Canal seine-nord europe : la france insoumise ajoute sa voix au concert des opposants


Marianne Seck est conseillère régionale des Hauts-de-France pour l’Oise. Elle vient de rencontrer les responsables du Canal Seine-Nord Europe. Les réponses à ses questions ne l’ont pas convaincue. Crédit photo : La France Insoumise

Les voix dissonantes sont de plus en plus nombreuses autour du «chantier du siècle». Alors que le Canal Seine-Nord Europe devient chaque mois de plus en plus concret, avec plusieurs ponts pratiquement sortis de terre entre Compiègne et Noyon, et des préparatifs pour bientôt de nouveaux chantiers dans le Noyonnais, la France Insoumise s’intéresse de près au dossier. «On s’interroge en réalité depuis qu’on a été élus en 2021», explique Marianne Seck conseillère régionale des Hauts-de-France. «Notre première interrogation portait sur l’emploi et sur la formation. On s’est aperçus que par rapport aux prévisions d’emploi sur le chantier, ou après dans la batellerie, il y avait des manquements dans l’offre de formation locale». Sur ces questions, la France Insoumise «a très vite été interpellée et sensibilisée par Jacques Delay, conseiller municipal à Longueil-Annel, un ancien de la batellerie, proche de notre mouvement», assure l’élue.

Canal seine-nord europe : la france insoumise ajoute sa voix au concert des opposants

Une rencontre avec les responsables du projet cette semaine

À force de développer un esprit critique sur le sujet, et d’accumuler les questions, la conseillère régionale a rencontré cette semaine Jérôme Dezobry, président du directoire de la Société du Canal Seine-Nord Europe et Pierre-Yves Biet, directeur Partenariats et Territoires. Pour tenter d’obtenir un certain nombre de réponses. «Ils croient en ce qu’ils font, on voit qu’ils ont de bonnes intentions, mais nous ne sommes pas convaincus par ce qui nous est répondu», résume celle qui est aussi élue à Beauvais.

Sur l’emploi d’abord. «Il y a une différence entre ce qui a été promis lorsque le dossier n’était encore qu’un projet : on parlait de 40 à 50.000 créations d’emplois, aujourd’hui les chiffres sont moins précis et revus à la baisse». Sur la question de la formation, l’élue reste aussi sur sa faim : «On nous parle d’insertion et de formation prévention canal sécurité, c’est-à-dire qu’on va préformer les ouvriers pour travailler sur le canal, ce qui leur permettra de valoriser leur CV, mais en termes de volume, ils se rendent compte qu’on n’atteindra pas ce qui était annoncé», estime-t-elle. Là où ce projet devait favoriser au maximum l’emploi et les entreprises locales. «On sent que sur ce point, à demi-mot, ils estiment que les politiques de la région devraient suivre. La Région a la compétence en matière de formation dans les lycées, les écoles supérieures, mais il n’y a pas eu d’anticipation et ils vont devoir aller chercher dans les autres régions, voire dans d’autres pays», assure-t-elle.

En termes économiques, Marianne Seck se pose encore d’autres questions, dont elle n’a pas forcément les réponses : «Au sujet de l’agriculture, est-ce que connecter davantage nos régions au nord de l’Europe ne va pas rendre nos agriculteurs encore plus incompétitifs ?», se demande-t-elle.

Un investissement démesuré pour un gain trop faible ?

La France Insoumise, comme toute la gauche, a été longtemps privée de représentation au conseil régional des Hauts-de-France- Photo : La France Insoumise

Sur le volet environnemental, La France Insoumise est là aussi très sceptique. L’un des arguments les plus fréquemment entendus est que le fret fluvial serait plus un concurrent du fret ferroviaire que du transport routier. La question a été posée. «Ils estiment au contraire que la concurrence aura peu d’impact sur le rail et envisagent une baisse de 10 % du trafic routier d’ici 2070», détaille Marianne Seck. Une réponse qui ne la convainc que peu. Mais elle veut bien faire un effort : «Imaginons que cela ne concurrence pas le ferroviaire : -10 % sur les routes en 2070 pour un projet énergivore en électricité, qui va consommer autant d’eau alors qu’on sait que les bassins versants de l’Oise sont au plus bas, ça nous semble peu satisfaisant». Pour l’élue LFI, cela représente «un investissement énorme pour un résultat très faible».

La gestion de l’eau est justement au cœur des préoccupations de la France Insoumise et de tous les opposants. Figure au projet la construction d’une retenue d’eau de 20 millions de m3 d’eau de la rivière Oise, à Allaines dans la Somme. «Pour eux, ce n’est pas une mégabassine, car cette retenue n’ira pas pomper dans les nappes. Et pour eux, ces 20 millions de mètres cubes c’est rien par rapport aux 3 milliards de mètres cubes de l’Oise et ça ne ferait donc pas baisser son niveau. Ce qu’on dit toutefois, c’est qu’il va bien falloir le remplir ce canal ? Le problème c’est qu’aussi à chaque passage d’écluse, on perd un tiers de l’eau, sans compter les infiltrations, l’évaporation…»

«Un projet désuet»

Dans ses discussions avec la Société du Canal Seine-Nord Europe, la conseillère régionale estime se heurter à «une vision du monde radicalement différente». «Je reste sur l’idée que c’est un projet désuet, qui date de 50 ans, construit avec les données environnementales d’alors, à une époque où la philosophie, c’était de créer des chantiers pour créer de l’emploi, qu’ils soient utiles ou non». Mais aujourd’hui, il faut changer de paradigme, selon l’insoumise : «Quand on lit les rapports du GIEC (sur le dérèglement climatique, NDLR), à une époque où se succèdent les inondations, les sécheresses, il est sans doute raisonnable de se dire enfin qu’on ne peut pas aller vers cette croissance infinie : le libéralisme a sans doute atteint ses limites».

Un combat lancé trop tard ?

Attention cependant, la France Insoumise «n’est pas contre le transport fluvial», mais bien contre ce projet-ci et son «gigantisme». L’élue l’assure par ailleurs : le parti est sur la même ligne. «Jean-Luc Mélenchon s’est positionné, contre, il est sur la même ligne depuis le début». De quoi inciter la France Insoumise à porter le combat jusque devant le Parlement via ses députés ? «Pour l’instant, c’est un combat local, mais après, il faut voir la mobilisation que l’on aura derrière : si la mobilisation grandit, ça nous donnera les moyens d’agir, mais si tout le monde est pour le projet, nous n’irons pas contre l’avis général», assure-t-elle. Avec peut-être pour eux le risque que le combat s’engage trop tard : «Le problème, c’est qu’avant 2021, la gauche était absente du conseil régional où tout s’est joué. Nous n’avons pu travailler sur le sujet que lorsque nous y sommes entrés», assure l’élue. La gauche s’était en effet privée de sièges à la région en 2015 pour empêcher l’extrême droite d’en prendre le contrôle. Ce qui avait bénéficié à Xavier Bertrand, un farouche soutien du Canal Seine-Nord Europe.

Trop tard ou pas, la Société du Canal Seine-Nord Europe prend les critiques et questionnements très au sérieux. Et répond dans le dialogue, le dernier exemple étant le rendez-vous accordé aux responsables LFI. «On sent en effet que ces voix de plus en plus nombreuses qui s’élèvent les inquiètent, ils sont clairement en opération séduction», note Marianne Seck.

Le prochain à rencontrer les responsables de la Société du Canal Seine-Nord Europe sera le nouveau sénateur socialiste Alexandre Ouizille.