente. L’ancienne route nationale – devenue RD 188 – qui relie la cité ponote à Cussac-sur-Loire étant fermée pour travaux, il paraît logique que le flux de véhicules déviés par le contournement impacte la fluidité du trafic aux giratoires de Tirebœuf et des Trois pierres, à la limite des communes de Brives-Charensac et du Puy… Oui, mais non !
Photo Christophe CoffyMalgré la réouverture de l’ancienne RN 88 au-dessus de la zone de Chirel, le problème soulevé par Sophie persiste. En semaine, dans le créneau horaire mentionné par l’automobiliste lanceuse d’alerte (*), la bretelle de sortie n°51 se gorge de véhicules et la file prend une telle ampleur, en une poignée de minutes, qu’elle finit par déborder sur la nationale. Les automobilistes en attente de pouvoir s’y insérer se retrouvent immobilisés contre la glissière de sécurité, secoués par le souffle des véhicules qui les frôlent. Quelques centaines de mètres (jusqu’à 900 m parfois) et de longues minutes d’angoisse en warnings les séparent de la bretelle d’accès.Arrivé sur l’avenue des Belges, les embouteillages s’estompent et le trafic retrouve une certaine fluidité (le matin du moins), signe que le nœud du problème se trouve en un point précis : à l’entrée du rond-point des Trois Pierres. Un giratoire dont les élus des collectivités locales ont fait la principale entrée de ville.
Pas d’échappatoire
Au sortir de l’axe phare du département, les aménagements conséquents opérés sur le secteur (dès la fin d’année 2016) en vue de l’ouverture du contournement, devaient offrir, à l’instar de la descente par l’Ermitage, un panorama digne d’une carte postale sur les monuments de la cité ponote et un accès plus direct au cœur de ville. Sauf que cette entrée, aussi belle soit-elle, n’était pas vouée, dès le départ, à supporter seule – ou presque – le poids d’un trafic si dense.Malgré la présence à proximité immédiate de la sortie du Monteil, les autorités la savaient insuffisante, ce pourquoi une autre voie d’accès à la cité vellave devait venir la soulager, équilibrer les flux. Jugé à l’époque « fondamental », « indispensable » par les élus, Laurent Wauquiez en tête, le projet consistant à entrer ou sortir par le chemin du Fieu n’a pas (encore) abouti. Espéré initialement pour 2018, date de l’ouverture du contournement, il semble s’être enlisé, ces dernières années, sous une avalanche d’études techniques. « Il n’a pas été abandonné », assure-t-on du côté de l’Agglo, mais la question de sa faisabilité et de son financement n’est pas réglée. Rien ne garantit d’ailleurs que l’investissement en vaille le coût.
Photo Ophélie CrémilliieuxL’absence d’une échappatoire, d’une alternative que la difficile traversée de Chadrac, n’explique toutefois pas tout. Elle n’explique pas pourquoi les bouchons matinaux se manifestent en cette rentrée 2021, quatre ans après la mise en service du contournement. Pourquoi maintenant ? Sans doute parce qu’il a fallu plusieurs saisons aux automobilistes pour s’approprier pleinement l’infrastructure. Aujourd’hui, force est de constater qu’elle a profondément modifié les habitudes de vie au sein de la grande Agglo (forte de plus de 82.000 habitants). La façon de se déplacer, mais aussi de consommer, de se loger. Et aussitôt prises, elles ont été contrariées par la pandémie de Covid-19.Dès mars 2020, soit très exactement dix-sept mois après l’achèvement du gigantesque chantier, les confinements, les couvre-feux ou encore la généralisation du télétravail ont fortement impacté les déplacements. Jusqu’à cette rentrée 2021, marquée sur le plan sanitaire par un “retour à la normale” et la reprise des trajets quotidiens vers les bureaux. Sans prévenir, la réalité est venue rattraper les automobilistes : ils ne sont désormais plus une poignée, mais des milliers à converger, aux mêmes heures, en direction de l’échangeur de Bellevue dont l’accessibilité et la praticité ont fait le succès. Résultat, ça se bouscule aux abords du rond-point sursollicité des Trois Pierres où les perturbations étaient redoutées.Photo Christophe CoffyEn prévision, plusieurs maisons avaient été démolies le long de l’avenue des Belges afin d’élargir la chaussée et d’aménager deux voies d’accès à la cité ponote au lieu d’une. Les services de la Direction interdépartementale des routes du Massif central, chargés par l’État d’entretenir les nationales, avaient également anticipé le phénomène sur la RN 88 à l’entrée du Puy – mais sans doute dans une moindre mesure – en créant une bretelle de sortie plus longue que la normale. Une troisième voie montante prise d’assaut de bon matin.Un enjeu de sécurité routièreAu-delà de l’impact sur le temps de trajet (+ 5 mn, en moyenne, selon nos estimations), ces bouchons matinaux observés au niveau des sorties du Monteil comme de Brives-Charensac sont surtout source d’inquiétudes face au risque réel d’accident que la situation crée. « Je sais que cette route est de la compétence de l’État, renchérit Sophie, mais j’aimerais que nos élus prennent conscience du danger rencontré par les administrés. »Invité à apporter des éléments de réponse à l’automobiliste comme aux autres usagers, Michel Joubert, le président de l’Agglomération du Puy, a décliné la demande d’interview, invoquant des projets pas assez mûrs pour être portés à la connaissance du grand public. Le maire de la cité ponote, Michel Chapuis, n’y a pas répondu. Quant aux services de l’État, s’ils semblent avisés de la situation à en juger par le panneau lumineux installé dans la descente entre Fay-la-Triouleyre et le Monteil qui appelle à la prudence face au risque de bouchons, les chiffres de fréquentation sur la RN 88 censés éclairer les lecteurs sur l’importance du trafic, ne sont jamais parvenus jusque dans la boîte mail de la rédaction de L’Éveil de la Haute-Loire…
Ophélie Crémillieux
(*) Les bouchons se forment, en semaine, entre 7 h 30 et 7 h 45, sur la RN 88, à l’entrée du Puy, excepté le lundi où des ralentissements sont signalés, via l’application Waze, plus tardivement, vers 8 h 30. Vers 17 h 30, à l’heure des sorties de bureaux, les difficultés apparaissent avenue des Belges, sur la côte de Tirebœuf ou encore dans la traversée de Chadrac. Passé ces heures en semaine, mais aussi les week-ends, jours fériés ainsi qu’à l’occasion des vacances scolaires, le trafic redevient fluide.
