Prof. Dr. Damya Laoui : "Nous aimerions aussi avoir un Marc Coucke comme mécène"


Alors qu’elle est saluée par tous comme étant une scientifique innovante et de talent, la Prof. Dr. Damya Laoui doit sans cesse chercher du financement pour son vaccin prometteur contre les rechutes après un cancer. Depuis quatre ans, Yamina Krossa l’aide à trouver des fonds.

Lorsqu’elles sont assises côté à côte, les gens pensent qu’elles sont de la même famille, expliquent l’entrepreneuse sociale Yamina Krossa et la chercheuse Prof. Dr. Damya Laoui. Il y a cinq ans, leurs chemins se sont croisés suite à un article publié par nos confrères du Tijd et, depuis lors, elles ont uni leurs forces pour développer, dans les laboratoires de la VUB, un vaccin destiné à prévenir les rechutes après un cancer : Damya Laoui dans son laboratoire et Yamina Krossa en tant que chargée de la collecte de fonds.

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Le vaccin utilise des cellules immunitaires de la tumeur elle-même pour « paralyser » le cancer. Les résultats obtenus avec des souris font rêver mais le chemin est encore long avant de pouvoir aider les premiers patients. Car, à chaque étape, il faut trouver du financement. « Tout est bienvenu », explique Damya Laoui. « Plus nos moyens sont importants, plus la probabilité de réussir les études cliniques sera grande. »

Comment vous êtes-vous rencontrées?

Yamina Krossa : À 38 ans, j’ai eu un cancer du sein. Comme ma reconstruction mammaire n’était pas remboursée, j’ai organisé une levée de fonds qui a donné naissance à l’ASBL Benetiet, via laquelle nous collections des fonds pour soutenir financièrement des femmes dans la même situation. Mais, suite à notre lobby, la ministre de la Santé de l’époque, Maggie De Block (Open VLD), a changé les modalités de remboursement. De ce fait, Benetiet n’avait plus de raison d’être.

Nous disposions encore de 40.000 euros dans notre caisse et nous souhaitions offrir cet argent à un projet de recherche contre le cancer. Eh oui, il n’y a pas de hasard. Ce week-end-là, j’avais lu dans De Tijd que le Massachusetts Institute of Technology (MIT) saluait l’esprit d’innovation de Damya. Je lui ai immédiatement envoyé un mail : « Pouvez-vous faire quelque chose avec cet argent? »

Damya Laoui : J’ai pensé qu’un de mes collègues était en train de me faire une blague.

YK : Mais ce n’était pas une farce. Dans ma naïveté, je pensais que Damya pouvait travailler un an avec 40.000 euros. J’ai ensuite appris que ses recherches coûtaient environ 3.000 euros par semaine.

« Les gens ne comprennent pas toujours ce que nous faisons en recherche fondamentale et n’en voient pas l’utilité. Mais c’est précisément grâce à ces recherches que les hôpitaux peuvent avancer. »

DL : Et aujourd’hui, c’est même beaucoup plus. Les produits que nous utilisons coûtent déjà 10.000 euros par semaine, sans compter les équipements et le salaire de mes collaborateurs.

YK : J’étais tellement déçue ! J’ai demandé à Damya ce qui se passerait si elle ne réussissait pas à collecter cet argent. « Le projet s’arrêtera », a-t-elle répondu. Mais ses recherches sont tellement importantes et prometteuses ! C’est là que j’ai pensé que je pouvais m’occuper de la collecte de fonds et transformer ces 40.000 euros en 400.000 euros.

Et ensuite?

de la Fondation contre le cancer, de Kom op tegen Kanker, d’institutions étrangères, etc. C’est frustrant. Je fais de la recherche, je donne cours, j’accompagne des scientifiques et, le soir et pendant le week-end, je rédige des demandes de bourses de recherche, dont les chances d’obtention ne sont que de 10 à 20%. Donc, lorsque Yamina a proposé de chercher des fonds, ce fut une véritable libération. Cela m’a permis de respirer un peu.

Recevez-vous de nombreux dons?

DL : Certaines personnes lèguent leur patrimoine à la recherche contre le cancer. Dans ce cas, il nous arrive de recevoir une partie de ces fonds. Mais la plupart du temps, l’argent est versé aux médecins. Les gens ne comprennent pas toujours ce que nous faisons en recherche fondamentale et n’en voient pas l’utilité. Mais c’est précisément grâce à ces recherches que les hôpitaux peuvent avancer.

