Révélée par Michel Foucault, l’histoire d’Herculine Barbin nous parvient aujourd’hui, incarnée avec force par Yuming Hey au TnBA de Bordeaux.
Le médecin appelé pour constater le décès pratique une autopsie, constatant un cas “de vice de conformation des organes génitaux externes“.
Ce manuscrit sera publié une première fois en 1872 dans Questions médico-légales de l’identité dans ses rapports avec les vices de conformation des organes sexuels.
On ne saurait poser avec plus de clarté la tragédie intime vécue par Herculine/Abel dont il/elle témoigne avec une sincérité inouïe pour l’époque, retraçant le cours d’une vie, d’abord heureuse, puis d’une solitude affreuse, littéralement à son corps défendant.
Pour Catherine Marnas, monter ce texte aujourd’hui est bien sûr une réponse à “l’irruption du genre sur l’avant-scène de la société, faisant que ce qui était souterrain jusque-là s’affichait dorénavant comme une question essentielle”. Mais la réussite du spectacle tient avant tout au refus de tout didactisme en resserrant son propos autour de l’histoire d’Herculine, sans y adjoindre de béquilles intellectuelles, d’ajouts référencés aux écrits de Paul B.
Preciado ou de Judith Butler, même s’ils et elles ont nourri le processus de création. Il s’agit uniquement d’écouter la parole d’Herculine, démarrant son manuscrit par un appel à l’aide auquel nul ne répondra : “J’ai beaucoup souffert, et j’ai souffert seul ! Seul ! Abandonné de tous ! J’ai vingt-cinq ans, et, quoique encore jeune, j’approche, à n’en pas douter, du terme fatal de mon existence.”
Gender fluid
Et puis, bien sûr, l’autre grande réussite du spectacle réside dans le choix des acteurs, avec Yuming Hey dans le rôle d’Herculine et Nicolas Martel.
À la fois récitant (des Métamorphoses d’Ovide aux rapports médicaux et jugements du tribunal de Saint-Jean-d’Angély) et compagnon de jeu, ce dernier incarne l’ombre portée des délices et des tourments qui scindent la vie d’Herculine en deux périodes aux antipodes l’une de l’autre, dont l’adolescence est le moment charnière où le corps se frotte au désir et à la souffrance.
Gender fluid, Yuming Hey est stupéfiant de justesse dans son interprétation d’Herculine, puis dans celle d’Abel. Il sidère en mettant au défi notre regard : qu’est-ce qui fait que l’on ressent un visage, un corps ou une voix masculins ou féminins à travers des codes à ce point intériorisés qu’ils voient et ressentent à notre insu et qu’un léger détail suffit à altérer notre perception ? Dans sa préface, Michel Foucault pose la question : “Avons-nous vraiment besoin d’un vrai sexe ? Avec une constance qui touche à l’entêtement, les sociétés de l’Occident moderne ont répondu par l’affirmative.
Elles ont fait jouer obstinément cette question du ‘vrai sexe’ dans un ordre de choses où on pouvait s’imaginer que seules comptent la réalité des corps et l’intensité des plaisirs. Toutefois, pendant longtemps, l’histoire du statut que la médecine et la justice ont accordé aux hermaphrodites, prouve qu’il n’y avait pas de telles exigences. On a mis bien longtemps à postuler qu’un hermaphrodite devait avoir un seul, un vrai sexe.
Pendant des siècles, on a admis tout simplement qu’il en avait deux.”
des paysages, des peintures, tout un velouté de nuages blancs en forme de chrysalides qui donnent à savourer l’indéfini, le complexe et le multiple.
Herculine Barbin : Archéologie d’une révolution, d’après Herculine Barbin dite Alexina B. publié et préfacé par Michel Foucault. Mise en scène Catherine Marnas.
Avec Yuming Hey et Nicolas Martel. Jusqu’au 22 janvier au TnBA de Bordeaux.
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