Cinq minutes et trente secondes pour contourner le Puy
En quatre ans, le contournement a profondément modifié les habitudes de vie. Urbanisation, économie locale, trafic… ses impacts ont été parfois favorables, parfois moins.Dans la traversée de Chadrac, le trafic n’a pas été rendu plus fluide par le contournement. Photo Christophe CoffyCôté circulation, l’infrastructure a indiscutablement favorisé les déplacements. Souvenez-vous du temps qu’il fallait pour traverser la ville préfecture de part et d’autre… Les automobilistes pouvaient mettre jusqu’à 36 minutes, aux heures de pointe, pour rejoindre le rond-point des Baraques, à Cussac-sur-Loire, depuis le giratoire de la Chartreuse, à Brives-Charensac. Aujourd’hui, les neuf kilomètres à 2×2 voies entre ces deux communes se parcourent en cinq minutes et trente seconde. Un gain de temps précieux.
Bilan en demi-teinte pour le contournement
Au Puy intramuros, le contournement a également grandement contribué à désengorger l’avenue du Maréchal-Foch, théâtre jadis d’embouteillages monstres. Avec la déviation, ces bouchons au sud de la cité ponote – auxquels toutes les villes sont confrontées – ont sauté. Mais pas partout. Au nord, la circulation reste difficile, en particulier à l’heure des sorties de bureaux. En déviant les flux, le contournement a fait apparaître par endroits, de nouveaux “points noirs” comme sur l’avenue de Roderie, entre les enseignes Super U et Lidl, ou sur la côte de Tireboeuf, à Brives-Charensac. D’autres secteurs, déjà très fréquentés, ont vu le trafic s’intensifier encore davantage, notamment l’avenue des Belges où l’unique voie montante s’avére insuffisante, mais aussi l’avenue des Champs-Elysées, dans la traversée de Chadrac, qui méne droit – ou presque – à la RN 88.
A Brives, « les bouchons ne durent qu’aux heures de pointe »
Depuis l’ouverture du contournement, certaines routes se sont désengorgées. D’autres, à l’inverse, ont vu le trafic s’intensifier jusqu’à générer des ralentissements.La côte de Tireboeuf aux heures de pointe. Photo Christophe CoffyA Brives-Charensac, la côte de Tireboeuf se retrouve régulièrement embouteillée. La commune jouissait jadis d’un autre accès direct à la RN 88, depuis l’avenue Charles-Dupuy, mais la bretelle, remplacée par le giratoire de la Chartreuse, a été fermée « pour des raisons techniques. C’est dommage », regrette le maire, Gilles Delabre, pour qui son maintien aurait permis de fluidifier le trafic.Avec sa disparition, la circulation sur la côte de Tireboeuf et la rue de Genebret a pris de l’ampleur, mais les perturbations ne se manifestent « qu’aux heures de pointe, rappelle l’élu. Elles se résorbent vite ».
Un projet à l’étude
Au carrefour des deux voies, la municipalité brivoise avait toutefois envisagé la création d’un giratoire, mais la présence des deux autres, à quelques mètres, a eu raison du projet. Un autre serait à l’étude, souffle Gilles Delabre. « On réfléchit à d’autres possibilités », l’enjeu pour le maire, étant notamment de permettre aux employés de la zone de Corsac, boostée par l’ouverture du contournement, de faciliter leurs allées et venues. Car à l’heure des bouchons, il est devenu difficile pour ces automobilistes de quitter la rue de la Transcevenole pour s’insérer sur la côte de Tireboeuf. Une problématique qui ne devrait plus en être une à l’avenir.A Chadrac, les automobilistes sont très nombreux à tenter de contourner les embouteillages en passant par le plateau. Aux heures de pointe, la montée de Chadrac se retrouve vite bouchée en direction du Puy-en-Velay.