Procès du 14-Juillet : l’accusé Mohamed Ghraieb, monsieur "je ne sais pas"


Il y a d’abord des questions d’apparence anodines. La rencontre avec Mohamed Lahouaiej Bouhlel, en Tunisie, puis à Nice, le caractère du terroriste, ce qu’il aimait, ce dont il parlait. Le président de la cour d’assises spéciale de Paris avance à pas feutrés dans l’interrogatoire du premier accusé, Mohamed Ghraieb surnommé Walid.

Mais Laurent Raviot a un plan bien défini. Il connaît le dossier sur le bout de sa branche de lunettes qu’il triture et mâchouille à longueur de débats.

278 appels entre Walid et le terroriste

« Vous aviez une relation amicale avec Lahouaiej-Bouhlel », demande-t-il. Ghraieb, debout au pupitre, habillé de sombre, se tient droit, les mains agiles: « C’était une connaissance parmi d’autres, je ne l’ai jamais considéré comme un ami intime. » Mais ça passe mal à l’épreuve de la téléphonie. Le président Raviot dodeline : « Il était votre 3e correspondant privilégié. (.) Vous étiez son 5e correspondant privilégié », après la maîtresse de Bouhlel, sa femme, Roger Battesti l’ami et amant et après Chokri Chafroud, cet autre accusé, poursuivi, comme Ghraieb, pour « association de malfaiteurs terroriste ».

1278 appels entre les deux hommes, en un an, avant le 14 juillet 2016 : « a fait beaucoup », ironise le président. Qui sait parfaitement où il veut aller : « Depuis le début, vous avez tendance à minimiser, banaliser votre relation avec l’auteur des faits. »

La vidéo filmée le 15 juillet

Subtilement, les questions anodines le deviennent un peu moins. Laurent Raviot s’attarde sur les contradictions de Ghraieb. Sur l’achat de la voiture de Bouhlel le 13 juillet, la teneur de leur conversation, sur cette barbe que le terroriste s’était laissé pousser une dizaine de jours avant l’attentat, sur ses propos tenus au sujet de l’État islamique. « Il parlait pas trop, pas grand-chose ne l’intéressait, je ne sais pas », répond Ghraieb.

Puis, le vif du sujet: tous ces éléments du dossier qui ont conduit les magistrats à avoir un doute suffisant pour renvoyer ce veilleur de nuit devant la cour sont épluchés. Avec une précision de sniper, le président cuisine Ghraieb. Méthodiquement, il procède par thème. Et entame avec cette vidéo filmée par l’accusé, le lendemain du massacre. En fond, la promenade des Anglais. Ce « film », sur lequel les enquêteurs ont tiqué aussi parce que, disent-ils, Walid avait la mine « réjouie ».

« Ce jour-là je suis rentré par la promenade des Anglais, c’était pas réfléchi, c’est un trajet que je prends souvent. Voilà, je ne sais pas pourquoi je suis passé par là. (.) », se défend-il. Le président renchérit. Ghraieb gesticule : « Dans ma tête c’est pas pour filmer l’attentat. Je filme souvent, avec du recul je comprends j’aurai pas dû la faire mais c’était pas mal intentionné ».

La veille, à quelques heures de l’attentat, deux employés de l’hôtel de l’avenue Jean-Médecin où travaillait Ghraieb ont témoigné de son « comportement différent », de son « étrange bonne humeur ». L’accusé leur aurait conseillé de sortir voir le feu d’artifice, avec insistance. Le président enchaîne : « Que pouvez-vous en dire? » « Et alors? Je les ai incités à aller au feu d’artifice? Oui. C’est trop ! Ils sont quoi? Des psychologues? C’est mal interprété ! Je ne sais pas pourquoi », s’agace Ghraieb, qui mijote lentement mais reste combatif.

Les comptes Facebook épluchés

Ensuite, on passe aux contenus religieux ou en lien avec le terrorisme découverts dans son ordinateur, aux SMS suspects envoyés à Bouhlel et ceux reçus, quelques jours avant ou le jour même de l’attentat.

Là encore, le président Raviot, documents annotés et surlignés en main, maîtrise le sujet. Il lit les deux SMS (que nous reproduisons tels quels, ndlr) : « Je ne suis pas Charlie. Qu’ils aillent se faire enculer et que Dieu leur ajoute plus que ça. Vas faire la prière. C’est mieux que tu fréquentes les diables. Sauve-toi vite camarade tu es en train de couler », « Ah oui camarade c’est des diables c gens la qui insulte notre cher prophète, et t’a vue comment dieux les a envoyer des soldats d’allah pour les finir comme des m ! !  »

Mais Ghraieb persiste dans l’explication déjà livrée aux enquêteurs. « Je ne sais pas d’où ça vient, je n’ai pas écrit ces messages. » Ce jour-là, il a prêté son téléphone à un prof de sport qui venait du même coin de Tunisie que lui et qui s’est présenté à son hôtel, dira-t-il lors de ses auditions. Ce « Jamal Abbas » n’a jamais été retrouvé lors des investigations. « J’ai prêté mon téléphone, et il m’a mis en difficulté. J’ai jamais vu ces messages, je les ai découverts en garde à vue », rabâche Ghraieb.

De Salah Abdeslam, aux frères Kouachi, en passant par Mokhtar Belmokhtar, un djihadiste algérien. « Je n’ai jamais été intéressé par ces personnes, je regarde l’actu, quand il y a un événement je regarde. Je ne cherche pas exprès, je ne sais pas d’où ça vient. » Deux de ses fichiers ont été créés le 13 juillet 2016 et le 14 juillet 2016.

« Je suis innocent »

normalement – déposer devant la cour, mardi prochain. « Je ne sais pas, je n’ai pas compris, je ne me rappelle pas ce que j’ai pensé. Je n’ai pas compris que c’était des dates », souffle Ghraieb.

Ghraieb qui a répondu à tout, pendant plus de 9 heures, mais n’aura apporté, finalement, de réponses à pas grand-chose. « Si rien n’a d’importance, quel crédit peut-on accorder à vos propos si vous répondez toujours je ne me rappelle plus, je ne sais pas ou c’est pas important », remarquera le président à plusieurs reprises. À plusieurs reprises, l’accusé dira, lui, à la barre qu’il n’a rien à voir avec le terrorisme, rien à voir avec la violence. « Je clame mon innocence. (.) Pourquoi j’aurai fait du mal aux gens? Pourquoi j’aurai cassé ma vie? Je me retrouve dans une histoire où je n’ai rien à voir. » Ghraieb s’était présenté spontanément à la police, le 15 juillet 2016 vers 17 heures.