L’industrie pharmaceutique ne peut-elle pas vous aider?

DL : De nombreuses sociétés pharmaceutiques sont intéressées, mais cela ne fait pas partie de leurs priorités. Nous travaillons sur des thérapies personnalisées à partir des cellules des patients. Ce n’est pas rentable pour l’industrie pharmaceutique. En outre, il faudra encore beaucoup de temps avant d’obtenir des résultats. Les groupes pharmaceutiques préfèrent investir dans des projets qui leur permettent d’encaisser des bénéfices à un horizon de deux ans.

Vue en plein écran

Yamina Krossa et Damya Laoui.

Où en sont vos recherches actuellement?

DL : Le vaccin fonctionne super bien sur les souris pour le cancer du sein et des poumons. Nous avons aujourd’hui collecté de l’argent qui nous permettra d’être en ordre de marche au niveau administratif pour mener une étude clinique au cours des quatre prochaines années. Nous comptons commencer par une étude sur le cancer du poumon, vu que nous pouvons plus facilement recruter des patients. Mais ce type d’étude prend du temps. Nous saurons assez rapidement si le vaccin est sûr, mais nous avons besoin de cinq à dix ans, pour évaluer son efficacité.

Comment fonctionne le vaccin?

DL : Dans une tumeur, on ne trouve pas uniquement des cellules cancéreuses, mais aussi des cellules du système immunitaire, comme les cellules dendritiques, sur lesquelles nous travaillons. Lorsqu’une personne est atteinte d’un cancer et que la tumeur est enlevée, nous isolons les bonnes cellules dendritiques pour les réinjecter ensuite dans l’organisme du patient.

« Nous avons entre autres besoin d’un appareil pour purifier les cellules dendritiques en milieu hospitalier. L’appareil coûte environ 300.000 euros. »

Ces cellules migrent alors vers tous les ganglions lymphatiques et mobilisent les « soldats » (appelés cellules T) qui peuvent détruire les cellules cancéreuses. En cas de métastases – impossibles à détecter à ce stade par les médecins –, nous faisons en sorte que celles-ci soient détruites. Les cellules dendritiques créent également une réponse de mémoire. Si le cancer se développe à nouveau cinq ou dix ans plus tard, une armée de soldats de mémoire est prête à attaquer immédiatement.

Est-ce concluant?

DL : Chez les souris, oui. Il se peut que le patient développe un tout autre type de tumeur, mais c’est peu probable. De nombreux gènes impliqués dans le cancer sont les mêmes dans toutes les tumeurs.

Entre-temps, où en est votre collecte de fonds pour vos recherches?

000 euros. J’en suis ravie. J’ai demandé de l’aide à tout le monde, à l’intérieur et en dehors de mon réseau. Certains ont vendu des gaufres, d’autres ont couru, roulé à vélo, organisé des concerts, etc. Et nous avons mis sur pied des conférences payantes.

cela a ouvert de nouvelles portes. Tout d’un coup, nous avons reçu beaucoup de dons et d’invitations.

« Où que j’aille, je remarque à quel point le cancer est présent dans la société. Il n’épargne personne, y compris les riches. »

Yamina Krossa

Entrepreneuse sociale

Alex Agnew a également promis de nous verser un euro par ticket vendu lors de sa tournée. En 2018, il a vendu 150.000 billets d’entrée; mais ça c’était avant la crise du covid. Il faudra patienter pour connaître le résultat, mais il y a de fortes chances que nous arrivions à dépasser les 400.000 euros. Alex Agnew est un vrai héros.

À quoi serviront ces 400.000 euros?

DL : Nous avons entre autres besoin d’un appareil pour purifier les cellules dendritiques en milieu hospitalier. L’appareil coûte environ 300.000 euros. Le solde sera utilisé pour faire tourner le labo.

Ces 400.000 euros ne suffisent donc pas pour démarrer les études cliniques?

DL : Non. Pour cela, nous avons besoin de plus ou moins 1,2 million d’euros. Chaque fois que nous faisons les comptes, le chiffre augmente. Suite à la pandémie, certains produits que nous utilisons dans le laboratoire ont beaucoup augmenté. Par exemple, le prix des gants de protection a été multiplié par trois. À cause de l’indexation, nous devons également augmenter les salaires de nos collaborateurs, mais les bourses n’augmentent pas de la même façon. C’est un problème.

Le monde politique et celui des entreprises ne peuvent-ils pas vous aider?

