pourquoi la course est allée aussi vite cette année


En franchissant ce dimanche la ligne d’arrivée sur les Champs-Elysées avec le maillot jaune, Jonas Vingegaard a bouclé les 3343,8 kilomètres du Tour de France 2022 à une vitesse moyenne de 42 km/h, la plus élevée de l’histoire. Mais comment l’expliquer?A toute allure. De la première à la 21e étape, sur tous les terrains, tous les jours, tout le temps. Ce Tour de France 2022, outre les performances XXL de Wout van Aert et la bataille entre un jeune Slovène et un Danois à peine plus vieux, a également été marqué par son rythme effréné. Jonas Vingegaard, grand vainqueur à Paris ce dimanche, a ainsi bouclé les 3343,8 kilomètres de cette Grande Boucle à une vitesse moyenne… de 42 km/h. La plus élevée de l’histoire. Plus encore que celle du Tour 2005 remporté par Lance Armstrong (41,654 km/h), avant l’annulation de son titre.C’est une moyenne, ce qui veut dire que le peloton a parfois roulé encore plus vite. Sur les pavés du Nord entre Lille et Arenberg, Simon Clarke a ainsi bouclé les 157 kilomètres de la 5e étape à une allure de 48,7 km/h. Et dès le lendemain, rebelote : Tadej Pogacar a remporté à Longwy la plus longue étape du Tour (219,9 km) avec un 49,4 km/h sur son compteur… Comme si le peloton était poursuivi par le diable.

Des coureurs de mieux en mieux préparés, et des vélos de plus en plus performants

Comment expliquer ce phénomène? Les facteurs à prendre en compte sont forcément multiples. Il y a l’évolution naturelle, déjà. Les coureurs sont de mieux en mieux encadrés, préparés, entraînés, la bataille pour les désormais célèbres « gains marginaux » – en chargeant par exemple les voitures suiveuses sur les chronos – fait rage, et les vélos d’aujourd’hui, à part peut-être un moteur, n’ont pas grand-chose à envier aux F1… »Le matériel est de haute performance, les vélos vont très vite, les roues vont très vite. Et les athlètes sont très, très bien préparés physiquement », résume Vincent Lavenu, manager d’AG2R-Citroën. Un constat que fait aussi le sprinteur d’Akea-Samsic, Hugo Hofstetter: « Le matériel est plus performant qu’avant. On augmente les braquets d’année en année, ça favorise ce phénomène. » C’est valable en plaine, ça l’est aussi en montagne, avec des vélos aéro toujours aussi plus performants dans les descentes et efficaces dans les montées. Avec cette année quelques records d’ascensions remarqués.Sur la 17e étape entre Saint-Gaudens et Peyragudes, Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard, au coude à coude, ont ainsi explosé le record de la montée du Col d’Azet (26’24’’) en mettant plus de deux minutes à l’ancienne marque établie par Marco Pantani, Richard Virenque et Jan Ullrich en 1997. Ce qui a valu une savoureuse sortie de Geraint Thomas après-coup: « Je suis fair-play mais j’aimerais bien avoir le même petit déjeuner qu’eux! »