DL : La seule chose que nous puissions obtenir du monde politique est qu’il investisse davantage dans la recherche. Je ne vois pas pourquoi je devrais demander à un homme politique de me donner plus d’argent et pas à mes collègues, qui mènent aussi d’excellentes recherches. Nous demandons plus d’argent pour la science. C’est tout et ce serait déjà bien.

YK : Nous essayons aussi de trouver de riches entrepreneurs. Où que j’aille, je remarque à quel point le cancer est présent dans la société. Il n’épargne personne, y compris les riches. Nous avons entre autres contacté Marc Coucke et sa femme, mais entre-temps, ce dernier a investi dans le magnifique projet de l’ASBL Stop Cancer Côlon de Luc Colemont. Un projet tout aussi important, mais nous aussi aimerions avoir notre Marc Coucke ou notre Madame Coucke. (elle rit)

DL : Il m’est arrivé à deux reprises qu’un CEO me dise : « 400.000 euros? Mais ce n’est pas grand-chose ! Je pourrais les sortir de ma poche ». Ils m’ont donné leur carte de visite et je leur ai envoyé un e-mail, mais je n’ai plus jamais eu de nouvelles.

« Je rêve qu’un jour viendra où, après un diagnostic de cancer, les patients recevront un vaccin qui empêchera le cancer de récidiver. Je connais cette angoisse de la rechute. »

Yamina Krossa

Entrepreneuse sociale

YK : Or, c’est le moment de faire un don. La mortalité par le cancer est beaucoup trop élevée. Je sais qu’il faudra encore attendre un peu avant de lancer notre étude clinique, mais si nous ne collectons pas suffisamment d’argent et que nos recherches s’arrêtent, rien ne se passera, c’est certain.

Le temps que vous consacrez à des conférences ne peut être passé dans votre laboratoire. Cette situation ne crée-t-elle pas des tensions?

En même temps, ces conférences me donnent beaucoup d’énergie. Le public me pose parfois des questions très naïves, mais très pertinentes. Je donne en moyenne deux conférences par mois et j’essaie de m’y tenir.

Vous avez presque atteint votre objectif de 400.000 euros. Que se passera-t-il ensuite?

YK : Nous allons fêter cela. Je rêve qu’un jour viendra où un patient cancéreux recevra un vaccin qui lui évitera une rechute. Je connais l’angoisse de la rechute. J’ai souffert d’une tumeur très agressive. À l’époque, les médecins m’ont dit que si je faisais une rechute, c’était fini. J’en ai encore parfois des sueurs froides. Le vaccin arrivera trop tard pour moi, car on a besoin de la tumeur primaire pour le développer, mais ce serait fantastique si, à l’avenir, d’autres patients pouvaient échapper à cette angoisse.

il est très important de se tester soi-même. Un cancer du sein pris à temps a de fortes chances de guérir. Si vous arrivez trop tard – et parfois, « trop tard » peut arriver très vite –, vous n’avez pratiquement aucune chance de vous en sortir.

Bio Damya Laoui

La Prof. Dr. Damya Laoui est diplômée en bioingénierie de la VUB à Bruxelles et a fait son post-doctorat à l’EPFL à Lausanne, en Suisse. Elle travaille à la VUB et au VIB (Vlaams Instituut voor Biotechnologie) à la mise au point d’un vaccin contre le cancer. En 2017, le Massachusetts Institute of Technology (MIT) l’a élue parmi les « Innovators under 35 Europe ». Un an plus tard, elle a été couronnée par le magazine New Scientist comme « Talent scientifique 2018 ». Elle a obtenu le prix Francqui-Collen en 2020.

Bio Yamina Krossa

Yamina Krossa est directrice générale a.i. et partnership manager chez Boost for Talents, une initiative de la Fondation Roi Baudouin, qui s’adresse aux jeunes talentueux et motivés issus de milieux économiquement fragiles afin de les aider à obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur. Elle a elle-même guéri d’un cancer du sein et a fondé en 2015 l’ASBL Benetiet afin de collecter des fonds pour aider les femmes à financer leur chirurgie reconstructrice. Grâce à son lobbying, la ministre de la Santé de l’époque, Maggie De Block (Open VLD), a modifié les modalités de remboursement de la chirurgie de reconstruction. Depuis 2018, Yamina Krossa collabore avec le Fonds Yamina Krossa de la VUB, qui collecte des fonds au bénéfice des recherches menées par la Prof. Dr. Damya Laoui. Le Fonds ambitionne de collecter au moins 400.000 euros. Mais en réalité, les besoins sont beaucoup plus importants.

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