Une nouvelle manière de courir

S’il bénéficie de l’expertise et des technologies d’Ineos, le Gallois de 36 ans n’en est pas moins un ancien. Or, les codes à l’avant du peloton ont été bousculés, dernièrement, par une nouvelle génération et des équipes d’affamés, telle la Jumbo-Visma, dont l’objectif est de gagner, ni plus ni moins, que tous les jours. « Le niveau global des équipes a augmenté, elles sont de plus en plus professionnelles, comme chez Jumbo, Ineos, UAE, explique Vincent Lavenu. Ils ont des champions de haute voltige, et des jeunes coureurs qui n’hésitent pas à attaquer très rapidement. On a vu Pogacar attaquer dès les premiers cols, ça dynamise la course tout de suite, il n’y a plus de temps mort. »Ce qui fait parfois suer – c’est un euphémisme – le reste du monde. « Il n’y a plus d’étape de transition, aucune étape n’est laissée aux baroudeurs, constate Pierre Rolland (B&B Hotels-KTM). S’il y a la moindre opportunité de piéger les sprinteurs, il y a des gros rouleurs qui s’y mettent, comme Ganna (Ineos), Kung (Groupama-FDJ) et compagnie. Et automatiquement ça fait monter le curseur de la course très haut. Il n’y a plus d’échappée publicitaire puis un sprint, c’est fini, c’est derrière nous. Chaque étape se court à 100%. »Le phénomène Wout van Aert, chaque jour aux avant-postes, en est la parfaite illustration. « Cela ne débranche plus, c’est très impressionnant et ça se voit sur la moyenne générale du Tour de France avec des attaques très tôt, très loin, observe le patron de l’épreuve, Christian Prudhomme, auprès de l’AFP. On sentait depuis quelques années que les étapes dites de transition disparaissaient. Là, c’est encore plus fort, il se passe quelque chose dans toutes les étapes, une première heure courue à très grande vitesse, avec souvent des favoris et des équipiers de favoris dans les échappées, une façon de courir tout à fait nouvelle. (…) La difficulté du Tour de France est liée en partie au parcours mais l’autre partie, peut-être un peu plus importante que la première, est la manière dont les coureurs font la course. On a un peloton fatigué mais ça roule à 50 km/h chaque première heure de chaque étape. » Voire 55, même.

Le vent dans le dos… et le coup de pouce des véhicules?

D’autres éléments, parfois moins prévisibles, s’ajoutent au tout. Comme les conditions météorologiques. On ne parle pas ici de la chaleur, qui n’est pas forcément l’amie des coureurs. Mais du vent. « On a eu énormément de vent favorable, décrit Tony Gallopin (Trek-Segafredo). La vitesse élevée s’explique par la nervosité, le parcours, mais aussi le vent. J’ai fait des Tours de France où certaines étapes étaient très longues, cette année ça n’a jamais été le cas. » Dans les colonnes de L’Equipe, Jean-Baptiste Quiclet, directeur de la performance d’AG2R-Citroën, faisait une observation similaire : « Entre la topographie et le sens dominant du vent cette année, souvent dans le dos dans l’est et le sud-est, on a vite vu que les vitesses allaient grimper. »Et puis, au rayon des explications annexes, voire anecdotiques, revient aussi la roublardise des formations. « Les motos et les voitures sont très proches (des coureurs) à mon goût, ça favorise l’allure du peloton », fait ainsi remarquer Hugo Hofstetter. Or, inutile de rappeler les effets de l’aspiration.

Le spectre du dopage

Certains auraient ainsi pu profiter d’un petit coup de pouce humain. Et médical ? Puisqu’il s’agit ici de cyclisme, sport marqué il y a quelques jours encore par la suspension du leader d’Astana, Miguel Angel Lopez, la question du dopage se pose forcément – ou malheureusement. Mais le sujet agace chez les principaux intéressés, d’autant qu’aucun coureur de l’édition 2022 du Tour de France n’a été testé positif (aux substances illicites, pas au Covid), et qu’aucune infraction au règlement antidopage n’a été constatée. »Je n’ai même pas envie de répondre, c’est une question de merde, a lâché samedi Van Aert (Jumbo-Visma) après sa victoire sur le contre-la-montre individuel de la 20e étape. Elle revient à chaque fois que quelqu’un gagne. Parce qu’on est performants on devrait se défendre ? Je ne le saisis pas. On a travaillé si dur pour ça. Le cyclisme a changé, on passe des contrôles tout le temps, toute l’année, on vient chez nous, à la maison. On ne fait que s’entraîner. » Egalement lancé sur le sujet, Vingegaard a dit à peu près la même chose au sujet de sa formation : « On est complètement propres, chacun de nous dans l’équipe. Je peux le garantir à tous, personne ne prend rien d’illégal. »Et Christian Prudhomme de livrer la position de l’organisation : « La lutte contre la triche sous toutes ses formes doit toujours continuer, ne jamais être relâchée. Mais dans le cyclisme, on pose la question qu’on ne poserait pas dans d’autres disciplines. »